La pensée fédéraliste et la construction européenne

Une brève introduction au Fédéralisme.

, par Chantal Delsol, Martine Méheut

La pensée fédéraliste et la construction européenne

En France, le terme « fédération » est presque un gros mot... Appliqué à la construction européenne, il suscite malaise, incompréhension, rejet. Mais, comme souvent, les concepts gagnent à être clarifiés.

Qu’est-ce qu’une fédération ?

La fédération est une unité politique formée d’un ensemble d’unités politiques autonomes. Les compétences y sont donc partagées.

Les membres de la fédération revendiquent pour eux-mêmes toutes les compétences qu’ils sont capables d’assumer : par exemple, les Lander allemands gèrent les problèmes d’éducation sur leurs territoires respectifs.

Mais les membres de la fédération cèdent à l’Etat fédéral les compétences qu’ils ne peuvent assumer : par exemple, l’Etat fédéral allemand a la charge de la politique étrangère allemande.

Il ne faut pas confondre la fédération et la confédération. La confédération est un accord entre des unités politiques qui délèguent des pouvoirs temporaires à une instance intergouvernementale.

Dans la confédération, les seuls membres sont des Etats et sont souverains. Tandis que la fédération est une union plus soudée et définitive (autant qu’il puisse y avoir du définitif dans l’histoire humaine).

Dans la fédération, l’instance fédérale est un gouvernement souverain, mais les membres disposent d’une souveraineté partielle : ici la souveraineté est partagée.

C’est bien ce concept de souveraineté partagée qui écorche nos oreilles françaises. En France, la nation s’est construite autour de l’Etat, et d’un Etat centralisé. La France est sans doute le pays d’Europe le plus éloigné de la forme fédérative.

En France, tout part du centre et remonte au centre : par exemple, les programmes scolaires y sont organisés au ministère de l’Education nationale, de façon unifiée et pour l’ensemble du territoire. Nous avons donc énormément de peine à imaginer une structure fédérale, c’est -à-dire complètement décentralisée, qui s’oppose à toute notre histoire.

Les paradoxes de l’actuelle construction européenne

La construction européenne a été conçue depuis plusieurs décennies selon un modèle centralisé à la française. Mais il faut ajouter deux faits qui compliquent la question et peuvent expliquer la confusion dans laquelle les esprits sont jetés :

- L’Europe se centralise sans pourtant posséder une instance politique de gouvernement.

Faute de politique, c’est l’administration qui prend le pouvoir, et tout naturellement elle réglemente, ce qui est la vocation d’une administration.

Dans bien des cas, l’instance européenne a reçu des compétences que les Etats membres auraient pu conserver ; alors que, à défaut d’un véritable gouvernement européen, elle ne peut prendre en charge les compétences pour lesquelles les Etats membres sont insuffisants.

Si l’Europe était fédérale, il y aurait un gouvernement européen chargé exclusivement des tâches régaliennes, mais les Etats membres conserveraient les compétences pour lesquelles ils sont suffisants.

- En même temps, cette situation contradictoire de centralisation sans pouvoir central est décrite partout comme un début de fédéralisme.

Ce qui contribue encore plus à rendre suspect le fédéralisme aux Français, déjà peu enclins à le promouvoir. Or il ne s’agit pas du tout de fédéralisme, mais d’une formule hybride et sans doute peu durable, car elle suscite l’agacement des citoyens.

Ceux-ci souhaiteraient à juste titre conserver à leurs nations respectives les compétences qu’elles peuvent assumer, et si cette condition était remplie, beaucoup d’entre eux seraient prêts à ce que leur Etat cède à une instance politique européenne les compétences devenues trop complexes pour l’échelon national (une partie de la politique étrangère, ou la politique monétaire, par exemple).

Découvrir ce qu’est le fédéralisme

Nous sommes persuadés que si les Français avaient une idée plus précise à la fois de ce qu’est une fédération, et des insuffisances de la structure européenne actuelle, ils seraient nombreux à vouloir pour l’Europe une structure fédérative.

Car celle-ci permettrait à notre nation de conserver son identité et ses différences, tout en participant à un ensemble plus vaste qui saurait résoudre les problèmes devenus trop complexes pour nous seuls.

Faudrait-il encore que le principe fédératif soit correctement appliqué, ce qui n’est pas du tout le cas actuellement. Le malaise des esprits devant la construction européenne provient donc, selon nous, de la confusion des mots et des notions.

