Médias : l’Europe et nos élections régionales, un sujet « maltraité »

Le casse-tête médias

, par Audrey Tricoit

Médias : l'Europe et nos élections régionales, un sujet « maltraité »

Pour les élections régionales de mars 2010, tous les médias, ou presque, semblent contraints d’escamoter l’analyse de fond des projets politiques. Ainsi, alors qu’elle fait leur force, la relation des régions à l’Europe reste totalement occultée. Avec ce déni d’Europe en supplément, l’abstentionnisme confortablement érigé en « sujet star », apparaît symptomatique d’une défiance et d’un questionnement du citoyen.

Les régions françaises sont un acteur majeur du niveau subnational. Si la campagne pour la reconnaissance du mot "subsidiarité bat son plein, plus que jamais les régions ont besoin de l’Europe. Partenaire voulue discrète et incontournable à la fois, l’Union européenne demeure leur « meilleure amie ». Grâce à leurs activités de lobbying, les régions défendent leurs intérêts et exercent leur influence auprès de la Commission européenne et du Parlement européen en matière de législation européenne. L’Union européenne (UE) fait aussi office de plateforme pour des réseaux régionaux étendus et stratégiques (ARE, CRPM, FOGAR, FEDARENE, Eurocities…) dédiés à l’échange et aux partenariats d’excellence, notamment en termes d’innovation économique. Ainsi, la Commission européenne met en avant le niveau régional pour agir sur la question du changement climatique. Entre 2007 et 2013, grâce à une politique régionale axée sur le développement économique et social, nos régions toucheront 14,3 milliards d’euros au titre des fonds européens. En termes de flux financiers, la place et le rôle de l’Europe sont donc massifs pour les budgets régionaux.

Escamoteurs malgré eux

A l’heure où l’émotion envahit l’espace médiatique, les politiques veulent plaire. Quelques secondes de journal télé les forcent à la vulgarisation, aux raccourcis les plus extrêmes. Ces « fast-discours » minimum tronquent jusqu’à l’essentiel pour espérer faire retenir quelques mots-clés. Bien malgré eux, l’ensemble des projets politiques s’étiolent alors en substance et en essence.

A cela s’ajoute le fait que l’élu local lambda est insuffisamment formé aux questions européennes et à leur technicité. Or, parler du rapport privilégié entre UE et région, complexifierait-il le débat ou bien le rendrait-il plus pertinent, plus cohérent ? En-dehors de la presse écrite, l’espace-temps dédié au débat régional et à la parole du politique mieux explicitée, manque, assurément.

L’info en porte-à-faux

Une fois encore, les citoyens n’échappent pas à une litanie journalistique relayant la fameuse prédiction d’un taux d’abstention record. Le rôle de l’Union, si bénéfique soit-il, n’est pas mis au premier plan. On peut d’ailleurs s’interroger sur la valeur informative, voire même incitative, d’une telle prédiction. Le temps de la campagne électorale devrait être mis au profit d’une analyse soignée des idéologies. Pour autant, on ne peut blâmer un journalisme mal à l’aise : devant l’ampleur de la tâche (22 régions à couvrir) et le manque de moyens des antennes locales, leurs difficultés sont multiscalaires [1]. Ainsi, l’exercice des politiques comparées semble finalement troqué au profit de la loi du « Buzz », du fait-divers, laquelle se surajoute à la dictature de l’audimat.

En France, il y aurait également un a priori tenace selon lequel les questions communautaires feraient fuir audimat et lectorat. En concurrence avec le succès des réseaux sociaux (efficaces tant en furtivité qu’en sérendipité [2]), le rapport coût-bénéfice est vite établi : la forme est alors privilégiée au fond. Ensuite, le manque patent de maîtrise du fonctionnement des institutions européennes limite la portée d’investigation. Les journalistes français à Bruxelles sont toujours sous-représentés. Enfin, il n’y a pas « d’espace public européen » pour l’ensemble du continent pour les journalistes et pour le peuple (canaux télévisuels communs, temporalités communes, lieux d’échanges, politiques culturelles…). Il manque aussi une véritable place pour le débat et la présentation des institutions, de leur mode de fonctionnement et de vie. Si les stratégies et les positionnements passionnent les politologues, le citoyen lui est en demande de logos : des propositions et des discours consistants.

L’abstention progresse, mais la demande de compréhension et d’offre politique n’a jamais été aussi forte. Y répondre devient une exigence pour défendre le fonctionnement démocratique.

