Le jour où la Turquie sera européenne...

, par Fanny Forest

Le jour où la Turquie sera européenne...

Alors que la Croatie pourrait entrer dans l’Union européenne dès la fin de l’année prochaine, la Turquie devra encore attendre patiemment une autre vague d’adhésion selon les plus optimistes.

Mais si on regarde en détails le rapport annuel sur l’élargissement rendu public mercredi 14 octobre 2009, on se rend compte que, passez moi l’expression, « ce n’est pas demain la veille ». Comment expliquer un tel décalage entre la candidature croate et turque alors que les négociations d’adhésion à l’Union européenne avec Ankara et Zagreb ont été ouvertes en même temps, le 3 octobre 2005.

Un bilan en demi-teinte

Si l’Union se félicite des efforts de la Turquie sur la question kurde, des changements introduits dans l’ordre juridique turc, du « pas courageux » vers la normalisation de ses relations avec l’Arménie et de la signature d’un accord sur le gazoduc Nabucco qui permettra à l’Union européenne de s’approvisionner en gaz en Azerbaïdjan et en Asie mineure, le rapport sur la progression des négociations avec la Turquie épingle une série d’atteintes aux droits fondamentaux. Outre les crimes d’honneur, le manque de libertés syndicales, la violence conjugale, les entraves à liberté de culte et au respect des minorités, le commissaire à l’élargissement, Olli Rehn, a exhorté le gouvernement d’Erdogan à faire des progrès en matière de liberté d’expression et de lutte contre la torture et les mauvais traitements.

Une liberté de presse qui laisse à désirer

Bien que la liberté de la presse soit menacée à l’intérieur de l’Union notamment en Italie, en Roumanie et en Bulgarie comme l’indique le dernier rapport de Reporters Sans Frontières, la Commission, qui considère que la gestion du pluralisme dans les médias et de la liberté de presse relève des Etats, s’attaque pour la première fois frontalement à ce problème fondamental. En effet, Bruxelles a fait part de ces sérieuses inquiétudes sur l’amende fiscale de 2,2 milliards d’euros pour arriérés d’impôts adressée au groupe médiatique Dogan Yanin Holding, très critique envers le pouvoir. Une mesure juridique qui « donne l’impression d’une sanction politique » pour reprendre les termes d’Olli Rehn.

Toujours pas d’avancées sur la question chypriote

Par ailleurs, la Commission déplore dans son rapport l’absence de progrès sur la question chypriote puisque les ports et aéroports turcs sont toujours interdits aux navires et avions chypriotes. Toutefois, alors que les Vingt-Sept avaient décidé de geler l’ouverture de huit chapitres de négociations liés à l’Union douanière en décembre 2006, la Commission n’envisage pas cette fois-ci de durcir les sanctions contre Ankara. Selon Rehn, « ajouter de nouvelles sanctions reviendrait à suspendre de facto un processus de négociation déjà très laborieux ». On pourrait d’ailleurs ajouter qu’il n’est pas prêt de se conclure puisque le dernier chapitre de négociation sur la fiscalité ouvert en juillet dernier ne pourra être refermé qu’après la signature d’un accord douanier avec Chypre, que la Turquie refuse toujours de reconnaître. Et ceci n’est qu’un exemple parmi les 35 chapitres qui doivent être validés pour l’entrée de ce pays dans l’Union.

L’impasse de la candidature turque

La candidature de la Turquie stagne et l’Union ne sait guère comment réagir. Une sanction alimenterait bien entendu les discours des eurosceptiques turcs mais on peut se demander si paradoxalement l’inaction de la Commission n’inciterait pas indirectement ces derniers à ralentir les progrès que pourrait faire la Turquie en vue de conserver la souveraineté nationale turque. Ankara représente donc encore une véritable énigme pour la stratégie de démocratisation à travers l’élargissement de l’Union.

En tous les cas, il semble que la Turquie ne rejoindra ni les 27, ni les 28 avec la Croatie et ni les 29 avec l’Islande qui devrait probablement doubler les Balkans dans leur course à l’adhésion à l’Union. Il reste à savoir si les pays de la zone balkanique encore en quête d’une stabilité durable rejoindront l’Union européenne avant le vétéran de la candidature d’adhésion. Après ce rapport, les paris sont ouverts.

Illustration : drapeaux de l’UE et de la Turquie (sources : Wikipedia Commons)

Vos commentaires
  • Le 24 octobre 2009 à 13:48, par Antilope En réponse à : Le jour où la Turquie sera européenne...

