Garantir l’indépendance énergétique de l’Europe, et développer une économie durable fondée en particulier sur les énergies renouvelables, sont deux enjeux clés de la politique européenne. Le consortium technologique et industriel qui s’est formé autour de la fondation « Desertec » vise à remplir ces objectifs par la construction d’un vaste réseau de centrales solaires, majoritairement situées au Sahara. Ce réseau est destiné à couvrir, à terme, environ 15% des besoins énergétiques de l’Europe et une part considérable de ceux des pays producteurs [1].
Du Maroc à l’Arabie saoudite, des centrales solaires thermiques seraient déployées sur un grand nombre de sites, et reliées au réseau électrique européen par des lignes à haute tension sous-marines. Les pays producteurs, dont la demande énergétique va sans doute fortement augmenter au cours des prochaines années, pourraient profiter de ces centrales pour leur développement. Les promoteurs du projet estiment que ces installations pourraient également permettre le dessalement de l’eau de mer sur les régions côtières, pour garantir un approvisionnement d’eau potable aux populations locales.
Synergie ou éco-colonialisme ?
Toutefois, plusieurs observateurs remettent en cause l’intérêt de Desertec pour les pays producteurs, et estiment que ce système servira surtout les intérêts de l’Europe, ce que le quotidien Handelsblatt résume par le mot d’« éco-colonialisme » [2]. En effet, les meilleurs sites de production solaire, occupés par le réseau européen, ne seraient plus disponibles lorsque les économies émergentes de ces pays souhaiteront à leur tour développer leur industrie solaire. Le déploiement de Desertec pose donc des questions relatives au partenariat avec l’Afrique, sans parler du problème de stabilité politique auquel le réseau devra faire face dans plusieurs pays.
Si on admet que l’Europe puisse satisfaire une partie de ses besoins énergétiques à partir d’installations permanentes en Afrique et au Moyen-Orient, l’enjeu clé sera donc de mettre en place un véritable partenariat avec les pays producteurs, et non une nouvelle forme de colonisation. Les termes du contrat semblent acceptables : l’Europe possède les ressources et l’expertise technologique nécessaire pour construire un grand réseau de centrales solaires, l’Afrique possède les sites nécessaires à l’implantation de ce réseau. La seule condition à garder à l’esprit est la réciprocité des bénéfices.
Pour l’Europe, le projet Desertec pourrait s’inscrire dans une stratégie plus large visant à diversifier nos partenaires énergétiques, pour diminuer notre dépendance vis-à-vis de la Russie. Il s’agirait, en somme, de remplacer le gaz russe par le soleil africain. Mais les Européens doivent garder à l’esprit la nécessité d’une coopération économique à double sens autour de la Méditerranée, en même temps, d’ailleurs, que la poursuite de relations saines et constructives avec la Russie. Desertec devrait surtout être vu comme une opportunité pour développer la paix et la prospérité en Afrique et au Moyen-Orient, et préparer ainsi le terrain pour un partenariat à long terme avec ces deux grands ensembles politiques.
Un modèle de coopération internationale unique
Une fois admise la nécessité de développer avec les pays producteurs une vraie synergie plutôt qu’un éco-colonialisme, nous pouvons relever l’originalité du projet industriel de Desertec. Par son ampleur, ce programme de développement pourrait ouvrir une nouvelle ère dans la politique de voisinage de l’Europe, qui se caractériserait par une « solidarité de fait » avec les pays partenaires d’Afrique et du Moyen-Orient. L’énergie deviendra-t-elle le trait d’union tant attendu entre les deux rives de la Méditerranée ?
La mise en œuvre de Desertec, placée sous l’égide de la coopération économique et industrielle, peut être vue comme une étape supplémentaire dans la construction de l’« eurosphère » [3], ou comme une nouvelle preuve du « soft power » européen. Quelle que soit la perspective sous laquelle on l’aborde, ce modèle de coopération internationale est la marque de fabrique de l’Europe. Le renforcement des relations politiques, économiques et industrielles avec des pays partenaires devrait, en retour, convaincre les Européens de parachever leur propre intégration politique, pour continuer à jouer un rôle de premier plan sur la scène internationale.
