Histoire

Nations et nationalismes en Europe centrale

Europe / XIXe - XXe siècle

, par Ronan Blaise

Nations et nationalismes en Europe centrale

Dans cette étude sur l’histoire du nationalisme en Europe centrale depuis deux siècles, l’auteur se propose de faire comprendre au lecteur occidental la complexité de cette question, ses racines historiques, son évolution, sa situation présente.

’’Les révolutions de 1989 n’ont pas été pour moi une surprise. Depuis (des années), je n’ai pas cessé de travailler sur les nations de l’Europe centrale et de vivre leur Histoire. (...) (Jusqu’à cette date) l’Occident semblait convaincu de la disparition des nationalismes en Europe. Ils ne pouvaient y avoir leur place (et semblaient) voués à un passé définitivement mort.

Il serait inexact de parler d’un réveil des nationalités après 1989. Et pour cause : elles existent depuis 1945, comme une réalité vivante et impérieuse. Et seule l’ignorance a empêché les journalistes et les hommes politiques qui parlaient de ces pays sans les connaître d’en percevoir les signes visibles.

Lorque les eaux du communisme se sont retirées, les nations ont réapparu à la lumière. Pour comprendre ce monde retrouvé, il fallait d’abord s’informer sur la nature de ces nationalismes, leurs origines, leur modes de fonctionnement dans la vie sociale. C’est cela que je souhaite montrer dans cet ouvrage.’’ [1]

Et c’est dans ces termes que, dans cet ouvrage consacré au ’’making of’’ des nations (dans les régions d’Europe centrale et orientale, balkanique et danubienne aux XIXe et XXe siècles...) l’auteur revient ici sur les imaginaires qui fondent le fait national (i. e : imaginaires du sang et de l’ethnie, de la langue et d’un passé de convenance, anti-scientifique, artificiel et réinventé...).

Ainsi que sur les pratiques culturelles, politiques ou associatives et les réseaux de sociabilité divers et variés qui ont politiquement servi à (et/ou) bénéficié de la mise en place du fait national, puis de son expression étatique. Et/ou qui ont participé à la mise en place puis à l’affirmation et à la consolidation de ceux-ci.

Qu’est-ce qu’une Nation ?

Et bien, au risque de choquer certains, le concept n’a en fait rien de clair.

Ainsi l’historien britannique Hugh Seton-Watson (professeur à l’université de Londres) renonce même à le définir, se limitant à dire que le phénomène existe bel et bien et a effectivement existé puisque ’’tout ce que je peux trouver à dire c’est qu’une Nation existe quand un nombre significatif de gens dans une communautée se considèrent comme formant une nation ou se conduisent comme s’ils en formaient une’’ [2].

Un constat partagé par son homologue historien et anthropologue irlandais Benedict Anderson qui propose la définition suivante de la Nation : Une communauté politique imaginée (...) et imaginée à la fois comme par essence limitée et souveraine. Imaginée car, même si les membres de (cette) nation ne se connaissent pas et pas tous, c’est dans l’esprit de chacun que vit l’image de leur communion [3].

Complémentaire, on connaît aussi la définition lyrique qu’en donne le philosophe français Ernest Renan dans sa fameuse Conférence « Qu’est-ce qu’une Nation ? » donnée le 11 mars 1882 à la Sorbonne [4]. Soit une âme, un principe spirituel né dans la possession en commun d’un riche legs de souvenirs, dans la volonté de continuer à faire valoir cet héritage reçu indivis, volontée exprimée dans un quotidiennement renouvelé désir de vivre ensemble, bref : le fameux ’’plébiscite’’ de tous les jours [5].

La vision de l’Auteur :

Ce à quoi Bernard Michel répond ainsi en écho, proposant une définition plus large (en quatre points) du fait national, lequel peut donc se définir ainsi :

(1) Entrer dans une nation (par naissance ou par choix) c’est parler une même langue, partager des valeurs culturelles, participer à une même vision d’une histoire commune

(2) C’est accepter que l’identité nationale constitue une des plus hautes valeurs de référence (voire la plus haute) dans le domaine du jugement éthique ou intellectuel.