Active-toi et le média t’aidera

Le chercheur avait déjà répondu à la question de savoir pourquoi les électeurs boudent les élections européennes. Et aujourd’hui, bis repetita ? S’agissant des élections « régionales », avec pourtant des identités historiques et culturelles souvent solidement ancrées dans les territoires, cela paraît paradoxal. Le citoyen - imaginé comme fuyant les urnes - serait-il victime d’un cercle vicieux dans lequel politiques et journalistes cherchent à le rattraper grâce à un message amputé ? La compréhension globale de nos institutions en ressort davantage brouillée par un discours calibré pour des rendez-vous électoraux en apparence compartimentés.

Le citoyen doit avoir le courage d’affronter la complexité du débat. Il est responsable de sa demande d’information, par exemple à travers les sondages d’attentes. Pour interpeler le politique au-delà des polémiques, l’époque lui offre la possibilité de moyens modernes, une palette d’outils Web2.0 et le développement de la démocratie locale. Alerter sur son besoin didactique permet aussi de rectifier le tir et de favoriser un cercle vertueux. De fait, il est urgent de dépasser les seuls débats nationaux ou relatifs à l’Union économique.

Dès lors, un citoyen qui s’intéresse pleinement à la question sociétale, ressent la démocratie et se sent proche de sa région, c’est déjà un citoyen qui participe activement à la politique européenne.

Illustration : représentation d’un vote en France

Source : wikipedia

Notes

[1Une démarche multiscalaire a pour but de comprendre l’organisation et l’aménagement d’un territoire en l’étudiant à différentes échelles : mondiale, continentale, nationale, régionale, locale par exemple.

Vos commentaires
  • Le 10 mars 2010 à 14:16, par Kevin Jezequel (JE-Bretagne) En réponse à : Médias : l’Europe et nos élections régionales, un sujet « maltraité »

    Bonjour, ce sujet est très intéressant, 2 remarques sur le contenu :

     "Les régions françaises sont un acteur majeur du niveau subnational." Un simple exemple : l’agglomération rennaise a un budget plus ou moins équivalent à celui de la région Bretagne. idem pour les départements (entre 600 et 800 millions d’euros de budget par département pour 1Milliard pour la région). Peut-on dire à partir de la que la région est un acteur majeur ? en tout cas si on compare à ses homologues européennes, certainement pas. Sans compter que sur ce budget régional, une grande partie ne donne pas lieu à des choix de nature politique : il y a de toute façon une certaine somme a consacrer à la rénovation des lycées, que ce soit la gauche, la droite ou autre chose qui soit au pouvoir. et enfin très peu d’autonomie budgétaire : la plus grande partie du budget déjà très faible vient de dotations de l’Etat. à partir de là, comment s’étonner que les électeurs se déplacent peu pour des enjeux si limités ?

     "Le chercheur avait déjà répondu à la question de savoir pourquoi les électeurs boudent les élections européennes. Et aujourd’hui, bis repetita ? S’agissant des élections « régionales », avec pourtant des identités historiques et culturelles souvent solidement ancrées dans les territoires, cela paraît paradoxal." Ca dépend énormément des cas. Pour l’Alsace ou la Corse, certainement. Pour la région centre ou Pays de Loire, l’électeur lambda ne connaît même pas dans bien des cas les limites voir même le nom de sa région ! Cela pose questions non ?

    Autant de questions sur lesquelles c’est au politique de se bouger, au lieu de se plaindre du désintérêt des citoyens et des médias.

  • Le 10 mars 2010 à 15:05, par Cédric En réponse à : Médias : l’Europe et nos élections régionales, un sujet « maltraité »

    Le rôle financier de l’Europe n’est pas « massif » pour les Régions. Les fonds structurels représentent certes 14,3 Md€ pour 26 régions françaises sur 2007-2013, ce qui est considérable pour un pays à PIB élevé. Mais le total des budgets des collectivités françaises, c’est 195Md€ / an, dont 55Md€ / an d’investissement. Les Conseils régionaux seuls représentent 24,5Md€ / an, dont 9,5Md€ /an d’investissement.

