Au delà du territoire, la région métropolitaine entre espaces des « places » et des « flux »
En 1991, Saskia Sassen observe que New York, Londres et Tokyo sont des villes interdépendantes, reliées entre elles par un intense réseau de services avancés aux entreprises (banques, assurances, droits, conseils...) (25) portés par les technologies de la communication et par des transports aériens d’affaires permettant un « face à face » complémentaire au virtuel. Elle baptise ce processus « ville globale ». Cette dernière est considérée comme un flux d’informations et d’échanges, associés à de nouveaux modes de production, initié par les services avancés aux entreprises (19). Les sièges des multinationales et les espaces industriels ne sont pas pris en compte parce que fondés sur un espace de « place » trop peu relationel.
En distinguant la ville globale de la ville monde, Ben Derudder (11) rappelle que pour Friedmann, les 4 villes principales de la région métropolitaine Randstad contribuent à diffuser un capitalisme mondial générateur d’inégalité, par exemple à Jakarta, ancienne capitale des Indes néerlandaises, dont le « rattrapage » est aujourd’hui revu à la baisse par les économistes. En revanche, pour Sassen, qui ne mesure que la connectivité d’affaires entre les villes, Jakarta est très bien connectée à Amsterdam, et donc insérée dans la globalisation, d’avantage que Rotterdam, Utrecht et La Haye qui sont des centres de services avancés de moindre importance. Dès lors, la question qui se pose à l’aménageur est de comprendre comment la relation Jakarta-Amsterdam est susceptible de se diffuser dans la Randstad, autrement dit, comment caractériser la relation entre la ville globale et sa région (19). Le rôle de la région métropolitaine en tant qu’articulation entre le mondial et le régional est évident avec, par exemple, le trafic maritime à Rotterdam et le trafic aérien à Amsterdam Schiphol. Pourtant, la fonction de gateway se complexifie en regard d’une économie globale de services avancés, comme nous venons de le voir. Tout le problème se situe dans la relation entre l’infrastructure lourde de transport, située et basée sur les « places », et l’économie du savoir et de la connaissance qui se réfère à l’espace du « flux ».
Pour Manuel Castells, l’espace du flux est a-historique et s’impose désormais sur le traditionnel espace des places. Si d’un côté, villes et régions deviennent moins concurrentielles et plus complémentaires, de l’autre, les places que sont les territoires politiques ou administratifs et les infrastructures, sont reconsidérées. Un bon exemple est la relation de dépendance économique directe de moins en moins forte entre la ville et son port, comme c’est le cas à Anvers ou Rotterdam. Autrement dit, selon Castells et Sassen, l’économie du flux évolue en se croisant aux régions métropolitaines basées sur la « place » (rappelons le : infrastructures, densités de population, cadres politiques...) au lieu de leur être directement associées (19).
De la ville globale vers la ville régionale
Pour comprendre la diffusion des services avancés depuis la ville globale vers les villes régionales qui sont à sa proximité, Kathy Pain prend l’exemple de 8 régions d’Europe du nord-ouest (26) disposant chacune d’une ville globale très connective (27). Les résultats sont présentés au tableau 1 de la note (26). Dans un premier temps, sont considérés uniquement les réseaux intra-régionaux de ces entreprises de services avancés. A cette échelle locale, Paris, Londres, Francfort et Dublin sont des centres inévitables pour leur régions, alors que dans les régions Rhin-Ruhr, Randstad, Suisse alémanique ou Belgique centrale, il existe des liens intervilles forts qui échappent à la ville principale : Les villes secondaires de Cologne, Rotterdam, Bâle, Anvers, sont quasiment aussi connectés que, respectivement, Düsseldorf, Amsterdam, Zurich et Bruxelles qui disposent, elles, de fonctions globales importantes. La différence entre régions monocentriques et polycentriques est ici clairement établie.
Dans un second temps, toutes les villes globales d’Europe puis du monde (28) sont intégrées au corpus. Si le polycentrisme des services avancés (cette fois à l’échelle mondiale) reste fort dans les régions Rhin-Ruhr ou Randstad, il augmente contre intuitivement dans les villes à proximité de Londres et dans une moindre mesure dans la région parisienne, tandis qu’il devient presque nul dans les régions de Francfort et de Dublin. En effet, selon Pain, la très forte connectivité mondiale, tous secteurs de services confondus, de Londres a tendance à se diffuser dans les villes moyennes de sa région de proximité. Des villes comme Southampton ou Reading sont connectées à une économie de services internationale, au point de devenir de véritables centres autonomes et complémentaires à Londres. Le bassin parisien semble davantage freiné dans ce processus. Paris est un nœuds d’échange considérable mais ne parvient pas à développer une économie régionale globale, contrairement à son vis-à-vis britannique. La cause, selon certains auteurs, est à chercher dans un aménagement du territoire inadapté (29).
En dépit du polycentrisme de Rhin-Ruhr ou de la Randstad, et des complémentarités entre chacunes des villes composant ces régions : logistique et architecture à Rotterdam, finance à Amsterdam etc. (30), à l’échelle européenne et mondiale, les firmes de services avancés ont tendance à privilégier systématiquement la ville la plus connective soit Düsseldorf et Amsterdam qui se renforcent, au détriment de Cologne et de Rotterdam, et délaissent, contrairement à Londres, toutes les villes moyennes. Il en va de même à Francfort qui ne diffuse pas vers les villes de sa proximité ses fonctions financières internationales. Willem Salet observe la fragilité de la Randstad (31), causée par l’individualisme de la municipalité d’Amsterdam qui se replie politiquement sur elle-même à mesure qu’elle développe des emplois attachés à l’espace global vers l’aéroport de Schiphol, rompant des partenariats, en particulier avec Utrecht, bien que reliée à cette dernière par une urbanisation continue.
En conclusion, si les services publics d’aménagement du territoire des différents États sont devenus les nouveaux experts de l’Europe libérale, ils restent focalisés sur des « places », ancrées dans le béton des infrastructures et les cadres politiques figés. L’espace des flux est encore trop négligé, il est plus complexe à saisir mais permet de mieux de comprendre la globalisation.
1. Le 6 août 2010 à 07:09, par Martina Latina En réponse à : La région métropolitaine européenne : quelle cohésion dans quelle globalisation ? 2/2
Merci pour cet article. Le nom même de METROPOLE souligne la responsabilité quasi maternelle de ces villes : elles peuvent l’exercer d’autant plus activement qu’elles constituent un réseau synergique à travers l’Europe, tour à tour assoupli et consolidé par les mécanismes d’équilibrage que l’Europe continue de mettre en place et de perfectionner.
C’est évidemment pour cultiver le BIEN COMMUN, mais trop souvent à l’insu, de ceux qui vivent dans ces régions métroplitaines. Il appartient donc aux médias comme le TAURILLON d’approfondir la conscience de l’appartenance EUROCITOYENNE, à la suite de la figure d’EUROPE que son homonyme et père, le TAURILLON mythique, enleva du Proche-Orient pour la donner comme dénomination et comme mère - à commencer par la démocratie née des outils, eux aussi phéniciens, de la communication nautique autant qu’alphabétique - à l’EUROPE.
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