Municipales 2008

La participation des Portugais aux élections européennes et municipales en France

, par Sylvie Strudel

La participation des Portugais aux élections européennes et municipales en France

Tous les citoyens européens peuvent voter à l’occasion des élections municipales. C’est notamment le cas de ceux issus de la forte communauté portugaise qui réside en France. Les Cahiers de l’Urmis ont (sous la plume de Sylvie Strudel) étudié le vote de ces citoyens.

1 - En dissociant dans l’acte électoral le lien établi entre nationalité et citoyenneté, l’article 8B du traité signé à Maastricht le 7 février 1992 ouvre des perspectives inédites : en effet, les ressortissants européens disposent désormais d’un droit de vote et d’éligibilité pour les élections municipales et européennes dans le pays de l’Union où ils résident [1]. Autrement dit, un Portugais habitant en France peut voter ou être élu à une élection municipale ou européenne en France, parce qu’il est un citoyen de l’Union. Comment concrètement peut-on être un citoyen européen, au sens où le formule cet article du traité ? Voulue par « le haut », la citoyenneté européenne a-t-elle une consistance dès lors qu’on l’observe par « le bas » ? Construite par le droit, se décline-t-elle dans des usages et une pratique ou bien faut-il, une fois encore, prendre acte du paradoxe, solidement installé depuis une dizaine d’années dans les résultats des enquêtes d’opinion publique, selon lequel plus avance et s’accélère institutionnellement la construction de l’Europe et plus semble reculer le désir d’Europe chez les citoyens [2].

2 - L’intérêt pour les mécanismes de mise en œuvre concrète de ce nouveau droit s’explique par au moins trois raisons de nature différente :
 d’une part, la taille de la population concernée, qui compte 4,5 millions d’électeurs potentiels [3], mais aussi les contours de celle-ci : les profils sociologiques des migrants européens et les formes de mobilité intra-européenne ne sont encore que partiellement étudiés ;
 d’autre part, le statut symbolique du vote en ce qu’il touche à la construction séculaire des identités nationales est dorénavant sollicité au profit d’un nouveau cadre transnational : les résistances de certains États membres à transposer les dispositions de l’article 8B signent les enjeux forts de l’articulation entre nationalité et citoyenneté et invitent à les questionner ;
 enfin, la citoyenneté européenne, dans les textes, est parée de toutes les vertus démocratiques [4], alors que dans les faits, elle semble plus fonctionner comme outil concurrentiel entre les institutions européennes (Parlement versus Commission), objectif répulsif pour certains gouvernements et objet non identifié pour les citoyens [5].

Entre incantation et incarnation, une interrogation sur les fonctions virtuelles et réelles qui sont assignées à la citoyenneté européenne s’impose.

3 - Cette contribution propose un premier cadrage à partir d’un travail de long terme engagé au niveau français et européen sur la « citoyenneté européenne par le bas » [6]. Après une brève présentation juridique des textes qui encadrent la mise en place des droits politiques des citoyens migrants de l’Union, elle cherchera à rendre visible les usages qu’en ont et qu’en font les États membres et leurs électeurs [7], puis elle insistera particulièrement sur la participation des ressortissants portugais en France.

4 - La notion de « citoyenneté de l’Union » a été codifiée au cœur du traité instituant la Communauté européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992, et confirmée à cette place dans celui d’Amsterdam (2 octobre 1997). Formalisée par les traités, la citoyenneté européenne est à la fois limitée, incertaine et novatrice. Limitée, car la Communauté ne possède aucune compétence en matière d’attribution de la citoyenneté européenne : celle-ci est de pure conséquence ou de « superposition », conditionnée par la possession de la nationalité d’un des États membres (art. 17, traité d’Amsterdam). Incertaine, comme en témoigne l’agrégation de droits aussi hétérogènes que le droit de circulation et de séjour sur le territoire de l’Union (art. 18), le droit de vote et d’éligibilité aux élections locales et européennes dans l’État membre de résidence pour les ressortissants européens (art. 19), le droit à la protection des autorités diplomatiques ou consulaires des pays tiers (art. 20), le droit de pétition devant le Parlement européen (art. 21) et enfin le droit de saisie du médiateur européen (art. 22). Novatrice cependant, par ses dispositions électorales qui rompent un principe séculaire dans des États-nation, où la citoyenneté politique est arrimée à la nationalité. Mais seule la généralisation est innovante : la frilosité française en ce domaine ne saurait faire oublier l’ancienneté des expériences étrangères, étendues parfois à l’ensemble des non-nationaux [8].