    Par ailleurs, les fonds structurels ont un fonctionnement assez inefficace, notamment en France : au 1er mars 2010, 29% des enveloppes 2007-2013 étaient programmées, mais seulement 6% effectivement versées aux bénéficiaires. Dans certaines régions, pas un centime n’a été encore versé, car on est toujours en train de boucler les programmes 2000-2006. Ajoutez à cela la complexité des procédures, le fait que le versement effectif d’une subvention intervient dans certains cas 2 ans après la sélection du projet et après l’engagement des frais sur fonds propres par le porteur de projet, vous comprenez l’impact très retatif de la politique régionale et l’intérêt moyen des acteurs locaux (notamment privés) pour ces fonds. Malheureusement, cette politique n’a pas un rôle structurant en France, notamment à cause de l’Etat.

    Je ne serais pas aussi catastrophiste que vous sur la « maltraitance » que subissent les questions d’interaction UE-Régions. Quand certains aspects de ces relations ne sont pas consensuels (application du 1er paquet ferroviaire menant à la libéralisation des transports en commun régionaux, notamment franciliens ; Directive « services » posant la question du statut public de certains services locaux éducatifs et sociaux), alors ils font polémiques, et sont saisis par les partis politiques et les média. Mais s’il s’agit juste de décrire des relations paisibles et des coopérations techniques, ça n’intéresse pas grand monde, c’est comme ça. L’UE et les Régions ne sont pas plus victimes de la logique médiatique que d’autres acteurs de la vie politique.

  • Le 10 mars 2010 à 15:19, par La Chouette En réponse à : Médias : l’Europe et nos élections régionales, un sujet « maltraité »

    Après le fort taux d’abstention, notamment en France, aux dernières élections au Parlement Européen, les autorités européennes ont demandé au cours du second semestre 2009 à un consultant auprès de la Commission Européenne d’établir un état des lieux et des propositions pour améliorer l’image de l’Union Européenne en France. Cette étude doit être rendue dans les prochaines semaines. Selon certaines informations,il semblerait qu’une des pistes retenues serait le rachat par les communes importantes ( plus de 40 000 habitants ) du nom de domaine pour leur extension « .eu », afin de mieux intégrer la dimension européenne dans la vie quotidienne des citoyens, à l’image de Strasbourg, dont l’adresse du site Internet est www.strasbourg.eu . Lors de la création de l’extension européenne aux noms de domaine en 2006, la France n’avait pas jugé bon de réserver l’ensemble des noms de domaine correspondant aux noms de ses collectivités territoriales, contrairement à d’autres pays, jugeant la réservation des noms de domaines à l’extension française ( .fr ) suffisante. Aujourd’hui, seules 35 des 150 plus grandes villes françaises sont propriétaires de leur nom de domaine en .eu. Ce taux de 23% de détention du nom de domaine européen par les communes est l’un des plus faibles d’Europe, où la moyenne est de 84 % (67 % en Allemagne).

  • Le 13 mars 2010 à 21:49, par Benjamin En réponse à : Médias : l’Europe et nos élections régionales, un sujet « maltraité »

    Est-ce que ce sont les médias qui maltraitent les régions et l’Europe, ou est-ce que c’est le système qui intrinsèquement pousse au désintéressement ? L’Europe et les Régions sont totalement différents. Pour les régions, comme de manière générale les politiques en France, elles n’ont plus beaucoup de pouvoirs, à part celui d’être assistante sociale. Alors une assistante sociale c’est important certes, mais les enjeux ne sont pas décisifs. C’est pourquoi je pense que les gens s’en foutent.

    Au fond, que ce soit Huchon, Pécresse ou Dolium, ça va changer quoi sur le fond ? absolument rien. La région ne pèse pas grand chose, ni dans le cœur des français, ni dans les budgets publics.

    Les français ont donc fait leur choix : la droite en national, moins idéologue. Et la gauche en local, pour jouer l’assistante sociale. Le chemin est déjà tracé, du coup, ça n’intéresse personne. Je pense que le traitement des médias et la conséquence, et non la cause de ce désintéressement

  • Le 25 mars 2010 à 15:23, par yacine En réponse à : Médias : l’Europe et nos élections régionales, un sujet « maltraité »

    Et bien moi je pense que vous dites n’importe quoi dans cet article de journal vous alliez parler de l’impact de ces élections régionales sur l’Europe or vous n’en parlez pas !!! c’est decevant !! une lycéenne.

  • Le 28 mars 2010 à 23:33, par Audrey Tricoit En réponse à : Médias : l’Europe et nos élections régionales, un sujet « maltraité »

    Chère Yacine (Lycéenne),

    votre commentaire semble finalement tout à fait symptomatique : votre recherche met en lumière qu’il n’y a (encore une fois) pas eu de « traitement médiatique » de la conséquence des résultats des élections régionales françaises par rapport à la question européenne. Du moins la question a-t-elle été seulement posée ?