    Tout le monde nous présente cette adhésion comme inéluctable mais si c’est vraiment le cas, elle ne devrait pas avoir lieu avant 2020 au moins. Personnellement, je suis contre, m’enfin...

    Il y a en tout cas un vrai problème de cohérence quand on voit que le parlement européen vient de décider de faire de la liberté de la presse une question d’ordre national (grâce au PPE et à l’extrême-droite) alors que l’article montre clairement que c’est un des critères dans l’évaluation de la candidature turque.

    Sinon j’aime assez l’expression de « vétéran de la candidature d’adhésion » ! :)

  • Le 24 octobre 2009 à 16:41, par Ronan En réponse à : Le jour où la Turquie sera européenne...

    La réforme des institutions de l’Union passe avant tout, non ?!

    Tenons-nous vraiment à accueilir qui que ce soit de plus, même des pays économiquement prospères comme la Suisse, la Norvège ou l’Islande (même s’ils ont déjà quasiment intégré tout l’acquis communautaire, même s’il n’existe absolument aucune objection de fond quant à leur « européanité »...) dans le bordel institutionnel actuel ?!

  • Le 25 octobre 2009 à 17:06, par Fanny Forest En réponse à : Le jour où la Turquie sera européenne...

    Mais avant de réformer et d’intégrer de nouveau pays, il faut se poser la question de ce qu’on veut vraiment faire de ce projet communautaire encore mal défini. Il faut s’interroger sur ce que nous sommes pour savoir où nous allons. Si nous voulons faire de l’Europe un espace de libre échange, la candidature de la Turquie ou de n’importe quel autre pays européen n’est pas un problème majeur. En revanche, si nous souhaitons construire une véritable europe politique - mais malheureusement je doute que nos dirigeants nationaux approuvent ce projet - la candidature pose problème car il n’y a pas de volonté politique d’intégrer ce pays qui, pourtant sur le plan de la presse n’a rien à envier à la Bulgarie ou à l’Italie. La candidature turque est donc un faux problème qui a cependant le mérite de montrer que la faiblesse structurelle de ce projet européen encore flou est instrumentable à souhait pour rejeter la candidature d’Ankara. Un jeu au combien dangereux qui alimente les discours des eurosceptiques et risque de mettre en péril les efforts de démocratisation réalisés jusqu’à ce jour par les autorités turques

  • Le 26 octobre 2009 à 08:58, par Jean-Jo En réponse à : Le jour où la Turquie sera européenne...

    Faudrait proposer à M Besson d’organiser un débat européen sur « l’identité européenne »... je rigole.

    Dommage que l’UE n’ait pas le courage (il ne s’agit que de cela) de dire à la Turquie que son adhésion n’est pas une priorité.

  • Le 26 octobre 2009 à 13:27, par Otton Wann En réponse à : Le jour où la Turquie sera européenne...

    Pas si rigolo que çà, si l’identité européenne (et donc son histoire) serait (re)mise à jour, ou plutôt questionner, l’Europe aurait surement refuser la candidature de la Turquie pour ce siècle. Mais ce n’est que mon humble avis.

    Pour l’identité de l’Europe, je vous renvoie à des ouvrages récents tel que celui qui a fait la réputation de Rémi Brague (Europe, la voie romaine), ou du philosophe Jean-François Mattéi (Le Regard vide. Essai sur l’épuisement de la culture européenne).

  • Le 26 octobre 2009 à 14:04, par Jean Valjean En réponse à : Le jour où la Turquie sera européenne...

    les « efforts de démocratisation réalisés jusqu’à ce jour par les autorités turques » sont une vue de l’esprit colportée par la politique de Communication d’Ankara, elle-même financée par la DG Elargissement de l’UE, véritable cheval de Troie de la Turquie dans l’UE.

    L’idée qui sous-tend cette politique est : « puisqu’on ne peut pas changer la Turquie (et qu’on veut absolument la faire adhérer), changeons la perception qu’en ont les Européens ! »

  • Le 27 octobre 2009 à 07:24, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Le jour où la Turquie sera européenne...

    @Ronan : nous sommes d’accord. En ce qui me concerne je suis hostile à tout élargissement supplémentaire de l’Europe si les réformes indispensables ne sotn pas faites.

    Suite aux péripéties abracadabrantesques de la ratifications des traités constatés ces dernières années, qui permettent à un seul État membre de tout bloquer, il est évident que nos institutions sont viciées : impossible de réformer sans l’unanimité, impossible de prendre les décisions essentielles sans l’unanimité.

