Le périple de Lisbonne

, par Jean-Baptiste Kastel

Le périple de Lisbonne

Saluons la détermination des chefs d’État et de gouvernement européens à doter l’Union élargie d’un cadre institutionnel et de procédures la mettant en capacité d’accomplir plus efficacement les missions assignées. Pourtant le traité modernisant les institutions de l’Union a été soumis à un processus long et déplaisant.

Le parcours pour arriver jusqu’au traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, fut vécu comme un véritable calvaire. L’idée de doter l’Union d’une constitution a germée dans les esprits en décembre 2000 au sommet de Nice. Ce n’est qu’en 2001 au sommet européen de Laeken (Belgique) que les chefs d’état et de gouvernement ont décidé de convoquer une Convention chargée d’élaborer un texte, dont les travaux ont commencé le 28 février 2002. A l’époque l’Union n’est composé que 15 membres et la Constitution possède pour objectif principal d’assurer son fonctionnement le jour ou elle accueillera les états d’Europe centrale et orientale. Un texte est enfin adopté le 18 juin 2004, et signé à Rome le 29 octobre de la même année par tous les États membres.

Une allée pavoisée d’embûches

Cette loi fondamentale commune doit mener l’Europe sur la voie de l’intégration politique et synthétiser près d’un demi-siècle d’acquis communautaires. Un an après les référendums organisés en France et aux Pays-Bas rejettent le traité établissant une constitution pour l’Europe, l’on essaya de sauver ce qui peut l’être les deux années suivantes mais il faut préciser la perte des symboles d’une intégration européenne : le drapeau, l’hymne et la devise européenne disparaissent des textes suite à la demande de pays qui ne veulent pas de l’idée même d’une Europe politique et le ministre des affaires étrangères devient un haut représentant.

Le traité de Lisbonne est signé en décembre 2007 et compte 27 États membres, les deux pays réfractaires au précédent traité passent outre la voie référendaire et ratifient le traité par voie parlementaire. Mais l’histoire ne se termine pas ici, le non irlandais par 53,4 % le 13 juin 2008 plonge l’Union dans une nouvelle crise institutionnelle. Ne pouvant se permettre de rester sur un tel échec les pays membres de l’Union proposent un nouveau référendum en assurant certaines garanties au pays, les irlandais sont assurés que le traité ne conduira pas à une harmonisation fiscale, ni à l’autorisation de l’avortement et ils conserveront un commissaire à la commission. Le miracle se produit le 3 octobre 2009 par un oui à 67 % mais quand ce chemin de croix semble terminé avec le oui irlandais en octobre 2009 il faut attendre que Donald Tusk et Waklav Klaus ratifient le traité.

Ce long processus montre que les pays membres ont perdu l’esprit de solidarité européen. Les débuts de l’Europe institutionnelle ont vu les pays animés par un esprit de solidarité disparaissant avec le réveil des égoïsmes nationaux plaçant la recherche d’intérêts nationaux avant ceux de l’Union. Cette aventure n’est pas glorieuse, même si le traité de Lisbonne modernise et facilite le fonctionnement de l’Union, le chemin pris montre les limites de la capacité d’organisation politique, les décisions prises à l’unanimité font notamment parties des lacunes de l’Union.

Une unanimité, toujours, bloquante

Il est indispensable que l’Union s’affranchisse de cette règle. Il serait bon de cesser d’exiger la ratification de tous les États membres pour l’entrée en vigueur d’un nouveau traité modifiant les aspects institutionnels de l’Union. Le traité prévoit tout de même de nouvelles règles concernant les modalités de vote et étend le champ d’application de la majorité qualifiée (immigration et asile, énergie, espace…). Entre le 1er décembre 2009 et 1er novembre 2014, la majorité qualifiée est acquise lorsqu’un texte (proposé par la Commission) recueille 255 voix sur 345, exprimant au moins 50% des États membres (2/3 des États membres si le texte n’est pas proposé par la Commission) et, si un État en fait la demande, représentant au moins 62 % de la population de l’UE.

À partir de 2014, les règles de la majorité qualifiée changeront pour mettre en œuvre le nouveau système d’une double majorité. Selon les nouvelles règles du traité de Lisbonne appliquées à partir de 2014, un texte devra recueillir la voix de 55 % des États membres (soit 15 d’entre eux dans une UE à 27) représentant au moins 65 % de la population de l’Union, pour être adopté. Une minorité de blocage devra inclure au moins 4 États membres.

Cependant les affaires étrangères, la défense, la fiscalité ou encore la sécurité sociale restent soumis au vote à l’unanimité, sujets qui vont de nouveau plonger l’Union dans la paralysie. Les questions institutionnelles ne vont plus êtres d’actualité, face au traumatisme de Lisbonne les chefs d’État et de gouvernement européens ne vont surement pas réitérer un épisode aussi « glorieux », la population européenne quand à elle n’aura surement plus envie de parler de choses si intéressantes que l’édification institutionnelle de l’Union, pourtant fondamentale. Ainsi les prochaines mesures risquent fortement d’êtres orientées sur des sujets permettant d’approfondir certaines compétences de l’Union, notamment en termes de défense et d’affaires étrangères et nous pauvres fédéralistes que nous sommes notre déception n’aura d’égal que l’incohérence de construire une entité supranationale sur des bases intergouvernementales.

L’Europe s’arrête à Lisbonne ?

Ce traité parachève t-il le processus institutionnel de l’Union ? Nous retrouvons cette idée à travers l’arrêt du 30 juin 2009 de la cour constitutionnelle allemande. Le tribunal a été saisi en 2008 par le député Gauweiler, du parti conservateur bavarois CSU, qui critiquait la loi d’accompagnement du traité. La décision de la cour de Karlsruhe souligne que l’insuffisante représentativité démographique des institutions européennes (au Conseil, chaque État a un représentant ; au Parlement européen, un député allemand représente 857 000 citoyens contre 67 000 pour un député maltais) est l’obstacle principal à la démocratisation de l’Union et laisse ainsi entrevoir qu’il y a des limites à la tolérance par les grands États de la surreprésentation des plus petits.

La Cour allemande proclame en outre qu’il n’existe pas de peuple européen, et en déduit la nécessité de renforcer face à l’Europe les pouvoirs des parlements nationaux, véritables gardiens de la démocratie incarnée dans la Nation. Mais la décision de la cour va plus loin, elle implique que la prochaine évolution institutionnelle de l’Union devra nécessairement être du type fédéraliste. Bien sur cette démocratisation passe par plusieurs points, des euro-circonscriptions lors des élections du Parlement européen, de réels partis européens et la participation active du citoyen dans la vie de l’Union. Si les sujets de la vie politique nationale sont transférés à l’Union alors celle-ci change de nature, elle n’est plus une association d’États gérant certaines activités mais devient une fédération impliquant le peuple européen.

Illustration : Ampoule électrique

Source : Service médiatique de la Commission européenne 01/03/2004

Vos commentaires
  • Le 28 décembre 2009 à 18:47, par french derek En réponse à : Le périple de Lisbonne

    Merci, Jean-Baptists pour cet explication. Il sera un longue, longue trajet au fédéralisme, je pense.

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