Avant toute chose il faut distinguer le fédéralisme en tant que mécanique institutionnelle et le fédéralisme en tant qu’idéologie. Dans le premier cas, le fédéralisme n’est qu’un mode de fonctionnement de l’État qui favorise une répartition des pouvoirs entre un État fédéral et des États fédérés. Dans le sens idéologique par contre, le fédéralisme est une philosophie visant à promouvoir la réunion dans une même entité étatique de différents peuples ou nations qui ont pour point commun d’appartenir à la même civilisation. C’est dans ce sens idéologique que l’on peut considérer que le fédéralisme est une philosophie universelle puisqu’il existe dans chaque zone civilisationnelle, de ce point de vue le fédéralisme doit être rapproché de la notion sociologique d’Empire (à ne pas confondre avec la notion autocratique de l’Empire).
En Amérique, le fédéralisme est avant tout national
En Amérique, et plus spécialement aux États-Unis, le fédéralisme est éminemment institutionnel et très peu politique. En effet la fédération est quelque chose d’acquis et donc d’idéologiquement mort. Néanmoins, la fédération a été durant tout le XIXe siècle américain un véritable projet aux États-Unis, c’est sur cette base que cet État s’est construit, et c’est son débat plus que celui sur l’esclavagisme qui a causé la sécession des États du Sud.
Le fédéralisme américain est, et c’est une particularité intéressante de cet État, un fédéralisme national. En effet ce ne sont pas divers peuples qui jouissent d’une autonomie mais bien divers États appartenant à la même « nation américaine » qui jaloux de leurs autonomies ont préféré un État fédéral à un État unitaire. On peut d’ailleurs légitimement rapprocher le fédéralisme américain du fédéralisme allemand, ce dernier étant lui aussi un fédéralisme national dont la création et le maintien est avant tout historique.
En Amérique Latine, l’émergence d’un fédéralisme à l’européenne
Dans toute la zone constituée des anciennes colonies espagnoles et portugaises le fédéralisme n’est pas nouveau. En effet la volonté d’indépendance des colonies de l’Empire espagnol s’est, durant le début du XIXe siècle, associée à une volonté d’unité de ces colonies désormais libérées. Le bolivarisme est d’ailleurs un mélange de proto-socialisme et de tentatives d’unifications de l’ancien Empire colonial.
Paradoxalement, tout le XIXe siècle n’a été en Amérique Latine qu’une succession d’émiettements plutôt qu’une fédéralisation. Ainsi, les États-Unis d’Amérique Centrale ont disparu dès 1839, de même que la Grande Colombie ou encore du Pérou-Bolivie. Ces éclatements furent chaque fois causés par des crises politiques plutôt que par des nationalismes qui n’existaient d’ailleurs pas encore. A la suite de cet émiettement ce sont carrément les anciennes colonies qui se sont faites la guerre durant la seconde moitié du XIXe pour quelques territoires, mettant ainsi en sommeil le bolivarisme pour près d’un siècle.
Aujourd’hui, l’Amérique du Sud, en créant l’Union des Nations Sud-Américaines, suit l’exemple européen. En effet cet UNASUR créé en 2004 projette déjà la mise en place d’une monnaie commune et d’une coopération militaire. Cette Union encore très jeune, mais facilitée par une certaine homogénéité politique des dirigeants sud-américains, pourrait bien se transformer dans le futur en une association aussi intégrée que l’Union européenne et devenir une probable superpuissance.
Le Panarabisme, une expérience avortée
A la suite de la décolonisation du monde Arabe s’est constituée sous la houlette de Nasser un véritable fédéralisme panarabe. En effet l’homme qui fut président de l’Égypte de 1956 à 1970 créa une véritable philosophie, ce qu’on appelle aujourd’hui le nassérisme. Cette philosophie qui était socialiste, laïque et fédéraliste (puisqu’elle visait à regrouper dans un même État tout le monde arabe) a conduit à plusieurs expériences malheureuses puisque jamais abouties.
Ainsi, il a existé de 1958 à 1971 une république arabe unie qui regroupait la Syrie et l’Égypte. De même les États Arabes Unis, regroupant cette fois Syrie, Égypte et Yémen a brièvement existé. Enfin une Union des Républiques Arabes a vu le jour en 1971, mais suite à des dissensions nationales a été définitivement avortée en 1984.
Toutes ces expériences nous montrent que dans le monde arabe un véritable projet fédéralisme visant à dénoncer les frontières issues de la colonisation a vu le jour, et que celui ci a été le moteur pendant près de 20 ans du renouveau national arabe. De plus, le projet nassériste démontrait qu’il existait dans le monde arabe une place pour un projet laïc mais néanmoins respectueux de l’islam. Ce fédéralisme aujourd’hui disparu a été remplacé par un projet panislamiste bien plus radical car éminemment religieux et réactionnaire.
Le fédéralisme civilisationnel indien
Si l’Inde a été durant toute son histoire unie et désunie au fil des siècles et des invasions on ne peut qu’admettre que c’est l’Empire britannique qui a fait de l’Inde un espace définitivement unifié. Le pays nouvellement indépendant avait d’ailleurs su aménager les différents particularismes locaux en choisissant une structure étatique fédérale dont le véritable ciment était l’anglais plutôt que la religion ou une improbable « nation indienne ».
Le fédéralisme indien est donc un fédéralisme civilisationnel puisque il est clair que l’Inde ne peut être considérée comme étant une nation, au contraire du monde arabe. Aujourd’hui l’Inde est avec plus d’un milliard d’habitants, le plus grand État fédéral mais aussi démocratique de la planète.
Conclusion
Le fédéralisme en tant qu’idéologie est tout aussi varié que les civilisations auxquelles il s’applique, néanmoins dans tous les cas étudiés ressort un point commun, celui de réunir dans un seul État un groupe, soit de peuples, soit de nations, qui sont proches par leur appartenance à une même civilisation. Le cas européen n’est donc pas isolé puisque dans quelques États comme en Inde, une expérience fédéraliste a abouti. Dans d’autres États comme en Amérique Latine, une expérience similaire est en cours.
1. Le 31 juillet 2012 à 14:07, par Luc L. En réponse à : Le fédéralisme est un article d’exportation
Pour moi le fédéralisme n’est pas une idéologie et c’est ce qui en fait sa force et son universalisme. C’est bien un mode d’organisation et à la limite une philosophie, basée sur le principe de subsidiarité. Philosophie vs idéologie, il ne faut pas tout mélanger. Simple et efficace, ce pourrait être la deuxième définition du fédéralisme.
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