    Ce système absurde qui revient à accepter le diktat des minorités est antidémocratique et inefficace. Élargir l’Union c’est accorder à quelques gouvernements supplémentaires ce pouvoir de bloquer les lois dont nous avons besoins pour être mieux gouvernés. C’est à mon sens inacceptable.

  • Le 6 décembre 2009 à 16:37, par Droopy7849 En réponse à : Le jour où la Turquie sera européenne...

    Vous avez écrit « Le jour où la Turquie sera européenne », mais moi j’aurais plutôt écrit « le jour où l’Europe sera turque » !

    Parce qu’avec plus de 120 millions d’habitants à l’horizon 2015, la Turquie, si son adhésion est confirmée et avalisée, deviendra le pays dont le nombre de représentants au Conseil de l’Europe et au Parlement sera le plus important, ce qui donnera les coudées franches au Gouvernement Erdogan (ou ses successeurs) d’imposer l’Islam dans toute sa rigueur et pour tous les Etats membres.

    De plus, la Turquie possède des frontières communes avec au moins deux Etats soutenant plus ou moins ouvertement le terrorisme, l’Iran et la Syrie. Dés lors, comment garantir la sécurité de nos concitoyens, si on laisse une porte ouverte aux terroristes de tout poil ?

    Enfin, tant que la question de la reconnaissance par Ankara du génocide arménien, les Arméniens citoyens de l’UE (dont je fais partie) refuseront l’éventualité d’une adhésion de la Turquie.

    Mais ne nous voilons pas la face ! L’Union Européenne verse chaque année plus de 300 millions € à la Turquie pour l’aider à redresser son économie. Ce n’est sûrement pas pur altruisme, ni sans arrière-pensée

  • Le 24 décembre 2009 à 13:30, par Dany En réponse à : Le jour où la Turquie sera européenne...

    Je ne sais pas sur quel pied danser avec tes arguments. Je comprends que pour toi, un Arménien d’origine, la question du travail de mémoire fait par la Turquie au sujet du génocide occupe une place importante. Cela dit, le projet de l’Union n’est-il pas d’unir les peuples ? Les Etats peuvent te paraître éternels (ce contre quoi je m’insurge) mais leurs populations changent et tu le dis bien ! Ce n’est pas seulement grâce au renouvellement des générations mais aussi grâce à la faculté de chacune d’entre elles d’analyser rétrospectivement leurs actions. Il faut soutenir l’effort de modernisation de la Turquie par pure solidarité avec des voisins dont on devra tôt ou tard s’accommoder. En forçant un peu le trait certes, je pense pouvoir dire que la population de l’Etat turc est prise en otage par le (faux) débat que tu nourris, puisqu’il s’agit selon moi, grâce au projet européen, de créer les conditions les plus favorables à la création d’une communauté post-nationale dans laquelle les identités de chacuns représenteraient autant d’éléments enrichissant pour un nouvel ordre social, le cosmopolitisme. Non aux Etats qui sont les « gate-keepers » du dialogue inter-culturel entre les peuples et empêchent l’avènement d’une société multi-culturelle positive dans laquelle les identités s’additionnent au lieu de se confronter.

    Peace.

  • Le 7 janvier 2010 à 21:08, par David O En réponse à : Le jour où la Turquie sera européenne...

    Par contre il est clair à vous entendre qu’un pêcheur au gros Islandais, un producteur de vin Croate ou un éleveur de chèvres des Charentes-Maritimes ont une histoire et une identité commune ! C’est pour cela que la Croatie et l’Islande vont être admises dans l’UE très rapidement. Cet argument de « l’identité Européenne » est un prétexte utilisé par les opposants à la candidature turque pour déguiser leur racisme envers un pays à majorité musulmane (ce qui soit dit en passant n’empêche en rien le dit pays d’être Européen, voyez les cas de la Bosnie ou de l’Albanie).

  • Le 11 janvier 2010 à 14:05, par Fabien Cazenave En réponse à : Le jour où la Turquie sera européenne...

    Pour votre information, il n’existe qu’une seule « Charente-Maritime »... Le terme de Charentes avec un « s » vient du fait qu’il y ait deux départements dont la Charente Maritime. La Charente (anciennement dite « supérieure ») et que le nom de la région soit Poitou-Charentes.

    Par ailleurs, pour vous répondre sur la question de l’identité européenne. On peut très bien considérer que la Turquie n’est pas européenne, tout comme l’Arménie, la Biélorussie ou l’Ukraine. Vous avez raison de spécifier que la question de l’Islam ne doit pas entrer en ligne de compte.

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