Les lobbyistes européens doivent se doter eux-mêmes de leur propre serment d’Hippocrate

, par Charlotte Lerat

 Les lobbyistes européens doivent se doter eux-mêmes de leur propre serment d'Hippocrate

Interview de Sophie Delair-De Beir, Directrice du Bureau de Bruxelles de Publicis Consultants, agence spécialisée en affaires publiques européennes et relations presse. Elle nous donne son point de vue sur la réglementation européenne du lobbying et nous explique pourquoi elle plaide en faveur d’une autoréglementation de la profession.

Le Taurillon : Le Taurillon : Le groupe Publicis prône les principes de gouvernance, d’éthique et de responsabilité sociale sur son site Internet et il est inscrit au registre des groupes d’intérêts du Parlement européen. Pourquoi alors ne fait-il pas partie des 3178 lobbyistes inscrits à ce jour au registre des représentants d’intérêts de la Commission européenne ?

Sophie Delair-De Beir : En effet, ces valeurs ont toujours été prônées par le groupe et ce bien avant toute règlementation en matière de lobbying européen. Cela touche au fondement même de notre conception de la relation que nous avons avec nos clients. Publicis Consultants Bruxelles ne fait pas encore partie du registre de la Commission pour de simples raisons pratiques. En effet, nous venons de finaliser le rapprochement des deux sociétés du groupe actives à Bruxelles en matière d’affaires publiques européennes, à savoir JKL et Publicis Consultants. Le communiqué de presse annonçant ce rapprochement date d’il y a seulement dix jours.

JKL est leader dans les pays scandinaves et accompagne de nombreuses entreprises dans leurs démarches auprès des institutions européennes. Publicis Consultants, jusqu’à présent plus tourné vers les clients français, était également présent. Afin de mieux servir nos clients et de pouvoir leur proposer une équipe plus importante, plus internationale et d’offrir des expertises plus variées nous avons fusionné ces deux entités sous le nom de MSL GROUP. Cette nouvelle entité est celle de l’ensemble de notre réseau à travers le monde pour toutes nos activités en matière de RP, relations publiques et évènementiel. Nous attendions son lancement pour nous enregistrer. Nous n’avons naturellement rien contre le registre. Nous voudrions cependant que tous les acteurs soient concernés, ce qui n’est pas le cas pour le moment.

Le Taurillon : Compte tenu de la lenteur de la mise en place d’une réglementation du lobbying au niveau européen, est-il préférable pour les consultants de suivre leur propre code de déontologie ?

Sophie Delair-De Beir : Nous savons tous que les bonnes pratiques, quelque soit le domaine, sont sujettes à différentes interprétations. Pour cette raison, je crois qu’un code de déontologie unique, sur lequel l’ensemble de la profession puisse s’appuyer, serait une bonne solution. Un code de bonne conduite a été élaboré par SEAP et constitue une bonne base. Il me paraît plus intéressant que la profession s’organise et rédige elle-même son propre code de déontologie plutôt que de compter sur les institutions européennes pour en créer un. C’est à nous de nous montrer responsables et de faire le ménage dans nos rangs, si cela s’avère nécessaire. Il en va de notre crédibilité et de nos bonnes relations avec les institutions européennes et leurs représentants.

Le Taurillon : La création d’Ecoles européennes du lobbying comme celle créée par Daniel Guéguen est-elle la solution ? En d’autres termes, une certification de la profession est-elle la réponse au manque de réglementation ?

Sophie Delair-De Beir : C’est un bon début en l’absence de base unique. J’ai moi même suivi un certificat de ce style au début de ma carrière puis le certificat sur le code de bonne conduite lors de mon adhésion à SEAP. Je crois qu’il serait intéressant de faire des mises à jours de temps à autres afin de rappeler à chacun les règles de bonne conduite. Au moins une fois tous les cinq ans me parait un bon rythme.

Le Taurillon : Faut-il un serment d’Hippocrate du lobbyiste européen ou bien une Autorité européenne de régulation du lobbying chargée du contrôle de la profession ?

Sophie Delair-De Beir : C’est l’idée que j’ai voulu exprimer lors des réponses précédentes : je crois que c’est à nous de nous prendre en charge plutôt que de compter sur une autorité extérieure. Une sorte de serment d’Hippocrate me paraît être une bonne formule. Ce qui est important c’est qu’il existe des sanctions en cas de mauvais comportement et que celles-ci soient appliquées. Ainsi, chacun sera ce qu’il risque en cas de comportement frauduleux.