La mise en œuvre par les États

5 - Que savons-nous de la mise en œuvre concrète de ce droit de vote attribué aux citoyens européens ? Déjà mis en pratique à deux reprises à l’occasion des élections des députés au Parlement européen (1994-1999), le droit de vote des citoyens européens à l’échelon municipal a été en revanche « expérimenté » pour la première fois dans certains pays de l’Union : notamment en Belgique au mois d’octobre 2000 et en France en mars 2001, alors qu’il est « routinisé » dans d’autres États depuis de longues années et parfois étendu à l’ensemble des étrangers (Danemark, Pays-Bas, Irlande...). Si l’article 8B2 (art. 19§2 TCE), qui concerne les élections européennes, a relativement rapidement trouvé à se concrétiser [9], en revanche une analyse en miroir de la mise en œuvre du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales (art. 8B1 puis 19§1 TCE) mérite une étude particulière. En ouvrant la voie à « (...) des dispositions dérogatoires lorsque des problèmes spécifiques à un État membre le justifient » [10], les traités de Maastricht puis d’Amsterdam ont fourni à certains États - dont la Belgique, le Luxembourg et la France, mais pour des raisons différentes - des occasions de se hâter lentement...

6 - Les vicissitudes et atermoiements étatiques pour la mise en place du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales laissent entrevoir aussi combien ces dispositions vont à rebours de certaines traditions constitutionnelles et menacent (réellement ou phantasmatiquement) des équilibres électoraux nationaux. Plus spécifiquement, les lenteurs liées aux transpositions en droit interne, notamment en France, illustrent la portée des débats et enjeux associés au concept de citoyenneté européenne. La France, dont la tradition constitutionnelle « verrouille » l’appartenance à la communauté politique nationale, a développé une attitude singulière. La question du droit de vote aux étrangers constitue un « serpent de mer » de la vie politique française : hochet stratégique que se disputent idéologues de la droite extrême et activistes des mouvements antiracistes. Après l’abandon de la 80e des 110 propositions du candidat François Mitterrand à la présidence en mai 1981, le gouvernement fut peut-être aise de se voir imposer par le haut une mesure qu’il avait peiné à traiter de l’intérieur : « le traité de Maastricht vint en quelque sorte court-circuiter ces débats, en présentant les droits politiques de certains étrangers comme un acquis irréversible" [11]. Dès lors, la discussion se déplaça aussi vers le terrain de l’application juridique. Consulté en 1992 sur la compatibilité du traité de Maastricht avec la Constitution, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°92-308 DC du 9 avril 1992 [12], mentionna l’article 8B comme contraire à la Constitution en avançant deux arguments.

Le premier argument rappelait l’article 3 de la Constitution qui précise que « sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français » et le second évoquait la participation du Sénat à la souveraineté nationale et son mode d’élection. Le Sénat assurant la représentation des collectivités territoriales et certains élus locaux participant à l’élection des sénateurs, des résidents communautaires élus conseillers municipaux auraient pu être amenés à participer à l’élection d’un organe législatif national. Une Loi constitutionnelle fut adoptée en juin 1992 qui ajoute à la Constitution un titre « Des Communautés européennes et de l’Union européenne", avec un article 88-3 précisant : « Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l’Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l’Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ni d’adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l’élection des sénateurs. Une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux Assemblées détermine les conditions d’application du présent article". [13] Deux observations relatives à la rédaction précautionneuse de cet article s’imposent : d’une part, l’obligation de mise en œuvre est transformée en simple faculté (« peut ») et d’autre part, on y trouve en « avant-première » les limitations qui seront stipulées par la directive communautaire deux ans plus tard (94/80/CE). Même si une deuxième décision du Conseil constitutionnel affirme que ces dispositions « ont pour effet de lever l’obstacle d’ordre constitutionnel » [14], ce texte révèle la prégnance d’une conception indivisible de la souveraineté nationale et la résistance française à découpler la citoyenneté de la nationalité.

