La politique du Royaume-Uni va-t-elle paralyser la Cour européenne des Droits de l’Homme ?

, par Charles Nonne

La politique du Royaume-Uni va-t-elle paralyser la Cour européenne des Droits de l'Homme ?

Le mandat du président français de la Cour européenne des Droits de l’Homme, Jean-Paul Costa, a pris fin le 3 novembre dernier. Le juge britannique à la Cour, Sir Nicolas Bratza, vient de prendre ses nouvelles fonctions de président après avoir été élu par ses pairs. Jusqu’à présent, la politique de la Cour avait permis d’assurer une meilleure protection des droits de l’homme en Europe, tout en respectant les identités de chacun des Etats. Or, son nouveau président provient d’une élite britannique de plus en plus réticente à accepter l’influence de la Cour.

La Cour européenne des Droits de l’Homme est née en 1959, quelques dix ans après la création du Conseil de l’Europe et l’adoption de la Convention européenne des Droits de l’Homme, le 4 novembre 1950. En cinquante ans d’existence, elle a rendu des décisions dans plus de 10 000 affaires, s’est étendue à 47 Etats européens et bénéficie d’une notoriété croissante, auprès des spécialistes comme des particuliers.

Basée à Strasbourg, elle est en mesure de condamner tout Etat membre qui violerait la Convention européenne des Droits de l’Homme, à la demande d’un justiciable ou d’une ONG. Elle a ainsi condamné la France à de nombreuses reprises pour sa politique pénitentiaire et les traitements dégradants que subissaient certains détenus ; elle n’a pas non plus été étrangère à la réforme très médiatisée de la garde à vue en France.

Des pays comme la Russie, la Turquie et l’Italie ont également fait l’objet de très nombreuses condamnations pour violation de la liberté d’expression, atteinte à la vie privée, procès non équitable. Les décisions mesurées de la Cour de Strasbourg ont donc influencé un grand nombre de lois touchant aux libertés publiques en Europe.

Le risque d’une double présidence britannique

Nicolas Bratza a effectué l’essentiel de sa carrière au Royaume-Uni, d’abord en tant qu’avocat puis en tant que juge. Il avait notamment défendu le gouvernement britannique devant la Cour européenne des Droits de l’Homme en 1981, lors d’une affaire dans laquelle un particulier avait contesté une législation réprimant certains rapports homosexuels entre adultes consentants, en Irlande du Nord.

Outre la présidence de la Cour de Strasbourg, le Royaume-Uni préside, depuis le 1er novembre dernier et pour six mois, le Conseil de l’Europe – dont la Cour fait partie intégrante. Or, le gouvernement britannique a d’ores et déjà averti ses partenaires européens qu’il pèserait en faveur d’une reprise en main de la protection des droits de l’homme par les Etats. Parmi ses priorités figure clairement la diminution du rôle de la Cour européenne, pour n’en faire qu’un organe subsidiaire, simple supplétif des juges nationaux.

Cette politique nationaliste fait écho aux récentes condamnations de l’Angleterre par les juges de Strasbourg, considérées comme une atteinte flagrante à sa souveraineté nationale. En 2005, la condamnation des Britanniques pour avoir refusé le droit de vote à un détenu condamné pour homicide a été l’élément déclencheur d’une longue série de critiques, de la part des hommes politiques et juristes anglais.

Le 10 novembre dernier, un juge de la Cour suprême anglaise, Jonathan Sumption, considérait que la Cour de Strasbourg n’avait aucune considération pour la démocratie [1]. Quelques semaines auparavant, le premier magistrat d’Angleterre avait également suggéré que les politiques britanniques ne devraient pas systématiquement se soumettre aux décisions de la Cour européenne des Droits de l’Homme [2]. Les médias britanniques ont quant à eux des positionnements ambigus, notamment par certaines interprétations alarmistes des décisions de la Cour de Strasbourg.

Avec la présidence britannique de la Cour européenne et du Conseil de l’Europe, il n’est pas impossible que le fonctionnement harmonieux de la Cour et sa politique conciliatrice et cohérente ne soient remises en cause par les velléités souverainistes des élites britanniques. Alors que les juges de Strasbourg étaient parvenus à faire appliquer la Convention tout en respectant la souveraineté et les particularités de chaque Etat, son influence positive en Europe pourrait connaître un affaiblissement sérieux.

