Le piège d’un traité 17+

, par Valéry-Xavier Lentz

Le piège d'un traité 17+
Poignée de main entre David Cameron, à gauche, et José Manuel Barroso Services audiovisuels de la Commission européenne http://ec.europa.eu/avservices/photo/photoDetails.cfm?sitelang=fr&ref=P-019890/00-01#0

La crise de l’Union européenne n’est pas une crise économique mais une crise politique. Le Premier ministre britannique a précipité celle-ci. En refusant la recherche d’un compromis acceptable par tous, il a forcé la recherche d’une solution inédite en dehors du cadre existant de l’Union européenne. Là où certains voient une occasion exceptionnelle de rompre avec le dogme de l’unanimité qui empêche tout progrès significatif de la construction européenne, d’autres y voient un piège mortel, la tentation de s’affranchir de l’acquis institutionnel et démocratique pour imposer sous le prétexte de la crise de la dette une régression intergouvernementale.

Le Royaume-Uni n’a pas été exclu, il a exclu les autres

David Cameron s’efforce d’imposer dans son pays la thèse d’une “victoire” où, à l’image d’un Winston Churchill (“fight them on the beaches) il aurait courageusement mis en déroute la tentative franco-allemande d’un diktat venant nuire aux intérêts nationaux. Ici, Nicolas Sarkozy explique qu’un chantage inacceptable en vue de privilégier les intérêts financiers de la City londonnienne a été déjoué.

Au delà de ces effets de manche il semble d’une part que le résultat du sommet soit d’abord l’échec d’une tactique de négociation maladroite du chef du gouvernement britannique et d’autre part que l’hypothèse de son adhésion à une quelconque solution commune était compromise par les gages qu’il a dû donner aux ultra-nationalistes de son parti lors de son arrivée au pouvoir.

Dans le contexte de la crise de la dette, David Cameron aurait exigé de revenir sur des règles de décision à la majorité qualifié convenues depuis l’Acte unique (cf. : The moment, behind closed doors, that David Cameron lost his EU argument last night) . Il s’agissait ici non pas de défendre des intérêts qui n’étaient en réalité en rien menacés par le nouvel accord mais plutôt de tirer parti du sentiment d’urgence de ses partenaires pour obtenir une victoire politique interne à court terme. Jusqu’à présent les compromis successifs consistaient à accorder au Royaume-Uni une exemption spécifique tout en laissant l’Union progresser. L’exigence de David Cameron était inédite. Elle consistait à exiger pour avancer sur certains points des reculs dans d’autres domaines. Cette innovation en a entraîné une autre : pour la première fois, le chantage au veto a été ignoré et contourné.

David Cameron a surestimé sa position de force dans la négociation. Non seulement la pression pour aboutir était exceptionnelle mais de plus sa propre politique avait sans doute déjà fait perdre toute illusion sur sa capacité à faire ratifier un accord qu’il aurait signé. En effet, les députés conservateurs ont adopté sous la pression de leur aile droite le “referendum lock” (cf. British MPs vote on EU ’referendum lock’) , un engagement à soumettre à référendum tout transfert de compétence du Royaume-Uni vers l’Union européenne, que ce soit dans le cadre d’un nouveau traité ou même dans le cadre des procédures existant dans le traité actuel. Une telle décision empêche toute avancée de l’Union européenne tant que le Royaume-Uni en est membre, compte tenu de l’état du débat public dans ce pays en ce qui concerne les affaires européennes. Pas conséquent, obtenir la signature de David Cameron sur ce traité aurait certainement signifié qu’il soit mort-né, ce que les pays membres de l’eurozone ne pouvaient pas se permettre. On ne peut dès lors s’étonner que les exigences du leader conservateur n’aient pas été très longuement examinées.

D’autres expériences hors-traité ont déjà été mises en oeuvre pour contourner les réticences des gouvernements les plus conservateurs. On pense ainsi au traité de Schengen, depuis intégré au sein de l’Union (sans les britanniques naturellement). La différence est que seule une poignée de pays y participaient à l’époque, mais que c’est aujourd’hui tous les membres sauf un qui doivent passer par un traité ad hoc, non pas de leur plein gré mais parce qu’ils y ont été contraints. Le gouvernement britannique ne s’est pas mis hors de l’Union : il en a expulsé les autres et l’a détourné à son seul profit.

