La construction européenne, dans les gènes de Martin Schulz
« A 16 ans à votre âge, la seule chose que je faisais, c’est jouer au foot » : une introduction à faire pâlir tous les inconditionnels de l’éducation non-formelle car, après une telle entame, le public de lycéens était tout entier à l’écoute du Président Schulz. Un Président qui a adopté un ton très sérieux pour expliquer son attachement à l’idée européenne, fruit d’une histoire familiale « très allemande ». Il a ainsi confié qu’au cours de la Seconde guerre mondiale, il y avait dans sa famille des soldats dans trois différentes armées nationales…C’est cette influence qui l’a « mené vers l’Europe » très tôt. Et ce d’autant qu’à la maison, on parlait politique, entre une mère conservatrice et un père militant du SPD !
Pourquoi l’Europe ? Car « la meilleure protection pour les citoyennes et les citoyens de mon pays, c’est une Union européenne forte, […], voici pourquoi j’ai investi toute ma vie politique dans l’idée européenne ». Au-delà de l’investissement politique, Martin Schulz se définit comme « un Européen allemand et un Allemand européen », car nous jonglons sans cesse d’une identité à l’autre.
Pour Martin Schulz, la construction européenne, c’est avant tout une histoire de valeurs à défendre. L’idée européenne a en effet trouvé son terreau dans une première moitié de XXe siècle meurtrier et une Seconde guerre mondiale où « le racisme, la xénophobie, la destruction totale et l’intolérance systématique étaient la norme ». Alors qu’après la Première guerre mondiale, le Traité de Versailles adressait un message revanchard aux Allemands (« vous allez payer »), ce qui a amené un « racisme sans précédent dans mon pays avec une force destructive », il n’y a pas eu de Versailles bis en 1945. On a réalisé que « si notre continent voulait un jour la démocratie, la paix, il fallait que l’Allemagne soit aidée ». C’est le miracle européen : « des Etats, des Nations, ont décidé de coopérer au lieu de travailler l’un contre l’autre ». Hommage à la capitale alsacienne, « Strasbourg reste le symbole de cette réconciliation à l’origine de l’Union européenne » pour Martin Schulz. Une façon également de montrer son attachement au respect des Traités et au siège du Parlement européen à Strasbourg.
« La démocratie, le respect individuel, la dignité » […] je crois en ses valeurs sur lesquelles sont fondées les démocraties et l’UE », en évoquant par contraste les incendies d’usines au Bangladesh où la sécurité des travailleurs et la liberté syndicale ne sont que d’abstraites chimères. « Une Europe forte, de 500 millions de citoyens, les plus riches du monde [...] où ceux qui veulent importer sur notre marché doivent respecter nos valeurs », c’est pour cette Europe que s’engage quotidiennement le Président du Parlement européen.
Montée des extrémismes en Europe : « Nous n’avons pas peur »
Beaucoup de questions ont émergé quant à la montée en puissance des partis d’extrême droite en Europe, Aube dorée bille en tête en Grèce. Martin Schulz s’en est montré préoccupé mais, dans un fort élan de conviction, a tenu à assurer que « nous n’avons pas peur ». Pour lui, l’Aube dorée n’est pas un parti néo-nazi, comme on se plait à le décrire, mais « c’est un parti nazi ». Du « nazisme pur et simple », qui se caractérise par « la haine contre les minorités, l’intolérance intégrale, un panhellénisme raciste et une volonté de destruction de la démocratie »…Mais Monsieur Schulz met toutefois en garde : il a en effet pu constater des phénomènes similaires ailleurs en Europe, à l’image de « la réaction raciste de la Ligue du Nord à l’encontre d’une Ministre d’origine africaine », Cécile Kyenge, dans le gouvernement d’Enrico Letta en mai dernier : « je ne pensais pas que cela puisse encore être », s’exclame t-il. L’hexagone n’est pas épargné, puisque « le président d’un mouvement en France a dit qu’Auschwitz, c’est un détail de l’histoire. Or lui et sa fille siègent au Parlement européen ». Aube dorée est donc certes un gros arbre, mais qui cache une véritable forêt…
Le Président du Parlement européen s’est également montré préoccupé par la montée, malheureusement concomitante, de la germanophobie dans certains Etats-membres, car « juger par la nationalité plutôt que par les idées politiques » relève d’une démagogie de première classe. D’autant qu’historiquement, « les Allemands ont à cœur de protéger l’Union européenne ». Un ton réaliste qui n’a pas manqué de faire son effet auprès des lycéens…
Quels « lendemains qui chantent » pour l’Union européenne ?
