Altiero Spinelli

Le Fédéralisme européen et la Résistance

A l’occasion du centenaire de la naissance d’Altiero Spinelli

, par Cinzia Rognoni Vercelli

Le Fédéralisme européen et la Résistance

Du Manifeste de Ventotene (août 1941) à la fondation du Mouvement fédéraliste européen italien (août 1943), au phénomène des exils volontaires en Suisse (1943-44), à la Déclaration de la Résistance européenne sur le fédéralisme (Genève, juillet 1944) et à la Première Conférence internationale de Paris (mars 1945).

Spinelli est synonyme de Résistance ; et le fédéralisme continuera à l’être également. C’est ainsi que Luciano Bolis titrait l’un de ses articles publié, en novembre 1986, dans la Lettre aux Camarades, journal de la Fédération italienne des associations de partisans. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Une jeunesse emprisonnée

Arrêté à 20 ans, alors qu’il était encore étudiant, en tant que dirigeant de la fédération des jeunesses communistes clandestines et condamné par le tribunal spécial à 20 ans de réclusion. Il passe dix années dans différents établissements pénitenciers puis, suite à des amnisties accordées et à des diminutions de peine, il est rélégué à Ponza - où, en 1939, il quitte, non sans douleur, le Parti communiste suite à d’importantes divergences aussi bien politiques qu’idéologiques - et, ensuite, à Ventotene où il se lie d’une profonde amitié personnelle et de solidarité politique avec le giellista Ernesto Rossi et avec le socialiste Eugenio Colorni ; avec leur collaboration, il conçoit, en 1941, le célèbre Manifeste de Ventotene - Projet du Manifeste pour une Europe libre et unie et, sur ses bases, fonde, en août 1943, à Milan, qui venait d’être libéré du gouvernement Badoglio, le Mouvement fédéraliste européen. En résumant l’expérience de résistant de Spinelli : 10 années de prison, dont une année d’isolement total, et 6 années de rélégation.

En tout, seize années de souffrance et d’éloignement du monde. Un jeune homme qui perd sa liberté à 20 ans et la retrouve à 36 ! Une histoire à casser toute personne nerveusement moins solide que lui. Objectivement, avec Terracini et peu d’autres, il s’agit de l’un des emprisonnements les plus longs subis par un antifasciste pendant les vingt années de fascisme.

Partir de Suisse pour prendre une envergure internationale à l’action fédéraliste

Après ce préambule, il aurait été normalement logique qu’il reprenne au moins un peu de souffle. Au contraire, nous le trouvons en Suisse, avec Rossi, pour préparer et mettre en place, au printemps 1944, les premières réunions internationales, clandestines bien évidemment, de fédéralistes européens et ensuite une autre réunion du même type à Paris, à peine libérée, avec les premiers fédéralistes français. Dans les intervalles, une activité de conspiration bien remplie auprès du Secrétariat de l’Italie du Nord du Parti d’action avec Vittorio Foa, Riccardo Lombardi et Leo Valiani ; le seul parti dont l’engagement fédéraliste était vraiment réel.

Ce qui poussa Spinelli et les autres fédéralistes à traverser la frontière avec la Suisse, en septembre 1943, ce fut la décision de donner une envergure internationale à l’action fédéraliste et la conviction que le fédéralisme ne devait pas être uniquement un phénomène italien mais, comme Spinelli lui-même le dirait plus tard, « une plante qui a poussé partout dans l’Europe occupée ». Et en Suisse, « l’idée de l’unité européenne comme réponse aux problèmes de l’après guerre » était vraiment dans l’air. Dans la presse clandestine de la résistance italienne, française, belge, hollandaise, dont on pouvait obtenir des exemplaires, et également dans différentes publications anglaises qui traitaient du thème de l’après-guerre, cette idée résonnait souvent. Il existait des mouvements fédéralistes suisses, appuyés par d’autres associations internationalistes, dans lesquels le thème de la fédération, européenne ou mondiale, avait un certain poids. Il y avait ensuite les européistes des autres pays et, premiers de tous, les français et les allemands.

Dans la Résistance, affluèrent des hommes et des femmes provenant de familles culturelles et politiques assez différentes et appartenant à divers Etats européens. Ils étaient et restaient français, italiens, belges, etc… Mais l’expérience de la guerre les avait amenés à combattre côte à côte dans la lutte commune contre l’oppresseur nazifasciste au-dessus des frontières, non seulement pour coordonner l’action militaire en vue de la victoire mais aussi pour étudier les moyens de « construire » la paix et d’entamer la marche du continent européen vers le progrès.

« Comme des pêcheurs au bord du fleuve -écrivit Spinelli- nous avons commencé à jeter nos hameçons pour pêcher les fédéralistes européens qui vivaient dans les eaux suisses, dont nous étions désormais sûrs de l’existence. Nous préparions, nous polycopiions, nous faisions traduire, nous diffusions différents articles et ouvrages, nous écrivions avec des pseudonymes dans les journaux et hebdomadaires, nous expédiions des lettres, nouions des relations, organisions des rencontres, étudiions la littérature fédéraliste à la Bibliothèque de la Société des nations ».

Le rôle de la Résistance dans le processus d’unification européenne

Vers la fin de 1944, les vicissitudes de la guerre avaient cependant convaincu Spinelli et Rossi qu’il était temps de porter les efforts vers un objectif plus ambitieux : la préparation d’une grande conférence internationale, prémisse à une action fédéraliste à l’échelle européenne. Le meilleur endroit paraissait être la France soit grâce à l’intérêt porté à l’idéal fédéraliste, soit grâce aux contacts qui s’étaient établis avec les membres de la Résistance de ce pays avant, pendant, et après les réunions de Genève. C’est ainsi que du 22 au 25 mars 1945 se tint, à la Maison de la Chimie de Paris, la première conférence fédéraliste dans la France libérée. Ursula Hirschman s’était occupée de l’organisation ; Spinelli était l’animateur. A leurs côtés, de nombreuses et influentes personnalités étaient présentes parmi lesquelles Albert Camus, George Orwell, Jacques Baumel, Maurice Guérin, Henri Frenay, André Philip.

Les résultats de la recherche seront présentés au cours d’un colloque qui se tiendra à l’Université de Pavie à l’occasion de la commémoration du 25 avril 2008. L’objectif est d’éclairer encore mieux, à travers le parcours de Spinelli, le tableau des différents groupes qui, en deçà et au-delà des Alpes, se sont battus non seulement pour libérer le vieux continent de la domination nazifasciste mais aussi pour réaliser l’unité politique de l’Europe en montrant dont comment on peut effectivement dans la Résistance trouver les origines du processus d’unification européenne.

Ce texte servira de présentation d’un Colloque international d’historiens qui sera organisé à Pavie à l’occasion du 25 avril 2008 (anniversaire du jour de la libération, en Italie) sous l’égisde du Comité national pour la célébration du centenaire de la naissance d’Altiero Spinelli, présidé par l’ancien Président de la République italienne Carlo Azeglio Ciampi.

Traduit de l’Italien par Ivanna GRAZIANI, Vienne

Illustration : photographie d’Altiero Spinelli issue du site du MFE

Source :
 biographie d’Altiero Spinelli sur le site de Touteleurope.fr
 biographie d’Altiero Spinelli sur Wikipedia
 Institut Spinelli
 le Manifeste de Ventotene en français

Cet article a déjà été publié dans le numéro 135 de Fédéchose.

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