Ultime avatar de cette situation, les débats parlementaires ont rencontré l’urgence d’attendre [15] et ce n’est qu’en mai 1998 que la législation française a été mise en conformité avec les engagements européens [16] : la Commission interrompit le recours en manquement qu’elle avait introduit un an plus tôt, mais les élections municipales de 1995 étaient passées…

7 - S’il y a loin des principes aux discours, le chemin est tout aussi long des textes aux pratiques. Les taux d’inscription sur les listes électorales pour les élections des députés au Parlement européen de juin 1994 et juin 1999 fournissent quelques éléments statistiques pour mesurer les usages que font les migrants communautaires de leurs nouveaux droits électoraux et en dresser un premier bilan. En attendant l’adoption d’une procédure électorale uniforme, près de 4 300 000 citoyens de l’Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants auraient ainsi pu participer aux élections de leur État membre de résidence, s’ils l’avaient souhaité (électeurs potentiels à 15 États sur un électorat total d’environ 270 millions de personnes) [17]. Cette opportunité n’a pourtant été expérimentée que par respectivement 6 % en 1994 et 9 % en 1999 de ce corps électoral potentiel [18]. En 1994, une seule candidate non nationale a été élue dans son État membre de résidence - Mme Wilmya Zimmermann, ressortissante néerlandaise qui réside en Allemagne - pour 53 candidats non nationaux dans l’Union (dont 5 en France). En 1999, le nombre de candidats et d’élus non nationaux sur les listes électorales d’un État membre continue de se situer à un niveau très bas : 62 non nationaux se sont portés candidats sur des listes de leur État membre de résidence et 4 ont été élus (2 en Belgique, 1 en France et 1 en Italie). Ces résultats plus que mitigés s’accompagnent de considérables variations des taux d’inscription selon les pays (44 % en Irlande, moins de 2 % en Grèce) mais aussi selon les nationalités à l’intérieur d’un même pays.

8 - La France se situe dans la fourchette basse [19] avec un taux d’inscription de 3,8 % soit 47 632 inscrits pour 1 250 049 électeurs potentiels en 1994. En juin 1999, moins de 6 % des citoyens européens ont opté pour ce mode d’inscription en France (soit 72 399 personnes sur 1 224 492), ce qui marque une faible progression en cinq ans. Les nationalités les plus inscrites sont les Belges, les Néerlandais et les Britanniques (entre 8 % et 11 %) et les moins inscrites sont les Espagnols, les Grecs et les Portugais (entre 1,3 % et 3,4 %) [20]. Les Français installés en Europe ne sont guère plus « zélés », puisqu’ils seraient, en 1999, 25 700 à s’être inscrits dans leur pays de résidence [21], soit un taux d’inscription d’environ 7 %.

9 - Tout en restant globalement timide, la mobilisation des résidents communautaires semble se jouer davantage à l’échelon local. On observe en tout cas des taux d’inscription plus importants. Pour les élections municipales des 11 et 18 mars 2001, le ministère de l’Intérieur recense 166 122 Européens vivant en France inscrits sur les listes électorales complémentaires sur un total de 1 224 492 personnes [22], ainsi que 991 candidats européens pour 255 788 candidats de nationalité française. Ils ne sont que 204 sur les 83 445 conseillers municipaux élus dans les communes de plus de 3 500 habitants à provenir d’autres pays de l’Union européenne. Lors des élections municipales françaises, 13,8 % des ressortissants européens se sont inscrits en 2001 contre 3,8 % à l’occasion des élections des députés au Parlement européen en 1994. A cette occasion d’ailleurs, les voix des étrangers européens ont fait l’objet de comptes et décomptes chez les candidats qui se défendent de tout « communautarisme » mais ne résistent pas à la fascination de ce nouvel enjeu politique [23]. Il demeure que le phantasme d’une dilution des votes des Français dans l’ampleur des bulletins des ressortissants de l’Union n’est pas fondée. L’utilisation effective du droit de vote relativise largement sa portée : au-delà des déclarations convenues, les pratiques sont courtes. Entre les hésitations des citoyens et les atermoiements des États membres, la construction problématique d’une nouvelle forme de participation électorale illustre le récurrent décalage entre théorie et pratique, toujours au principe de la quête d’une effective Union politique.