C’est pour contribuer modestement à une clarification nécessaire que nous vous proposons donc depuis peu les articles de notre nouvelle rubrique « Découverte du fédéralisme ».

Demandez le programme...

Dans cette rubrique, vous lirez une série d’articles où Martine Méheut pose les principes d’une fédération en soulignant la résonance proprement européenne de cette notion politique. Maurice Croisat brosse un tour d’horizon des fédérations dans l’espace mondial actuel.

Ivan Serge Keller remonte jusqu’aux origines de l’histoire européenne pour montrer comment la fédération s’est réalisée, sous des formes diverses, chez les peuples anciens du vieux continent, puis dans la féodalité médiévale et jusque dans la Suisse moderne. Jean-Pierre Gouzy rappelle l’inspiration fédéraliste des penseurs de l’Europe contemporaine depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Georges Navet souligne les deux sources majeures de la pensée fédéraliste chez Tocqueville et Proudhon, montrant clairement les fondements à la fois sociologiques et philosophiques de cette pensée. Et Chantal Delsol insiste sur les conditions anthropologiques de l’application d’une fédération.

Vos commentaires
  • Le 1er juillet 2006 à 16:52, par Ali Baba En réponse à : La pensée fédéraliste et la construction européenne.

    Excellente analyse de la méfiance des Français à l’égard d’une Europe fédérale.

  • Le 7 décembre 2006 à 10:54, par tasseda En réponse à : La pensée fédéraliste et la construction européenne.

    Bonjour, je suis étudiante en droit et je ne suis pas franchement convaincue que le fédéralisme soit une bonne chose pour l’UE.D’une part ceci remettrait en cause la souverneté des Etats membres et je ne suis pas sûre que se soit une bonne idée qu’un Etat renonce à sa souverneté politique, faute déjà d’avoir renoncé à notre souverneté économique.Ceci n’a par ailleurs pas fait diminuer le chômage et à contribué à une hausse d’inflation des prix. Alors l’UE, oui, mais une UE de confédération et non de fédération !

  • Le 8 décembre 2006 à 14:07, par Valéry En réponse à : La pensée fédéraliste et la construction européenne.

    Bonjour,

    J’ai fait du droit également - mais aussi des sciences politiques - et je suis pour ma part convaincu que l’Union européenne ne peut pas remplir ses missions et les espoirs que l’on a mis en elle sans renforcer sa dimension fédérale.

    La preuve en est que tout ce qui fonctionne bien aujourd’hui dans l’Union européenne est ce qui fonctionne sur le mode communautaire, et donc sur un mode quasi-fédéral, et que tout ce qui ne fonctionne pas est ce qui est resté bloqué au système diplomatique classique.

    Par ailleurs si l’on souhaite que l’Europe soit utile il faut qu’elle ait des compétences réelles et les moyens de les mettre en oeuvre. Or ce type de pouvoir n’est pas envisageable sans un contrôle démocratique. Par conséquent si l’on souhaite une Europe efficace, il n’y a pas d’alternative à la mise en place d’un système politique européen démocratique, et donc d’un système essentiellement fédéral.

    Pour répondre à ce que vous nous avez écrit :

    > D’une part ceci remettrait en cause la souverneté des Etats membres

    Ce qui compte véritablement c’est la souveraineté populaire : le fait que les lois dépendent du vote des citoyens. Or si il y a des lois européennes il faut donc une démocratie européenne. Si on n’a pas de lois européennes, on a tout simplement pas d’Europe.

    Ce qui compte aussi c’est la souveraineté réelle et non théorique : aujourd’hui dans un grand nombre de domaines nos gouvernements nationaux sont certes compétents mais n’ont pas en réalité les moyens de faire grand chose. Ensemble, ces moyens sont bien plus puissants. On s’en rend compte en ce qui concerne le commerce international.

    > faute déjà d’avoir renoncé à notre souverneté économique.Ceci n’a par ailleurs pas fait diminuer le chômage et à contribué à une hausse d’inflation des prix.

    Lutter contre une hausse d’inflation des prix est précisément l’un des objectifs assignés à la banque centrale européenne qui a plutôt bien réussie puisque l’inflation est stable depuis plusieurs années. Ensuite il est vrai que certains prix ont pu augmenter (alors que d’autres ont diminués) mais les facteurs de hausse ne sont clairement pas monétaires.

