Le Taurillon : Comment expliquer la crise financière du « Tigre celtique » et quelle est la responsabilité des banques dans ce naufrage ?
Christophe Blot : Deux éléments peuvent expliquer le niveau du déficit irlandais. Tout d’abord, la crise financière a assez nettement creusé les finances publiques irlandaises, avec une forte diminution des recettes et un accroissement des dépenses liées à la stabilisation de l’économie. Le déficit irlandais a ainsi augmenté, pendant cette première phase, à un niveau légèrement supérieur à 14% en 2009. A cela s’ajoute un plan de sauvetage massif pour le système bancaire en 2010. Cet élément, bien que lié à la crise, est très spécifique et entraîne une augmentation du déficit irlandais de plus de 20 points de PIB, à plus de 30%, sur l’ensemble de l’année 2010. Le déficit sera réduit, dès 2011, du montant du plan de sauvetage du système bancaire mais restera important en raison des effets de la crise.
Ces effets étaient particulièrement forts en Irlande car son économie s’est retrouvée très sensible à la conjoncture. La très forte croissance avant la crise était basée sur un secteur immobilier et un accroissement du système bancaire très importants, qui ont contribué à générer des recettes fiscales. La situation budgétaire de l’Irlande semblait alors saine jusqu’à ce que la crise éclate. Le secteur de la construction s’est effondré et le système bancaire a été très fortement touché. Moins de recettes ont alors été générées et l’Irlande s’est révélée plus sensible à la crise que d’autres économies de la zone euro.
Lorsque les prix de l’immobilier se sont effondrés, les banques se sont retrouvées avec un ensemble de prêts non performants. Dans le même temps, les banques irlandaises ont fait des investissements hasardeux liés à l’ensemble de la crise du système financier, qui a eu lieu en 2007 et s’est amplifiée en 2008. La crise irlandaise résulte ainsi de la fragilité de ces conditions macroéconomiques internes et d’investissements internationaux qui se sont avérés peu rentables. Des banques ont pris des risques plus importants en Allemagne et en France et la régulation du secteur bancaire irlandais interne n’est pas nécessairement en cause. Le problème de régulation financière se pose d’ailleurs plus généralement dans le système bancaire mondial.
Le Taurillon : Cette crise ne constitue-t-elle pas un échec de l’évaluation des grandes institutions financières, comme le FMI, qui n’ont pas su détecter le problème en amont ?
Christophe Blot : Le FMI n’a pas vocation à traiter les problèmes de régulation financière mais publie effectivement deux rapports annuels sur la stabilité financière, dans lesquels il peut éventuellement soulever un certain nombre de risques. Néanmoins, les responsabilités sont partagées par l’ensemble des gouvernements et les institutions internationales ne pouvaient pas indiquer les mesures à prendre, malgré des éléments d’alerte. Cet enjeu de la régulation parcourt ainsi les discussions du G20 depuis la crise.
Certes, le FMI a une mission d’alerte des problèmes de déséquilibres courants. Or, l’Irlande connaissait des déséquilibres courants assez importants, dus à une forte croissance de la demande intérieure et un secteur extérieur moins compétitif. Jusqu’ici, le problème de financement ne s’était cependant pas posé…
Le Taurillon : Quel sera l’impact du plan de redressement irlandais, annoncé le 24 novembre, qui ne touche pas à l’impôt sur les bénéfices des entreprises ?
Christophe Blot : L’Irlande a logiquement considéré que cet impôt constituait un élément important de sa compétitivité. Sa croissance a bénéficié, avant la crise, d’une économie qui attirait les entreprises par cette fiscalité avantageuse. On peut d’ailleurs discuter du bien-fondé de cette stratégie au sein d’une union monétaire, où la coopération devrait davantage primer que la concurrence fiscale. Il n’est donc pas étonnant que l’Irlande ait voulu conserver ce taux, n’ayant pas été fortement contrainte explicitement par la zone euro et le FMI. L’Irlande a donc choisi de maintenir la concurrence fiscale et de faire porter la facture sur les dépenses sociales et la TVA, donc sur les consommateurs.