La situation des ressortissants portugais en France

10 - Qu’en est-il plus spécifiquement de la situation des ressortissants portugais en France ? Une première remarque méthodologique s’impose. Contrairement à ce que laisserait penser une vision fétichiste de la statistique, celle-ci peut avoir des contours incertains et ne donner qu’une vision incomplète (non complexe) de la situation sociale. Les électeurs portugais potentiels et/ou inscrits qui vont être comptabilisés ici (dans ce texte) sont exclusivement de nationalité portugaise. Autrement dit, ceux qui ont la double nationalité sont d’une part comptés comme Français par l’Insee et sont d’autre part, en conséquence, inscrits sur les listes électorales françaises. Bref, ils « disparaissent » en tant que double nationaux dans la statistique puisque la nationalité française l’emporte, dans ce cas [24].

11 - En poids relatif par rapport à l’ensemble des ressortissants européens électeurs potentiels (18 ans et plus), les Portugais constituent le groupe le plus important. En 2001, sur un peu plus de 1,2 million d’électeurs européens potentiels, les Portugais seraient environ 566 000 personnes, soit 47 % de l’ensemble. Cette quasi-moitié de l’effectif les place loin devant les Italiens (204 000) et les Espagnols (167 000) [25].

12 - Cette première place se maintient en effectifs chez les inscrits, puisque 57 478 Portugais se sont inscrits sur les listes électorales en vue des élections municipales de 2001. Là encore, les Italiens sont loin derrière (36 570 inscrits), ainsi que les Espagnols (17 948). On peut cependant faire quatre remarques :

13 - Alors que les Portugais forment près de la moitié du corps électoral potentiel européen en France, ils ne représentent plus que le tiers des inscrits (34,5 %). Autrement dit, il y a une « déperdition » importante d’électeurs potentiels au moment du passage à l’acte d’inscription.

14 - Cette première place en 2001 est le fruit d’une importante mobilisation sur la période puisqu’on est parti d’assez loin. En effet, les Portugais n’étaient qu’un peu plus de 8 000 à s’être inscrits sur les listes électorales complémentaires lorsque cette occasion leur fût donnée pour la première fois en 1994. Ils furent ensuite plus du double en 1999 (un peu plus de 16 000). Les Portugais étaient derrière les Italiens en effectifs aux européennes de 1999, ils sont désormais loin devant eux.

15 - On pourrait voir dans cette lente mais progressive mobilisation, une surmobilisation portugaise spécifique de 1999 à 2001, puisque sur la même période les autres nationalités ont globalement doublé leurs effectifs d’inscrits (mais non pas triplé).

16 - La dernière remarque est celle qui fâche : en dépit de cette première place en effectifs et de cette surmobilisation en 2001, dès lors qu’on lit cette fois les tableaux en ligne et non plus en colonne, on constate que comparativement aux autres nationalités, les Portugais sont en fait faiblement inscrits. Si l’on raisonne en taux d’inscription (inscrits sur potentiels), on constate que les Portugais sont en queue de peloton, avec le plus faible taux d’inscription parmi l’ensemble des ressortissants de l’Union, que ce soit en 1994, 1999 ou 2001 (soit 10,1 % pour cette dernière élection). A titre de comparaison, les taux d’inscription les plus élevés sont ceux des Néerlandais (29,5 %), des Belges (25,7 %) et des Luxembourgeois (22,8 %), puis viennent ceux des Danois (18,1 %) et des Italiens (17,9 %).