    Quand au chomâge on ne peut qu’observer d’une part que la mise en place du marché unique dans les années 80 et 90 a créé de l’emploi, même si dans certains pays ces créations n’ont pas suffit à faire baisser durablement les chiffres du chômage et que d’autre part le marché de l’emploi reste un marché essentiellement national, ainsi que le droit du travail et de nombreux autres facteurs. On ne peut pas demander à l’Europe plus qu’elle ne peut donner : l’union économique et monétaire donne un cadre stable aux économies des pays membres et encourage les échanges et donc la croissance, mais au delà un grand nombre de conditions du succès restent spécifiques à chaque pays. La preuve en est la différence de situations en matière de croissance et d’emploi entre les différents pays membres de la zone euro.

    > Alors l’UE, oui, mais une UE de confédération et non de fédération !

    Dans un très grand nombre de domaines, comme vous l’avez compris, l’Union a déjà dépassé ce stade. Il reste à achever cette construction juridique par une construction politique qui fasse que là où l’Europe est compétente, ce soit es citoyens qui décident par la désignation de leurs représentants d’une part, et que là où l’Europe n’existe pas ou pas assez (politique étrangère, affaires sociales...) on lui donen els moyens d’agir.

  • Le 7 février 2007 à 19:43, par Pierre-Michel En réponse à : La pensée fédéraliste et la construction européenne.

    C’est pourtant clair. Une Europe fédérale correspondrait à une Europe possédant un centre exécutif occupé aux fonctions régaliennes dévolues à l’Etat, les autres fonctions, sur le modèle allemand, étant à la charge des Etats ou régions. Le renoncement de la souveraineté politique, comme vous l’écrivez, serait transférée au profit du centre politique fédéral. La question est de savoir où réside des peuples : rester au sein d’Etats-nations trop petits pour résister seuls aux géants sino-américains ou prendre le chemin du fédéralisme pour contruire une puissance politique de premier plan ? Je suis d’accord avec vous : la marche vers l’unité politique doit se faire raisonnablement. De la même manière que l’émergence des nations a mis du temps, l’émergence de la république européenne ne peut pas se faire du jour au lendemain comme nous le prouve la montée de l’euroscepticisme sur fond d’enlisement de l’idée européenne. Une république, la forme d’un état, ne peut exister que dans le cadre d’un espace géographique défini qui nécessite une réflexion sur ce qu’est l’Europe.

  • Le 8 février 2007 à 10:33, par Ronan En réponse à : La pensée fédéraliste et la construction européenne.

    C’est pourtant clair.

    Re : Pour ma part je serai plus nuancé.

    Le renoncement de la souveraineté politique, comme vous l’écrivez, serait transférée au profit du centre politique fédéral.

    Re : Il ne s’agit pas de renoncer formellement à la souveraineté politique mais de bien comprendre tout ce qu’il y a de ’’mythologique’’ dans ce dogme ’’théologico-politique’’ dit de la ’’souveraineté théorique’’. Et ce, pour mieux la partager avec autrui dans des échelons de gouvernance qui seraient infiniment plus pertinents (i. e : que l’Etat-nation...) pour régler certaines questions.

    L’important ici est sans doute moins cette ’’souveraineté’’ tant fantasmée que la nécessité impérieuse d’un contrôle démocratique de tous les échelons de gouvernance qui seraient alors mis en place. Pour ce qui est d’un organisation comme l’UE, cela veut donc dire qu’il faut construire un espace public européen et un espace démocratique transnational.

    La question est de savoir où réside (l’avenir) des peuples : rester au sein d’Etats-nations trop petits pour résister seuls aux géants sino-américains ou prendre le chemin du fédéralisme pour contruire une puissance politique de premier plan ?

    Re : L’objectif n’est pas non plus nécessairement de construire une nouvelle super-puissance de plus (Ah, fameux vertige de la puissance !) qui pourrait - à terme - finalement se révéler tout aussi dangereuse pour la paix que les autres (ou que les précédantes...).

    Mais il s’agit de construire - en Europe, continent meurtri par l’histoire s’il en est - le vivre ensemble. Et de proposer ainsi au reste du monde le modèle effectif d’une organisation supranationale efficiente (et, on l’espère, harmonieuse...).

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