Après cinquante ans d’activité, la Convention européenne des Droits de l’Homme est parvenue à acquérir une légitimité propre et à se positionner dans le paysage européen comme un dernier recours pour les justiciables. Elle est la preuve concrète que l’Europe des Droits existe bel et bien. Bien que ses décisions suscitent régulièrement des levées de boucliers de la part des Etats condamnés, rares sont les dirigeants qui vont jusqu’à remettre en cause les fondements de son fonctionnement.

S’il est difficile de prévoir si la Cour de Strasbourg va modifier sa politique sous l’influence d’un président britannique, les inquiétudes demeurent. La politique britannique aurait des conséquences désastreuses si les dirigeants anglais parvenaient à réduire les pouvoirs d’une Cour dont les décisions protectrices des libertés publiques bénéficient aujourd’hui à 800 millions d’Européens.

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Vos commentaires
  • Le 18 novembre 2011 à 10:52, par Laurent Nicolas En réponse à : La politique du Royaume-Uni va-t-elle paralyser la Cour européenne des Droits de l’Homme ?

    Article aussi intéressant qu’alarmant. Je me demande, néanmoins, si le seul changement de président de la Cour peut justifier d’aussi vives inquiétudes quant à l’influence et au poids de la Cour et de ses décisions : vous semblez d’ailleurs avoir un « doute raisonnable » sur ce point. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le fonctionnement de cette institution ? Quel rôle joue le président ? Quelle place pour la collégialité ? Quelle perméabilité de la Cour aux revendications politiques nationales ?

  • Le 18 novembre 2011 à 15:23, par Morel Alban En réponse à : La politique du Royaume-Uni va-t-elle paralyser la Cour européenne des Droits de l’Homme ?

    Laurent Nicolas,

    Ça n’est pas le seul changement de président de la cour (c’est du moins ce qu’il me semble apparaitre) qui inquiète les auteurs de l’article ; c’est en réalité un climat général de remise en cause de la Convention Européenne des Droit de l’Homme par les élites aux UK qui est jugée alarmant. Ils n’ont d’ailleurs pas tort, ça n’est pas un acte isolé : Lord Phillips, le président de la cour suprême britannique et Lord Judge le Lord Chief Justice, ont tous deux émis des réserves sur le rôle de de la Cour de Strasbourg de même que le justice secretary Kenneth Clarke. Heureusement, tout n’est pas encore perdu, le Ministre de la Justice à lui déclaré que si le Royaume-Uni décidait de se retirer de la convention, lui quitterait le gouvernement ; le mouvement est donc encore loin d’être unanime.

  • Le 21 novembre 2011 à 07:32, par Charles Nonne En réponse à : La politique du Royaume-Uni va-t-elle paralyser la Cour européenne des Droits de l’Homme ?

    Bonjour Laurent Nicolas,

    Bien entendu, le seul changement de président de la CEDH ne suffirait pas à lui seul à susciter de réelles inquiétudes. La collégialité prévaut au sein de la Cour, et le président est, au moment de rendre des décisions, un juge comme un autre. Par ailleurs, Nicolas Bratza est juge à la CEDH depuis de nombreuses années.

    En revanche, la présidence permet d’avoir une influence non négligeable sur les autres juges et sur le positionnement global de la Cour. On a pu voir, avec le précédent président Jean-Paul Costa, que la Cour a pu se positionner dans des cas concrets et juger en droit, tout en étant attentif aux revendications nationales. Les autres sources d’inquiétudes proviennent à la fois de l’opinion générale des juges britanniques et de la politique du gouvernement britannique. Alors même que nous disposons d’une source efficace de protection des droits de l’homme à travers la CEDH, les Anglais réfléchissent actuellement à adopter une nouvelle « déclaration anglaise des droits ». La Cour de Strasbourg fait l’objet de critiques répétées, ses jugements sont extrapolés, ses positionnements systématiquement décriés.

    La situation est loin d’être critique concernant la CEDH, mais il me semble qu’il faudra, à l’avenir, être très vigilants quant à la politique du Royaume-Uni en la matière.

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