L’actualité n’est pas rose dans notre Union. Martin Schulz ose même (la langue de bois était restée aux portes de la classe) : « L’Union européenne est dans un état lamentable ». […] nous sommes en route pour perdre la confiance de nos concitoyens ». Et pourtant, le potentiel est énorme, ce que le Président du Parlement constate lorsqu’il voyage hors d’Europe : en Amérique du Sud, en Asie, « des gens nous admirent pour le projet européen », voilà qui donne des vitamines !
Dans l’immédiat, un certain nombre de sujets révèlent ces dysfonctionnements. Le drame récent à Lampedusa en est une éclatante illustration. La Méditerrané, « c’est notre mer et il ne faut pas permettre que cette mer devienne un cimetière », a-t-il dit, espérant que les pêcheurs qui ont sauvé des migrants ne seront pas poursuivis par les autorités italiennes pour soutien à immigration clandestine. Ils devraient plutôt « être décorés » ! « Le terrorisme, la faim, la guerre civile » sont les raisons pour lesquelles des gens veulent atteindre notre continent : « les gens viennent par désespoir ». Pour le Président du Parlement, « il faut les aider sur place ». « Les gens qui sont dans l’eau s’en foutent de notre débat […] ils ont besoin d’aide immédiate, c’est inadmissible ». Alors que certains estiment qu’un tel drame dissuadera les migrants futurs, M. Schulz s’interroge : « quelle sorte d’argument délivre t-on lorsqu’on accepte le naufrage des uns pour faire peur aux autres… Quelle décadence d’esprit » […] Nous avons une immigration illégale parce que nous n’avons pas de stratégie pour l’immigration légale ». Voilà qui a le mérite d’être clair.
Sur la place du Royaume-Uni dans l’Union européenne, Martin Schulz s’est montré favorable à ce que ce pays reste dans l’Union européenne, car « on est plus forts ensemble ». Néanmoins, il a nuancé dans la mesure où « si les citoyens du Royaume-Uni veulent voter contre, ils le peuvent […] car c’est un pays souverain », et regretté « une propagande qui n’est pas la réalité », selon laquelle « tout le bien vient de Londres, tout le mal de Bruxelles ou Strasbourg » : le Royaume-Uni aurait fort besoin d’une section des Jeunes Européens influente et efficace !
Si cet Etat pourrait quitter l’UE, un autre, la Turquie, pourrait y rentrer : du moins Martin Schulz y est-il favorable. « l’Union européenne n’est pas un club chrétien », et pendant ses deux premiers mandats, le Premier Ministre AKP Erdogan a accompli de « grandes réformes » rapprochant son pays des valeurs de l’Ouest. Il a toutefois déploré que l’éventualité de l’adhésion semble s’éloigner, notamment au vu du durcissement du régime turc depuis les débuts du troisième mandat d’Erdogan.
Et l’intégration européenne dans tout ça ? « Si le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne ou Italie explosent, nous sommes tous perdus. Nous sommes tous dans cette réalité commune ». Cela doit nous pousser vers davantage d’intégration, pour Martin Schulz. Et « si le cadre n’est pas approprié, faut-il remplacer l’Europe par le nationalisme ? Non ! N’abandonnons pas l’idée, réformons le cadre ». Selon lui, il y a bien une alternative à la construction européenne, c’est la « renationalisation », ce qui ne serait guère efficace. Sur les négociations de l’accord de libre-échange UE-USA par exemple, la France ne serait clairement pas assez forte pour négocier d’égal à égal avec les Etats-Unis pour défendre l’exception culturelle.
En guise de conclusion, Martin Schulz a appelé les élèves à être les acteurs de la construction européenne pour le XXIe siècle, car les justifications de la construction européenne au début des années 50 ont perdu de leur acuité, ce que ne cessent de clamer les Jeunes Européens : l’Europe c’est l’avenir, un espace d’opportunités, d’échanges et d’enrichissements mutuels et plus seulement la paix, certes inestimable, entre les nations. C’est ce discours là, positif et plein d’espoir, qu’il nous faut imposer pendant la campagne des élections européennes pour gagner l’adhésion et la participation des citoyens européens !
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