D’autre part, la baisse du salaire minimum annoncé comme d’autres mesures auront forcément des biais négatifs et il faut s’attendre à un retour en récession ou à une croissance très faible en Irlande durant les deux années à venir, comme ce sera le cas en Grèce. Ces plans d’ajustement massifs des finances publiques affecteront d’autant plus la croissance qu’ils sont imposés à plusieurs pays de la zone euro en même temps et que d’autres pays, moins touchés, comme la France et l’Allemagne, entreprennent des ajustements budgétaires. Comme la zone euro est assez intégrée, ce mécanisme d’ajustement généralisé devrait fragiliser la reprise de la croissance, y compris dans les pays moins touchés, dès lors que ses voisins se portent moins bien. Toute la zone euro va donc être pénalisée par ce type de mesures…
Le Taurillon : A l’aide de ce plan, l’Irlande prévoit une croissance de 2,75% en moyenne par an et de ramener le taux de chômage sous les 10% entre 2011 et 2014. Que pensez-vous de ces objectifs ?
Christophe Blot : Cela me paraît bien optimiste… La croissance en 2010 est quasi nulle. Avant même l’annonce de ce plan de relance supplémentaire, nous avions anticipé une croissance assez faible de l’Irlande, tout comme les organisations internationales. L’ajout d’un plan de restrictions supplémentaires va peser sur la consommation et il y a donc peu de chance que cet objectif soit atteignable en 2011. Ce plan pèsera aussi probablement sur les performances de l’Irlande en 2012.
Les Irlandais peuvent espérer un ajustement par la compétitivité. Cependant, il est plus difficile aujourd’hui de relancer sa croissance par un gain de compétitivité dans la zone euro, car le taux de change est fixe par rapport à la plupart de nos partenaires. D’autant plus dans le cas de l’Irlande, assez intégrée avec le Royaume Uni, dont la Livre a tendance à se déprécier. Avec les plans assez massifs de restriction, une croissance forte sera difficilement atteignable dans les deux années à venir.
Le Taurillon : En somme, la crise irlandaise constitue-t-elle une réelle menace pour la zone euro et quels sont les risques de contagion à des pays comme l’Espagne et le Portugal ?
Christophe Blot : Effectivement, le Portugal est souvent cité car ce pays souffre de déficits publics assez importants et d’une croissance fragile. La pression des marchés sur les taux portugais n’est, pour l’instant, pas aussi importante que ce que l’on a pu observer en Irlande et en Grèce mais le Portugal sera probablement le premier pays menacé, en cas de contagion. Les plans actuels entendent éviter cette contagion et montrer que la zone euro a les moyens d’agir. Nous pouvons espérer que ces annonces auront, au moins, un aspect dissuasif pour la contagion mais nous ne sommes pas à l’abri.
Dans un scénario catastrophe, l’Espagne serait le maillon suivant touché par la contagion. Sa dette publique a a priori assez nettement diminué mais le déficit a fortement augmenté pendant la crise, car la croissance reposait elle aussi sur un emballement immobilier assez fort. Les perspectives de croissance restent donc assez faibles pour 2010-2011, bien que le système bancaire en Espagne ne connaisse pas les mêmes difficultés que les banques irlandaises…
Le Taurillon : La prime de risque de l’Espagne et du Portugal est encore loin des 645 points de base de l’Irlande. Comment cet indice de confiance des marchés est-il calculé ?
Christophe Blot : Cet indice mesure l’écart entre le taux d’intérêt sur les emprunts publics d’un pays de la zone euro par rapport à un taux de référence d’un pays où le risque est estimé plus faible, en l’occurrence l’Allemagne. L’Allemagne se finance donc au taux le plus faible et la prime de risque permet de calculer la pression exercée par les marchés sur les différents pays. Nous observons actuellement un accroissement des écarts par rapport à l’Allemagne, en raison des effets de primes de risque sur le marché mais aussi d’une réallocation des placements réalisés dans les pays de la zone euro. En effet, lorsqu’un pays voit sa note dégradée, un certain nombre d’institutions financières, ayant des contraintes réglementaires, substituent par exemple des dettes publiques grecques et irlandaises pour acheter de la dette publique allemande. L’effet est alors double : le taux d’intérêt sur les dettes publiques grecques et irlandaises s’accroit tandis que celui allemand baisse...
Le Taurillon : L’économiste américain Nouriel Roubini a récemment déclaré que la France et ses finances publiques n’avaient « pas l’air en bien meilleur état » que des pays surendettés de la zone euro comme l’Irlande. Qu’en pensez-vous ?
Christophe Blot : Ces propos ne sont pas très crédibles. La croissance française avant la crise n’était pas du tout similaire à celle de l’Irlande. Le boom immobilier est loin d’atteindre le niveau irlandais, le déficit n’est pas dans la même situation et le système bancaire français paraît plus solide. Ce n’est donc pas très sérieux d’affirmer cela…
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