Il prétend à présent essayer d’empêcher l’utilisation des institutions communautaires dans le nouveau traité (cf. §3 : Britain, not leaving but falling out of the EU). C’est là qu’est précisément tout l’enjeu politique de cette crise.

La tentation d’une régression intergouvernementale

Selon Jean Quatremer (cf. Le traité sur « l’union budgétaire », un « serment du jeu de Paume » de la rigueur) il semble que ce ne soit pas heureusement ce vers quoi l’on s’oriente. Le blocage d’une Union européenne qui s’est élargie sans se réformer en conséquence, notamment en conservant pour la révision des traités la règle d’une ratification à l’unanimité est désormais irréversible. Sur les quatre derniers traités, un seul a pu être ratifié sans incident. L’hypothèse selon laquelle le traité 17+ serait une occasion de s’affranchir de cette règle stupide est donc très séduisante. La Commission et le Parlement peuvent en effet dans le cadre de leurs compétences décider de se saisir des objectifs et de faire leurs les politiques envisagées par les 26. Elles leur conféreraient ainsi toute la légitimité de l’Union européenne existante et des les inscriraient dans le prolongement de l’acquis communautaire.

Le risque est toutefois que conclure un tel traité hors des institutions actuelles de l’Union, ne permette aux gouvernements d’imposer des mécanismes purement intergouvernementaux. La tendance de ces dernières années a été en effet en ce sens. Cette approche, qui semble avoir la préférence d’un Nicolas Sarkozy, serait une régression majeure (cf. : Nicolas Sarkozy rêve d’une Europe sans Commission européenne).

Gageons qu’en temps de crise, la tentation d’en tirer prétexte au nom de l’efficacité pour se passer de la séparation des pouvoirs et du débat démocratique est grande. Peu importe que la crise soit elle-même la conséquence du manque de contrôle de ces mêmes gouvernements nationaux. Mais d’ores et déjà il est certain que nous ne bénéficieront pas du travail d’une Convention telle qu’elle avait été prévue par le traité de Lisbonne, ce qui fait retomber le mécanisme de préparation du traité dans le pêché originel de la conférence intergouvernementale (et ses fameuses portes closes). Outre l’efficacité très contestable de ce type de méthode, il est essentiel aujourd’hui de se rendre compte qu’un tel procédé ne peut que condamner le nouveau traité aux yeux des citoyens européens.

Le fédéralisme implique à la fois une autonomie du pouvoir fédéral (il est distinct des gouvernements des États-membres, c’est ce qu’est, ou devrait être, la Commission) et la participation directe des représentants des citoyens (le Parlement européen participe à la définition des lois européennes). Le soi-disant “fédéralisme intergouvernemental” est une imposture éhontée qui vise à retirer le pouvoir aux institutions démocratiques nationales sans le confier aux institutions démocratiques de l’Union.

Les traités européens jusqu’à présent ont été des compromis entre la vision des nationalistes, celle d’un État national pleinement souverain, et celle des fédéralistes d’un exercice en commun de la souveraineté dans le cadre d’institutions démocratiques supranationales. Chaque traité comportait des avancées dans notre sens ce qui explique le soutien que nous leur avons apporté. Si le nouveau traité ne devait pas faire la part belle aux institutions européennes, notamment la Commission et le Parlement pour privilégier abusivement le Conseil européen transformé en un præsidium de l’eurozone, il représenterait une régression et non pas un progrès. Dans un tel contexte il me semble naturellement difficile qu’il recueille le soutien des fédéralistes.

La négociation de ce nouveau texte et de ses détails devra donc faire l’objet de la plus sévère vigilance. Les faits ont prouvé que les fédéralistes avaient vu juste à l’époque de Maastricht en regrettant l’inachèvement de l’union monétaire. Alors que la crise a démontré l’inefficacité tragique de la méthode intergouvernementale, une tentative de la “graver dans le marbre” serait particulièrement malvenue.

Vos commentaires
  • Le 16 décembre 2011 à 09:01, par Charles En réponse à : Le piège d’un traité 17+

    Au RU, 59% pour Cameron, 19% contre, plus ou moins democratique, non ?? Que l’EU soit aussi democratique...

  • Le 16 décembre 2011 à 10:49, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Le piège d’un traité 17+

    Vous parlez de sondages manifestement.

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