Pour que les règles soient vraiment appliquées, il faut que les sanctions soient réelles et puissent aller jusqu’à l’exclusion de la profession, comme cela existe dans d’autres secteurs. Il en va de la crédibilité d’une profession qui est souvent mal perçue par le grand public.

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Vos commentaires
  • Le 11 novembre 2010 à 10:54, par un assistant parlementaire anonyme En réponse à : Les lobbyistes européens doivent se doter eux-mêmes de leur propre serment d’Hippocrate

    Travaillant pour un député européen, je suis en intéraction constante avec des lobbystes. Cette idée d’auto-régulation de la « profession » me semble pour le moins surprenante. La personne interviewée dans l’article ne représente qu’une petite partie de la représentation d’intérêts : les lobbyistes professionnels organisés en cabinets de consultants et au service de clients divers.

    Les consultants en lobbying n’ont pas une légitimité propre car ils représentent leur client, lequel a fait appel à eux généralement par manque de moyens logistiques.

    Vouloir établir des règles du lobbying me semble vraiment ridicule car la représentation d’intérêts repose sur la confiance :
     entre le consultant et le client qu’il représente (cette confiance prend d’ailleurs la forme d’un contrat)
     entre le lobbyiste et ses « cibles » (Commission, députés...)

    Il ne faut pas non plus prendre les cibles du lobbying pour des idiots : nous savons très bien identifier les intérêts en jeu et faire la part des choses. L’expertise des lobbyistes nous est extrêment utile et nous n’avons pas le sentiment de la subir. Au contraire, nous l’utilisons, lorsqu’elle nous semble pertinente, pour justifier et renforcer nos propres positions politiques.

    Le lobbying est absolument légitime comme activité politique. Sa réglementation formelle est en revanche une idiotie car tout repose sur des relations de confiance « dans l’ombre » sur le long terme.

  • Le 13 novembre 2010 à 09:25, par Takla En réponse à : Les lobbyistes européens doivent se doter eux-mêmes de leur propre serment d’Hippocrate

    Quel est en réalité le meilleur moyen de marginaliser les lobbies ? De réduire leur influence, leur impact ? D’éviter les abus, la corruption ?

    C’est très simple : un État (fédéral européen en l’occurrence) non-interventionniste sur le plan économique et faiblement interventionniste sur le reste. Donc un État minimum, un État qui n’a pas de pouvoirs étendus.

    Le résultat : sans pouvoir notoire (sauf pour la diplomatie, l’armée, etc. bien sûr), l’État ne sera simplement et mécaniquement plus intéressant ni alléchant pour les lobbies. C’est purement logique.

    Plus besoin de légiférer (des Lois que tout le monde contournera) ni de parler d’éthique de lobbyistes (une belle hypocrisie).

  • Le 14 novembre 2010 à 10:40, par Julien-223 En réponse à : Les lobbyistes européens doivent se doter eux-mêmes de leur propre serment d’Hippocrate

    Quelle belle utopie ! Vous allez lancer un nouveau grand soir ?

    Malheureusement, ce dont vous parlez n’existe pas, même outre-atlantique. Il n’y a pas d’économie qui tienne la route sans régulation.

  • Le 17 novembre 2010 à 16:28, par Charlotte Lerat En réponse à : Les lobbyistes européens doivent se doter eux-mêmes de leur propre serment d’Hippocrate

    Attention, il n’a été sous-entendu à aucun moment lors de l’interview, ni dans les questions, ni dans les réponses, que le lobbying était une activité illégitime ou inutile à l’Union européenne, bien au contraire. Pour autant, il me semble utopique de croire que cette activité puisse rester en dehors de toute réglementation, que cette dernière soit auto-conduite ou exercée par une structure indépendante. Étant donné la prédominance du lobbying à Bruxelles, prôner un encadrement de cette pratique a du sens afin d’éviter toute dérive. Le député européen pour lequel vous travaillez et vous-même faites certainement preuve d’intégrité, ce n’est pas forcément le cas de tous. Et si c’était le cas et que la confiance était omniprésente, pourquoi alors craindre une réglementation ?

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