Au-delà de Desertec
Le projet Desertec ne doit toutefois pas occulter un certain nombre de débats, en particulier sur la décentralisation de la production d’énergies renouvelables, production aujourd’hui confiée à un nombre restreint de grandes entreprises. Par ailleurs, l’énergie solaire ne doit pas être la seule composante renouvelable de notre mix énergétique, et le développement des autres techniques innovantes, comme l’éolien maritime [4], ou à long terme la fusion nucléaire [5], doit se poursuivre. La diversité et la décentralisation seront sans doute deux axes importants pour garantir l’indépendance énergétique de l’Europe.
Il reste par ailleurs à préciser le rôle que l’Union européenne et les États membres prendront dans le projet Desertec, qui par son ampleur et ses implications politiques réclamera le soutien des pouvoirs publics. Angela Merkel et José Manuel Barroso, par exemple, ont déjà fait l’éloge de cette initiative industrielle. Le bureau d’étude du consortium, qui sera créé en octobre, devrait présenter ses plans au cours des trois prochaines années, ce qui permettra une meilleure appréciation de la faisabilité et de l’utilité stratégique de Desertec.
Indépendance énergétique, développement durable, coopération entre l’Europe et l’Afrique, les enjeux de Desertec sont nombreux. Il reste à surveiller la bonne mise en œuvre du projet, le partage équitable de ses bénéfices, et ses implications pour le futur de la diplomatie européenne.
1. Le 3 septembre 2009 à 07:15, par Martina Latina En réponse à : Le futur énergétique de l’Europe passe-t-il par l’Afrique ?
Voilà un projet à la mesure des besoins africains et de la vocation européenne : la première Europe ne fut-elle pas l’épouse du dieu lumineux par excellence parce que ses ancêtres comptaient l’Afrique et la Mer ?
Il est temps de donner à ce mythe une forme vivante, agissante et réelle : puisque nous portons ce nom, menons à bien par une concertation méthodique, mais d’abord solidaire, l’harmonisation énergétique, donc économique et tout simplement humaine, entre les continents les plus proches, qui sont aussi les plus contrastés.
Aux Européens de saisir ce moment d’audace et de vigilance pour que le soleil ne soit plus la source de la misère notamment africaine, mais une solution équitable, ou plutôt efficace face à l’injustice, à l’instabilité comme à la dégradation écologique. Dès lors la démocratie qui naquit elle aussi sous l’égide phénicienne portée par Europe et par des techniques nautiques autant qu’alphabétiques a quelque chance de gagner...
2. Le 4 septembre 2009 à 20:04, par Abramhs Moussa En réponse à : Le futur énergétique de l’Europe passe-t-il par l’Afrique ?
LE QUOTIDIEN D’ORAN Par Y.Mérabet de L’Algerian Society For International Relations
Les allemands offrent de l’électricité gratuitement à l’Afrique ! Merci Angéla....
L’Algérie opte pour le projet ‘Desertec’, un projet énigmatique
Produire de l’électricité à partir du soleil est un rêve d’enfant que les Européens veulent réaliser à l’échelle planétaire. Le projet Desertec est née de l’idée qu’une pénurie d’énergie fossile et fissile se dessine à l’horizon proche, la baisse et la hausse des prix du pétrole sont devenues propriété des charlatans, le facteur énergétique de certains pays européens devient impayé, les guerres du pétrole s’annoncent un peu partout etc. L’idée de reprendre ce rêve d’enfant a pris naissance chez un groupe de responsables et d’entreprises allemandes qui pensent que le soleil appartient à toute l’humanité et chaque personne doit bénéficier gratuitement de cette énergie, sans payer un sous. Le Centre allemand de recherche aérospatiale (DLR) a mené de menues études techniques, financées par le ministère allemand fédéral de l’Environnement. L’étude a permis de conclure qu’en moins de 6 heures, les zones désertiques du globe reçoivent du soleil la quantité d’énergie que l’humanité consomme en une année. La fondation Désertec s’est ainsi lancée le défi d’exploiter cette énergie inépuisable à un coût raisonnable et prendre en charge ce vaste projet par des fonds récoltés chez les plus riches de la planète. Le projet prévoit la construction de vastes centrales solaires thermiques à concentration (CSP, en divers points d’Afrique du Nord et du monde arabe). Les études ont montré qu’il