C’est à la fin de son ouvrage que Tzvetan Todorov expose les valeurs que partagent les Européens, puis énonce une série d’idées pour renforcer l’efficacité de l’Union européenne. Nombre de ses propositions sont partagées par la plupart des fédéralistes. Nous y reviendrons.
Une dénonciation de la guerre préventive
Une grande partie de son essai est consacrée à la politique étrangère américaine qu’il juge sévèrement et avec beaucoup de lucidité. Dans une écriture fluide, il démonte les arguments qui ont été avancés lors de la déclaration de la guerre contre l’Irak, en mars 2003. Mus par leur volonté de protéger la sécurité de leurs citoyens et de répandre la liberté dans le monde, les États-Unis agissent toujours pour défendre leurs intérêts. L’essayiste analyse le lien entre « sécurité » et « liberté » et explique l’apparition d’une nouvelle expression : la « guerre préventive ».
Sa réflexion éclaire des concepts tant entendus dans les médias et pourtant peu expliqués, comme le « néo-fondamentalisme » qui fonde toute la pensée de [Georges W. Bush]. Lorsqu’un pays veut imposer par la force ce qu’il croit être un idéal, il ne se comporte pas de manière démocratique. Tzvetan Todorov se place à la fois comme observateur de la politique extérieure américaine et comme conseiller. De son point de vue d’Européen, l’emploi de la force est rarement bon, sauf en cas de légitime défense ou lorsque se déroule un génocide. Mais la guerre déclenchée contre l’Irak ne relève ni de l’un, ni de l’autre, même s’il reconnaît la dangerosité d’un homme comme Saddam Hussein.
En Afghanistan comme en Irak, au moment où Todorov termine son ouvrage, la démocratie ne s’est pas encore établie. Non seulement la guerre préventive est inefficace de ce point de vue-là, mais elle ne peut pas lutter contre le terrorisme car l’ennemi n’est plus identifiable. Les États-Unis ne sont pas sortis grandis de ce conflit, au contraire. Ils ont peut-être même alimenté de manière indirecte le terrorisme, une partie de l’humanité se sentant humiliée.
L’Europe « puissance tranquille » pour faire contre-poids ?
L’ouvrage est un éloge du pluralisme et de la démocratie. L’auteur s’appuie sur des penseurs comme Montesquieu qui prônait l’indépendance entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Au niveau national comme au niveau mondial, le pouvoir ne peut pas être sans limite. D’un extrême réalisme, l’essayiste ne croit pas en un droit international pour régir le monde, mais plutôt en un « ordre international ». Cependant, les instances censées le faire respecter, comme l’ONU (qui n’a pas pu empêcher des massacres) ou le Tribunal pénal international, sont loin d’être parfaites.
Face à ce géant mondial que sont les États-Unis, dont la puissance militaire ne rencontre aucun égal, l’Union européenne a bien du mal à s’imposer. D’une part, les États-Unis dominent l’OTAN et d’autre part, l’Union ne dispose pas d’une défense commune. Ce dernier fait ne paraît absolument pas logique pour l’auteur, puisque aucune agression ne peut plus venir de l’intérieur de l’Europe. Une « Europe puissance » lui permettrait donc de se défendre dans le cas d’une agression extérieure et de s’affranchir de la tutelle des États-Unis. Tzvetan Todorov trace les contours de cette « puissance tranquille » qui pourrait développer un partenariat privilégié avec les États-Unis, notamment dans la lutte contre le terrorisme.
L’existence d’une identité européenne
La fin de son livre s’attache à démontrer qu’il existe bien une identité européenne, fondée sur un héritage commun, une proximité géographique et un certain nombre de valeurs qu’il explique : rationalité, justice, démocratie, liberté individuelle, laïcité et tolérance. Enfin, le dernier chapitre énonce plusieurs propositions, dont certaines progressistes, pour renforcer l’efficacité de l’Union dans son fonctionnement, comme dans son rôle sur la scène mondiale :
– une Europe qui se composerait de plusieurs « cercles concentriques » dans lesquels l’intégration serait plus ou moins poussée,
– des institutions plus représentatives des citoyens, au rang desquelles le Parlement européen,
– l’élection par cette instance d’un président de l’Europe, chef de la Commission,
– l’adoption d’une langue de travail (l’anglais)
– et l’instauration d’un jour férié les 8 ou 9 mai pour fêter l’Europe.
Les dirigeants européens et américains – pour ce qui concerne la première partie de l’ouvrage – seraient bien inspirés de se nourrir de cette réflexion, somme toute pleine de bon sens.
Tzvetan Todorov dresse un portrait sans concession de la politique extérieure américaine et plus généralement, de la politique internationale. Les États restent dominés par la défense et la protection de leurs intérêts nationaux.
De part son passé, l’essayiste appréhende le monde avec une vision d’Européen, et non pas seulement de Bulgare, de Français ou autre. C’est cela qui donne une grande originalité à sa réflexion et fait de lui un visionnaire de son temps.
– « La sécurité du pays est mieux servie par le respect des souverainetés nationales que par la guerre préventive. »
– « Une politique se juge, non à ses intentions, mais à ses résultats. »
– « L’ordre international ne saurait remplacer la volonté des États et donc la puissance militaire. »
– « A constituer ainsi une Europe puissance, chacun des États membres de l’Union perdra une part de sa souveraineté nationale, mais gagnera en contre-partie une sécurité accrue et une souveraineté collective bien supérieure. »
– « L’Europe présente un extraordinaire assemblage de différences. »
1. Le 14 mars 2008 à 12:39, par Lou Raspigaou
En réponse à : Le Nouveau Désordre mondial, par Tzevan Todorov
D’accord avec l’auteur, mais à noter la contradiction entre la différenciation nécessaire d’avec les Etats-Unis et la proposition d’adopter l’anglais comme langue de travail...
Face à un monde qui généralement ne nous voit au mieux que comme une prolongation de l’Oncle Sam (cf Al-Jazeera qui ne parle jamais d’Europe mais d’Occident, avec tout ce que cela implique) et au pire ne nous voit tout simplement pas pas car inexistants politiquement (le Kosovo nous offre là encore le spectacle lamentable de l’échec de l’intergouvernementalisme), cela ne me semble pas la meilleure solution pour refléter notre identité commune. Sans compter, bien sûr, l’oubli de l’égalité des langues qui prévaut dans les traités !
Je n’oublie et ne néglige pas la prédominance de l’anglais dans le monde comme au sein de notre génération d’étudiants rêvant d’Erasmus. Conseillons cependant à l’auteur (et à tous les partisans du tout-à-l’anglais en Europe) la lecture du rapport Grin, déjà cité dans un précédent article -la conclusion s’impose d’elle même, avec un peu de bon sens :-)
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