(3) C’est aussi s’intégrer dans une communauté mythique qui transcende les classes sociales, les religions, les différences d’éducation.

Et (4) c’est, sur le plan de l’action quotidienne, entrer dans des réseaux de sociabilité fondés sur l’enseignement, les associations sportives, religieuses, les activités culturelles et économiques, etc.

Bref : le nationalisme, ce ne sont pas seulement adhérer à des idées, c’est aussi adopter un mode de vie, entrer dans un cercle de relations sociales et participer à des réseaux de sociabilité. [6].

La Nation, phénomène ambivalent

En tout cas on voudra bien admettre que le fait national (et le nationalisme qui l’accompagne...) ne sont pas une évidence. Et qu’ils ne sont ni spontanés, ni naturels. Et qu’on ne naît donc pas patriote français, hongrois ou polonais : on le devient. Par ce que les uns appellent perfectionnement individuel : une recherche passionnée de l’identité collective. Lesquels doivent être réalisés par un effort sur soi-même : ce que d’autres ressentent comme une violence idéologique collectivement exercée à usage interne, contre l’individu [7].

Bref, comme l’exprime l’anthropologue britannique (mais d’origine tchèque) Ernest Gellner, professeur à l’université de Cambridge : ’’Ce ne sont pas les aspirations (collectives) des nations qui créent le nationalisme : c’est le nationalisme qui (par pression du collectif sur l’individu) engendre les nations, pas l’inverse’’ [8].

Ainsi, si l’on reprend la définition personnelle qu’en donne Bernard Michel, on découvre que la Nation est un phénomène ambivalent : Principale force d’intégration dans des sociétés hétérogènes et divisées, elle forme aussi un dangereux abcès de fixation et n’en demeure pas moins un élément de polarisation politique souvent délétère.

Pacifique dans ses aspirations originelles et/ou prétendues sinon officielles, la nation est souvent l’objet d’instrumentalisation politique : Instrument d’affirmation de puissance extérieure, elle est aussi un instrument de domination intérieure, permettant l’écrasement de l’adversaire politique (désigné, dénoncé et stigmatisé comme ’’étranger’’ à la communautée...) et rendant ainsi possible l’enrégimentement et la ’’caporalisation’’ des sociétés.

Une conclusion surprenante, paradoxale et ambiguë

Comme on l’a vu, le nationalisme est une idéologie née dans la première moitié du XIXe siècle qui, sur le terrain, peut donner naissance à des formes sociologiques bien diverses. Ainsi, sa grande vertu est de rendre possible l’intégration de groupes sociaux et de populations hétérogènes ainsi que de rendre possible une certaine cohérence de la société.

Néanmoins, une fois cela fait, les résultats obtenus peuvent être très divers et le ’’Nationalisme’’ peut aussi bien inspirer la croissance moderne d’une société active et démocratique (et faire progresser toute une société vers la modernité...) que faire naître des Etats totalitaires et agressifs ainsi que des sociétés oppressives et repliées sur elles-mêmes.

On en reste donc alors tout de même assez dubitatif quant au contenu de la conclusion développée par l’auteur [9]. En effet, partant du principe que ’’les nations ne constituent pas une phase de transition mais bel et bien la forme même de la vie des sociétés d’Europe centrale’’ et au motif qu’il s’agisse là de ’’permanences essentielles’’, Bernard Michel affirme qu’il faut donc ’’cesser de croire qu’il serait possible d’imposer une société sans nation’’.

Mieux, ces nationalismes ’’n’étant pas incompatibles avec la démocratie’’ (?!), ils pourraient ’’beaucoup lui apporter, à condition toutefois qu’on sache les reconnaître et les utiliser’’, ’’les nationalismes (étant) des forces qu’il faut savoir maîtriser et diriger’’.

Une conclusion ambiguë, paradoxale et surprenante puisque finalement quelque peu complaisante à l’égard du fait national. L’auteur de cet ouvrage ayant précisément développé, jusque là, une argumentation extrêmement critique à cet égard et n’ayant guère hésité - jusque là - à dénoncer certains aspects clairement totalitaires et éminemment antidémocratiques du phénomène nationaliste...