suffirait d’installer des champs de collecteurs solaires sur environ 0,3 % des surfaces désertiques du globe pour couvrir l’ensemble des besoins mondiaux en énergie. En complément, il est prévu d’exploiter l’énergie éolienne le long de la côte marocaine et en mer Rouge, et d’utiliser d’autres techniques solaires telles que le photovoltaïque concentré. Douze grandes entreprises européennes, en majorité allemandes, ont créé un consortorium de bureau d’études. Un bureau doté d’un budget de 1,8 million d’euros pour élaborer des plans d’investissement réalisables au cours des trois prochaines années sur l’énergie solaire en provenance du monde arabe et probablement d’Afrique (pour le moment les pays d’Afrique noire n’y figurent pas dans le programme ‘Desertec). Le consortium fondé est mené par le réassureur Munich Re et la fondation Desertec. Il rassemble les géants allemands de l’énergie E.ON et RWE, la Deutsche Bank, le conglomérat Siemens, des fabricants de solaire comme l’espagnol Abengoa Solar, et enfin le groupe agroalimentaire algérien Cevital. Le projet, devisé à 400 milliards d’euros (environ 600 milliards de francs), doit permettre à l’Europe d’obtenir une importante source d’énergie non polluante et lui permettre donc de diminuer ses émissions de gaz à effet de serre et aussi sa facture. Reste que ce projet porteur d’avenir pose encore de nombreuses questions, comme les lieux d’implantation de ces installations, le coût du courant produit, le bénéfice qu’en tireront les pays arabes, le manque de stabilité politique dans presque toutes les régions productrices et, même, le financement de ce projet. Reste aussi à connaître l’implication des Etats et ce, même si la chancelière allemande Angela Merkel et le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, ont chaudement salué l’initiative. Car Angela Merkel a aussi exprimé ses doutes quant à la participation d’autres pays européens que l’Allemagne, car à présent les opinions des 27 divergent sur l’adoption d’une politique énergétique globale de l’union. A savoir que le projet « Desertec », d’un coût global de 400 milliards d’euros, vise à fournir, d’une manière durable aux pays de ‘zone d’ombre’, de l’énergie solaire gratuitement à partir d’un monde plus ensoleillé, mais mal éclairé. Le procédé industriel de ce moyen de se procurer de l’énergie ‘facile’ porte sur la production d’énergie électrique par des centrales thermiques solaires. Soustraire massivement de l’énergie à la nature sans penser aux conséquences écologiques qui peuvent être dramatiques pour les pays qui habiteront ces champs de verre. Le projet Desertec prévoit aussi des parcs éoliens au large de cette région d’Afrique et du nord, notamment sur les côtes pour diminuer de peu la vitesse du vent. Alors que l’énergie soustraite à la nature devrait être transportée aux centres de recharges européens par des lignes de transport de travées de haute tension et de courant direct (HVDC). Le projet prévoit aussi la construction de plusieurs centrales solaires de taille moyenne entre 50 et 200 MW sur une vingtaine de sites s’étendant du royaume du Maroc au royaume de l’Arabie saoudite, les Européens veulent diversifier leurs points d’approvisionnement dans des lieux amis. Le coût de cet investissement a été estimé à 400 milliards d’euros jusqu’en 2050, dont 350 milliards d’euros pour la construction des centrales et 50 milliards pour les lignes de transmission nécessaires, selon Siemens. Mais cela mettra des années pour convertir totalement leur mode énergétique, passer du fossile au solaire ce n’est pas tâche facile, alors que la pénurie de l’énergie conventionnelle s’annonce pour demain. Cela risque que ce chantier-fiction de reconversion des énergies risque de ne pas être achevé à temps. Alors, à cet effet, nous interpellons les responsables de tenir bon aux tentatives européennes qui cherchent à détruire notre développement certain par l’énergie conventionnelle (fossile et fissile) que nous possédons en abondance. Développé pour la première fois dans les années 1970, le concept « Desertec » a été relancé à partir de 2000 et fait actuellement l’objet « d’intenses débats », au niveau européen. Les premiers essais complets du projet Desertec, ça se passe ici chez nous en Algérie à la centrale hybride de Hassi R’mel, alors, nous