    L’article ci-dessus (Médias : l’Europe et nos élections régionales, un sujet « maltraité ») traite du « rapport » entretenu entre les médias, les politiques et leur difficulté de traitement des sujets relatifs à l’Europe politique. Il ne s’agit pas d’un « article politologue » qui ferait l’analyse des stratégies et sociologies politiques en France, ce qui serait un autre sujet. Sa rédaction est d’ailleurs antérieure aux dates des derniers scrutins.

    Votre question n’en demeure pas moins fort intéressante et mériterait à elle seule, un article précisément sur cette thématique.

    En attendant, voici quelques éléments pertinents de réponses :

     le paysage politique qui se fait jour au lendemain des régionales met en évidence une France toute rouge. Les régions sont majoritairement conservées par la gauche : la composition du paysage politique des conseils régionaux n’est pas sensiblement différente. Néanmoins, cette élection des conseillers régionaux est supposée valable pour 4ans. En effet, l’avant-projet de loi sur la réforme des collectivités territoriales, outre les questions posées sur la décentralisation, prévoit, pour la rénovation de la démocratie locale, la mise en place des « conseillers territoriaux » et donc à terme la disparition des conseillers régionaux en 2014. (http://www.courrierdesmaires.fr/items/projet-reformet-juill09.pdf ). La réforme du mode de scrutin modifiera certainement la répartition politique. Il convient à ce titre d’attendre le projet de loi définitif pour savoir exactement quels seront les pouvoirs octroyés aux collectivités territoriales. Pour le moment, les régions, en fonction des décisions des conseils régionaux, peuvent privilégier certains choix stratégiques d’investissement pour les programmes européens dont certaines ont la charge, ce qui n’est pas le cas général (une synthèse intéressante ici : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/administration-francaise-europe/gestion-fonds-structurels.shtml).

     Au lendemain des élections européennes de 2009, nous nous rappelons un Parlement Européen (membres élus pour 5ans, soit un prochain scrutin en 2014) recouvert par une vague bleue. Apparait donc ici une certaine opposition entre les couleurs politiques majoritaires du Parlement Européen et ceux des conseils régionaux en France.

     Qu’on le veuille ou non, les liens entre régions et Europe restent forts, c’est un fait. Que cela soit du point de vue des réseaux ou bien des moyens financiers.

    Derniers exemples en date :

    *Le site web consacré au rapport entre la Région Rhône-Alpes et l’Union Européenne fournit un panorama intéressant des choix de leviers d’action et d’investissement : http://www.rhonealpes.fr/226-les-programmes-europeens.htm http://www.rhonealpes.fr/186-rhone-alpes-a-bruxelles.htm

    * le 30 mars prochain, dans le cadre du cycle Enjeux économiques, sociaux et environnementaux et de l’Année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, la Maison de l’Europe de Paris organise une conférence pour interroger sur « Le Fonds social européen face à la crise en Ile-de-France ». Ils soulignent que : « L’Union européenne est active, près de chez vous, en Ile-de-France ». La région bénéficie de fonds européens qui visent à renforcer sa compétitivité économique et sa cohésion sociale. Le Fonds social européen (FSE) est la plus importante dotation avec 535 millions d’euros pour la période 2007-2013. Il aide des projets liés à l’emploi, à la formation et à l’insertion professionnelle. Comment cet argent est-il dépensé ? Quels projets appuie-t-il ? Qui en sont les bénéficiaires ? Comment le FSE est-il mobilisé face à la crise en particulier pour lutter contre l’exclusion des plus défavorisés et favoriser l’accès au marché du travail ? Ils proposent de découvrir les réalisations des actions soutenues par le FSE en Ile-de-France.

    Sans doute convient-il de s’interroger sur les nouvelles compositions au sein des conseils régionaux :
     si celles-ci influenceront différemment les délégations régionales à Bruxelles ? Les choix de financements en fonction des programmes ?
     Quels rapports les nouveaux conseils régionaux entretiendront avec leurs nouveaux parlementaires européens ?
     Si la prochaine loi sur la réforme des collectivités territoriales influera de manière effective sur la décentralisation et de quelle manière ? Et si oui, quelle implication, quelles améliorations dans la gestion des fonds structurels en France ? Pour quels objectifs ?
     Quel avenir pour le pouvoir des régions françaises et leur place sur l’échiquier européen ?

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom