Le gaélique d’Irlande : autrement dit une langue celtique appartenant, avec le gaélique d’Ecosse et le ’’manx’’ (ou ’’mannois’’ : langue celtique parlée sur l’île de Man...) à la sous-famille ’’gaélique’’ des langues ’’celtiques’’. [1].
Première langue officielle de la République d’Irlande (officiellement devant même l’anglais...) le gaélique d’Irlande (ou « Gaeilge ») est aujourd’hui une langue utilisée officiellement non seulement dans la Constitution de la république et dans les dénominations d’Etat...
... Mais aussi dans l’administration de la République, dans les médias officiels (i. e : journal officiel, maison d’éditions, presse, radios et télévisions publiques) ainsi que dans les actes publics et décisions de justice, dans le droit des affaires, sur les timbres et les pièces de monnaies, dans l’affichage public, dans la signalétique routière et autoroutière, etc.
Une langue très officielle...
Ainsi, si l’île d’Irlande (« Eirinn », en gaélique) porte officiellement le nom d’ « Eire » depuis 1937 (ou « Ireland » en anglais...) le nom officiel de l’Etat républicain irlandais est - depuis 1949 - « Poblacht na hÉireann » (i. e : ’’Republic of Ireland’’) [2].

Un pays dont l’hymne national est, depuis 1926, le martial et très nationaliste (et non moins fameux) « Amhran Na BhFiann » (ou, en anglais, « A Soldier’s song », i. e : le « Chant des Guerriers »), oeuvre lyrique des ’’sinnfeiners’’ Peadar Kearney et Patrick Hearney.
La République d’Irlande : un pays et un Etat où le Chef de l’Etat est l’ « Uachtarán » (i. e : le président de la République, élu au suffrage universel direct pour sept ans) [3] et où le Chef du gouvernement est le « Taoiseach » (i. e : le premier ministre...) [4].
Lequel premier ministre est le chef de la majorité parlementaire du moment au Parlement (ou « Oireachtas »), nommé à ce titre par la Chambre des Députés d’Irlande (ou « Dáil Éireann » : Assemblée nationale et Chambre basse...), sous les auspices et avec l’accord du Sénat (ou « Seanad Éireann » : Sénat et Chambre haute du Parlement...).
Une « Poblacht na hÉireann » (i. e : ’’Republic of Ireland’’) gouvernée par alternance par diverses formations politiques aux noms très clairement gaéliques. Comme, par exemple, le « Fianna Fáil » (i. e : les « Guerriers de la Destinée » : parti politique irlandais ouvertement ’’républicain’’ et nationaliste de droite, aujourd’hui affilié à l’Union pour l’Europe des Nations au parlement européen) [5]. Ou le « Fine Gael » (i. e : le « Clan des Gaels » : parti politique irlandais de centre-droit, affilié au Parti populaire européen PPE) [6].
Ou encore - pour ce qui est du cas très particulier des six comtés d’Irlande du nord actuellement sous souveraineté britannique - le parti clairement nationaliste « Sinn Feinn » (i. e : « Nous mêmes ») (actuellement présidé par Gerry Adams), refuge des nationalistes irlandais les plus intransigeants. Sans même parler du « an Paírtí daonlathach » (Parti démocrate-progressiste : en anglais, « Progressive Democrats ») [7]. (Liste de partis politiques irlandais non exhaustive, bien entendu...).

De même, la capitale Dublin (soit, initialement en gaélique : « Dubh Linn », i. e : ’’l’étang noir’’...) s’appelle également très officiellement « Baile Átha Cliath » (i.e : « La ville du gué aux haies de roseaux »), et porte donc - à parité d’avec son nom anglais - un nom gaélique.
Et il en va de même avec l’ensemble des villes de l’île qui ont aujourd’hui retrouvées (voir document ci-contre...) leurs noms gaéliques originaux d’autrefois : comme Antrim (Aontroim), Armagh (Ard Mhacha), Athenry (Baile Átha an Rí), Athlone (Baile Átha Luain), Ballymena (An Baile Meánach), Bangor (Beannchar), Belfast (Béal Feirste), Carlow (Ceatharlach), Castlebar (Caisleán an Bharraigh), Cavan (an Cábhán), Coleraine (Cúil Raithne), Cork (Corcaigh), Derry (Doire), Donegal (Baile D(h)ún na nGall), Drogheda (Droichead Átha), Dundalk (Dún Dealgan), Enniskillen (Inis Ceathlainn), Galway (Gaillimh), Kerry (Chiarrai), etc [8].
Bref, comme on l’a très rapidement et fort bien vu ici, l’usage officiel et politique de la langue gaélique en République d’Irlande (ou Eire) semble être consubstantiel même à l’identité nationale irlandaise (tout du moins au sens ’’républicain’’ du terme...).
...mais finalement très peu parlée.
Langue officielle et première « Langue officielle » de la République, le gaélique d’Irlande est également un enseignement linguistique obligatoire dans toutes les écoles et dans tous les lycées de la République d’Irlande. Mais néanmoins, bien qu’officiellement omniprésente dans la vie publique, cette langue est finalement fort peu parlée au quotidien.
Ainsi, selon le recensement 2001 de la population de la République d’Irlande, environ 1,5 millions d’habitants de ses habitants (soit environ 1/3 du total) possèderaient une certaine connaissance de la langue gaélique d’Irlande [9]. Cependant, aujourd’hui, on évalue le nombre total d’irlandais ayant une « bonne connaissance » du gaélique d’Irlande à seulement 250 000 personnes environ (soit moins de 5% de la population totale de la République d’Irlande).

Et on évalue le nombre d’irlandais utilisant ’’vraiment’’ couramment cette langue nationale (i. e : dans leur vie quotidienne...) à seulement 70 000 personnes (soit, là, moins de 2% de la population totale actuelle de la République d’Irlande...).
Ceux-ci vivant dans les quelques rares régions isolées de la côte ouest du pays [10] où le gaélique irlandais reste traditionnellement vivace : le « Gaeltacht ». L’ennui étant que ces régions ’’gaëlophones’’ aient précisément été dans le passé les régions les plus touchées par les mouvements d’émigrations vers l’étranger (certaines estimations démographiques estimant même que ce(s) ’’gaeltacht(ain)’’ - ou ’’réduit(s) gaélique(s)’’ - aurai(en)t perdu(s) environ un tiers de ses ’’Irish native speakers’’ entre les recensements de 1911 et 1925...).
Comment essayer de sauver le gaélique du déclin ?
Au XVIe siècle, toute la population d’Irlande (y compris la population d’origine anglaise et anglo-normande...) parle le gaélique, sauf peut-être à Dublin même. Mais il va se produire là un ’’retournement culturel’’ et, à la fin du XVIIIe siècle, les classes supérieures et moyenne (y compris de souche irlandaise, au sens celtique du terme) sont devenues anglophones : alors le gaélique n’est plus guère que la langue des pauvres.
Néanmoins, il y a environ un siècle et demi (bref : avant la fameuse famine de 1847-1848...), le gaélique était encore parlé pratiquement absolument partout en Irlande. Mais, après ces événements des années 1847-1848 (et l’émigration massive des années suivantes...) son usage décrut rapidement. Du reste, tout au long du reste du XIXe siècle, le gaélique ne cesse de reculer. Ainsi, déjà en 1870, 20% de la population seulement parlait la ’’langue nationale’’ [11].
D’ailleurs, Daniel O’Connell (i. e : l’un des fondateurs ’’historiques’’ du nationalisme irlandais ’’autochtone’’, 1775-1847), bien qu’il connaisse le gaélique, n’en prend pas la défense : pour lui, c’est alors le catholicisme qui caractérise le mieux la nation irlandaise, non la langue.
Mais, la fin du XIXe siècle allait connaître un ’’sursaut’’ nationaliste et identitaire irlandais pour lequel la lutte politique ne serait- pas seulement portée sur le terrain parlementaire ou de l’activisme révolutionnaire mais aussi sur le plan des valeurs nationales, parmi lesquelles on trouvait les Lettres et le Théatre, la Musique et le folklore, les sports typiques ’’nationaux’’ (comme le hurling, le football gaélique, etc) et, bien entendu, la ’’renaissance’’ de la langue.
Alors allait se produire un regain d’intérêt pour la ’’langue irlandaise’’ ; tout du moins chez les intellectuels et les nationalistes qui y puiseront un argument supplémentaire en faveur de l’indépendance. Ainsi, en se tournant vers le passé, l’Irlande s’efforçait de rompre moralement ses attaches d’avec l’Angleterre, voire d’accentuer les incompatibilités (et d’approfondir le fossé...).
Ainsi, l’ensemble du XIXe siècle, la fin du XIXe et le tout début du XXe siècle virent la création de nombreuses associations cherchant à promouvoir et à développer à nouveau l’usage du parler gaélique et de la poésie lyrique ’’ossianique’’.
« Imtheochaidh soir is siar a dtainig ariamh, An ghealach’s an ghrian. »
« Imtheoghaidh an ghealach’s an ghrian, An Daoine og is a chail ’na dhiadh »
« Imtheochaidh a dtainig ariamh, An Daoine og is a chail ’na dhiadh » [12]
Parmi lesquelles associations on trouve la fameuse « Ligue gaélique » fondée, en 1893, par Douglas Hyde (futur premier président de l’Eire : en 1938-1945).
Laquelle ’’Ligue gaélique’’ s’était fixée l’objectif de rendre à la langue gaélique son statut et son rang de langue nationale parlée par le plus grand nombre d’irlandais possible.
Par la suite la République d’Irlande naissante a relevé le défi et a fait de la renaissance, de la promotion, de la défense et de la diffusion de la ’’langue nationale’’ l’un de ses buts essentiels ou, tout du moins, abondamment proclamé.
En effet - dès 1922 - la Constitution de l’ « Etat libre » d’Irlande ou « Saorstat Eireann » [13] reconnaissait expressément la ’’Langue gaélique’’ comme langue officielle de l’Etat : tout d’abord à parité avec l’anglais (en 1922), puis bientôt comme ’’première’’ langue officielle de l’Etat (en 1937).
Les autorités de « l’Etat libre » amorçant là une politique de soutien étatique officiel : une politique que les autorités de la « République » allaient par la suite reprendre à leur compte et amplifier. Notamment avec l’enseignement du gaélique devenu obligatoire dans le système scolaire (dès 1922) et la mise en place de mesures spécifiques de protection du Gaeltach (dès 1925) ...
Et ce, par la mise en place d’une politique éducative volontariste (dans le primaire, dans le secondaire, dans le système supérieur-universitaire ainsi que dans l’enseignement technique...) et par l’encouragement (financier) à la publication d’ouvrages en langue gaélique plutôt qu’en anglais (ou, à minima, à l’encouragement financier à des publications bilingues anglo-irlandaises simultanées...). Et ce, sans même parler de la politique gouvernementale d’affichage public bilingue (i. e : signalétique routière, plaques du nom des rues, documentations officielles, etc).
Une politique volontariste (et, somme toute, très coûteuse...) que l’Etat républicain irlandais maintient de nos jours encore : par ses subventions accordées tant pour favoriser l’enseignement de la langue (en lui-même...) que pour essayer d’accroître le nombre de publications en langue gaélique.
Cependant, malgré tous ces efforts, si le nombre d’ ’’Irish native speakers’’ est peut-être resté sensiblement égal avec ce qu’il était au tout début des années 1920, l’anglais demeure néanmoins, en ce tout début de XXIe siècle, la langue commune de l’île et la langue dans laquelle s’expriment les élites irlandaises - politiques comme littéraires - d’aujourd’hui (sauf sur le plan musical, il est vrai...) quand elles se tournent vers le vaste monde...
Un besoin de reconnaissance

Néanmoins, malgré toutes les difficultés et toutes les déboires à faire renaître et à essayer de promouvoir la langue ’’nationale’’, cette question reste aujourd’hui de l’ordre du sentiment identitaire, de l’ordre de la symbolique et relève d’une certaine mystique nationale. Ce qui équivaut, en fait, à la rendre politiquement ’’sensible’’ sinon intouchable...
Ainsi, officiellement, le gaélique d’Irlande est donc la toute première langue officielle de la République d’Irlande (devant même l’anglais).