devions être les premiers à bénéficier de la plus grande quote-part du projet Desertec. Le Maroc, enfant gâté de l’Union européenne, vient de bénéficier trois (3) fois plus de centrales de concentration que l’Algérie, qui possède une surface fortement ensoleillée six (6) fois plus grande que celle du Maroc. C’est une manière de l’impérialisme européen d’investir dans les conflits entre pays frères ? Dans le même sens que le premier, une nouvelle initiative de complémentarité « Desertec II », qui comprendra un nombre d’entreprises de renom, a été mise en place avec pour objectif de développer, à moyen terme, « un concept technique et économique pour l’énergie solaire de l’Afrique », a-t-on expliqué. D’après des données contenues dans l’étude, la production mondiale d’électricité devrait passer de 21.000 Térawatt/heure (TWH) en 2008 à 37.000 TWH en 2030. Le transport de l’électricité jusqu’à l’Europe en serait notamment la raison, compte tenu qu’acheminer 1 GW coûte environ 250 millions d’euros sur 1.000 km. Pour l’instant, le projet ne serait donc pas rentable, mais les experts misent sur la raréfaction annoncée des énergies fossiles où le prix du baril de pétrole dépassera les 400 dollars, pour s’assurer que ‘Desertec’ sera rentabilisé. Dans pas moins de 20 ans, peut-être, l’idée mûrira et l’électricité solaire pourrait ainsi être l’une des plus intéressantes pour l’Occident industrialisé. Quant à la technologie utilisée, il s’agirait de l’énergie solaire thermique : des miroirs paraboliques produisent de la vapeur d’eau à très haute température et sous forte pression, ce qui va actionner une turbine à vapeur attelée à un générateur pour produire de l’électricité. Le projet Desertec ne pourrait être réalisé avant la mise en marche de l’Union pour la Méditerranée et l’effacement de tous les litiges politiques qui oppose les Européens au reste du monde ensoleillé ; le Sahara occidental, la reconnaissance d’Israël par l’entité arabe, la reconnaissance de la souveraineté des pays africains etc. En effet, dans ce projet, les contraintes ne sont pas seulement techniques, elles le sont aussi politiques : l’Europe devrait prendre une position claire envers le monde arabe et africain et traiter les problèmes communs avec équité, s’abstenir de soutenir les agressions israéliennes contre l’Etat palestinien, l’Iran, la Syrie et le Liban. Du point de vue technique, les entraves suivantes devront être levées : d’une part, les centrales doivent être installées dans des pays stables politiquement pour garantir la sécurité de l’approvisionnement européen en électricité ; d’autre part, il faut trouver les moyens de financer des investissements colossaux, d’autant que le projet est supposé pouvoir s’autofinancer à long terme. Au départ, il aura bien entendu besoin d’une sécurité d’investissements, par exemple, une garantie d’achat à un prix fixé, sachant que l’électricité ne doit pas être subventionnée pendant toute la durée. Desertec doit remplacer l’utilisation de l’énergie fossile et fissile évaluée à environ 18 000 TWh/an) par le solaire en si peu de temps ? Mais Desertec ne se limitera pas à la production d’énergie : il participera aussi au développement des pays d’accueil grâce à la création de milliers d’emplois grâce à la construction d’usines de dessalement d’eau de mer pour les populations. En complément, il est prévu d’exploiter l’énergie éolienne le long de la côte marocaine et en mer Rouge, et d’utiliser d’autres techniques solaires telles que le photovoltaïque concentré.
Conclusion
Les gisements d’énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) et fissiles (uranium), même les plus extrêmes, ne représentent quant à eux que quelques dizaines d’années au rythme de leur consommation actuelle, et comme cette consommation ne cesse d’augmenter avec notamment la soif des « économies émergentes » des pays les plus peuplés de la planète (Chine, Inde, Brésil) à imiter nos propres comportements, l’échéance de leur épuisement ne cesse de se rapprocher. L’énigmatique projet ‘Desertec’ sur lequel l’Algérie pense bâtir son futur énergétique est à écarter pour le moment, l’énergie nucléaire reste la seule solution durable pour la continuité de notre développement de l’après-pétrole.
*Expert en énergie
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