« Nations et nationalismes en Europe centrale » (XIXe - XXe siècle) :

Un ouvrage de l’universitaire Bernard Michel (alors directeur du centre de recherches sur l’Europe centrale contemporaine et professeur à l’université Paris-I).

Document paru en septembre 1995 aux éditions Aubier, dans sa ’’Collection historique’’ (325 pages).

Acheter cet ouvrage sur le site de vente on line Amazon.

En couverture : Alfons Mucha, ’’Slavia’’ (Tableau exposé à la « Narodni Galerie V Praze », i. e : « Galerie nationale » de Prague).

Mots-clés
Notes

[1Cf. page 7.

[2Cf. page 15 ; Propos et citations tirés de l’ouvrage (publié en 1977) d’Hugh Seton-Watson « Nations and States, an enquiry into the origins of nations and the politics of nationalism » (p. 67).

[3Cf. page 13 ; Propos et citations tirés de l’ouvrage (publié en 1983) de Benedict Anderson « Imagined communities. Reflections on the origins and spread of nationalism » (p. 14 et 16).

[4« Qu’est-ce qu’une Nation ? », Conférence donnée par Ernest Renan à la Sorbonne, le 11 mars 1882 : Document que l’on retrouvera in extenso dans ses « Oeuvres complètes », tome 1 (édition de 1947), pages 887 à 906.

[5Cf. pages 12 et 16.

[6Cf. pages 16-17.

[7Cf pages 8 et 9.

[8Cf. page 12 ; Propos et citations tirés des ouvrages d’Ernest Gellner « Thought and change » (p. 174) (1972) et « Nations and nationalism » (p. 67) (1988).

[9Cf. pages 17 et 18.

Vos commentaires
  • Le 5 mars 2007 à 12:07, par Papageno En réponse à : Nations et nationalismes en Europe centrale

    J’ai de jolis souvenirs des cours d’histoire contemporaine de l’Europe centrale de Bernad Michel et le remercie encore pou l’intérêt qu’il a depuis porté à mes traveaux. Il a toujours eu je crois un regard assez ironique envers le nationalisme et m’a semblé aborder cette notion à la fois avec beaucoup de détachement et de pessimisme. Néanmoins, ça réflexion frranche de préjugé a toujours su montrer la complexité et la richesse des société centre-européennes.

    je vous recommande la lecture de son Histoire de Prague.

  • Le 7 mars 2007 à 15:49, par Ronan En réponse à : Nations et nationalismes en Europe centrale

    Je garde moi aussi des souvenirs assez clairs (et cependant pleins d’interrogations, de confusions et d’ambiguités...) des cours d’Histoire contemporaine de Bernard Michel, quand j’étais moi aussi étudiant en Histoire, à Paris I, dans les années 1994-1997.

    Des souvenirs plein d’interrogations, car il n’est pas toujours très simple de suivre le Maître dans le droit fil de sa pensée et de savoir (comme de comprendre) quelle est l’appréciation personnelle exacte que le Maître cherche à exprimer à l’égard du Nationalisme. Parfois critique, souvent complaisant (et avec des doutes et des commentaires personnels à demi camouflés sous une bonne dose d’ironie, feinte ou réelle, va savoir...).

    Disons donc qu’en bon historien, il cherche donc surtout à décrire ce qui fut et ce qui est (mais non sans commentaires personnels, appréciations politiques parfois contestables, incohérences, contradictions, voire arrières pensées...).

    A ce titre, revenons donc aux fondamentaux : quant à l’appréciation à donner au phénomène idéologique appelé ’’nationalisme’’ (comme pour tout le reste, d’ailleurs...) ’’si les faits sont têtus, les commentaires sont libres’’...

  • Le 13 mars 2007 à 10:48, par Shift Mag En réponse à : Nations et nationalismes en Europe centrale

    Le sujet des identités et du nationalisme en Europe est justement le premier thème que traite le premier numéro du magazine SHIFT Mag. Il propose un regard particulier sur l’Europe, sa diversité et son originalité et explore également le terrain du nationalisme et des identités en Europe via neuf contributions européennes : « Little Italy or... Forza Europa », l’indépendance du Montenegro, ou encore « España : 2 - Europe : 0 »,...

    http://www.shiftmag.eu

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