Pareillement, conformément à la « Charte européenne des langues régionales ou minoritaires », la langue gaélique d’Irlande est reconnue comme ’’langue régionale’’ en Irlande du Nord. Et ce, bien que celle-ci soit restée province britannique. Et c’est ainsi que, devenue une langue de travail officielle de l’Union européenne dès le 13 juin 2005, cette langue deviendra donc langue officielle de l’Union européenne en ce 1er janvier 2007.
Que s’est-il donc passé pour que la langue gaélique, négligée jusque là par les autorités même de la république (tout du moins au niveau européen...), devienne donc à son tour langue officielle de l’UE ? A cette question, les réponses sont multiples : aux revendications identitaires d’autrefois et au ’’revival’’ culturel celtique de ces dernières années [14] se sont surajoutées la croissance économique fulgurante et la prospérité inégalée de ces dernières années. Et, du coup l’Irlande - ’’élève modèle’’ de l’Union - aspire désormais (légitimement) à une reconnaissance supérieure de la part ses 24 (bientôt 26) partenaires.
Cela dit, il n’est pas non plus complètement exclu que d’autres raisons - plus politiciennes - aient certainement pesé sur cette décision. Ainsi, la politique linguistique de promotion du gaélique en Irlande même n’étant pas, à franchement parler, une ’’totale’’ réussite, il est fort probables que certains responsables politiques ’’locaux’’ aient essayé de trouver dans l’Europe la source de financements nouveaux (ou de ’’compensations morales’’ complémentaires...).
Cependant le gaélique n’aura donc pas le statut de ’’langue de travail’’. Et son utilisation se limitera, si l’on puis dire, aux seuls documents officiels. Ce qui obligera donc néanmoins à ce que soit effectuée la traduction en gaélique de l’ensemble de la production législative communautaire. Une petite ’’réforme symbolique’’ qui ne sera donc pas sans coût, celui ci étant aujourd’hui évalué à 3,5 millions d’euros par an (avec l’embauche nécessaire d’une trentaine de nouveaux traducteurs...).
Coût qui pourrait éventuellement s’amplifier si jamais quelque représentant irlandais siégeant au Parlement, à la Commission ou au Conseil, s’avisait désormais à parler exclusivement en gaélique à ces occasions (comme il en aura donc, alors, parfaitement le droit...) ou demandait expressément à ce qu’il soit fait une traduction spécifiquement en gaélique de ces débats (ce qui serait là aussi de son plus grand droit...).
Aontas eorpach : Aon taithe in iliocht ?! [15]

Toujours est-il que cette ’’officialisation’’ du gaélique d’Irlande comme 21e langue officielle de l’UE (alors que l’emploi de cette langue ne concerne directement que 70 000 personnes le parlant vraiment quotidiennement : soit moins de 0,02% de la population de l’UE...) pourrait très bien donner des idées similaires à bien d’autres groupes linguistiques minoritaires.
Ainsi, les locuteurs du catalan (environ 7 à 10 millions de locuteurs), de la langue basque (plus de 600 000 locuteurs), du galicien (plus de 2 millions de locuteurs) voire du russe (couramment parlé dans les pays baltes par les minorités russophones qui y vivent...) ou encore de la langue ’’Rom’’ (utilisée en Europe centrale : notamment en Slovaquie et en Roumanie...) pourraient à leur tout revendiquer pour leur langue ce même statut de ’’langue officielle de l’Union européenne’’.
Alors, l’Europe « Aon taithe in iliocht » (i. e : « Unie dans la diversité ») risquerait fort de ressembler plus que jamais à une tour de Babel post-moderne. A moins qu’il ne soit préalablement procédé à cette fameuse et indispensable réforme des Institutions que nombre d’entre nous attendent tant. Europe fédérale, maintenant !
1. Le 6 avril 2007 à 19:37, par Ronan
En réponse à : Le Gaélique d’Irlande, bientôt 21e langue officielle de l’Union européenne
Et juste préciser que, depuis le 1er janvier dernier (jour de l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’UE), le Bulgare et le Roumain sont donc de fait devenues (sans esprit de classement) les 22’ et 23’ langues officielles de l’Union européenne...
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