17 - En l’état actuel des données disponibles, et vu de haut c’est-à-dire à un niveau national, l’analyse des inscriptions fait apparaître deux éléments. Premièrement, la géographie de l’inscription est à l’image des localisations de peuplement. Les départements où les inscrits Portugais sont les plus nombreux sont - sans surprise - ceux de la région Île-de-France, du Puy-de-Dôme et du Nord. Deuxièmement, la différenciation par sexe des inscrits se fait au profit des hommes : ceux-ci sont plus nombreux à être inscrits (58,8 % contre 41,2 % des femmes) [26]. La question est ici de savoir si cette structure par genre est conforme à celle de la population portugaise de 18 ans et plus ou si non, de quoi est-elle le signe ? A titre de première hypothèse, on peut signaler que les quatre pays qui ont les taux d’inscription féminins les plus bas sont l’Italie (37,6 %), le Portugal (41,2 %), l’Espagne (43,5 %) et la Grèce (43,9 %). Sommes-nous dans des structures démographiques à l’image de celles de ces populations migrantes ou bien dans des schémas sociaux de construction d’un rapport sexué à la sphère publique ?

18 - En vertu du traité de Maastricht, les ressortissants de l’Union européenne sont non seulement électeurs mais aussi éligibles. Là encore, qu’en est-il effectivement ? Les résultats sont plus que mitigés. Peu nombreux, les candidats de l’Union européenne sont aussi moins bien élus que les candidats français : sur les 991 candidats ressortissants européens comparés aux 255 935 candidats français, 204 d’entre eux ont été élus contre 82 954 Français [27]. Autrement formulé, un candidat français sur 3 a été élu alors qu’un candidat européen sur 5 a été élu, ce qui s’explique par la place souvent lointaine, en queue de liste, laissée à ces derniers. Autre constatation : sur 45 candidats européens qui se sont présentés sur des listes parisiennes, aucun d’entre eux n’a été élu. Enfin plus spécifiquement, sur 389 Portugais candidats au niveau national, 83 d’entre eux ont été élus, soit un taux d’élection de 21,3 %, (qui est un peu supérieur à la moyenne de 20,6 %). Les candidats européens les « mieux » élus, sont les Suédois (30 %), les Irlandais et les Néerlandais (25 %) et les Espagnols (23,2 %).

Une autre observation peut être formulée sur la capacité des différentes nationalités à faire émerger des candidatures : les 389 candidats portugais représentent en fait plus de 566 000 électeurs potentiels, soit 0,06 % de l’électorat potentiel portugais. C’est beaucoup moins, comparé au ratio des Néerlandais ou des Finlandais, en revanche c’est autant que chez les Italiens et les Espagnols. Autrement dit, les trois nationalités les plus anciennement implantées en France sont celles qui « dégagent » le moins de candidats au sein de leurs rangs, ce qui laisse songeur sur les formes d’intégration politique…

L’observation finale est la plus suggestive : alors que les ressortissants inscrits de l’Union européenne ont une structure par sexe de 56 % d’hommes contre 44 % de femmes, celle des candidats de l’UE est sa quasi inverse (48 % d’hommes contre 52 % de femmes). Plus encore, alors que les inscrits portugais sont nettement plus nombreux que les inscrites (ainsi que nous l’avons évoqué plus haut), en revanche il y a presque autant de femmes candidates portugaises que d’hommes portugais (188 femmes pour 201 hommes). Il semblerait, d’après mes premières analyses, qu’il y ait un « bon usage » de la candidature étrangère, dès lors qu’elle est couplée avec le possible respect des règles relatives à la parité. Brutalement exprimé : quitte à être « l’européen de service », il vaut mieux être « l’européenne de service ».

Conclusion

19 - En guise de conclusion, je souhaiterais esquisser une rapide mise en perspective avec des données internationales. En effet, si l’on regarde la situation en Belgique, des convergences apparaissent. En 1994, lors de l’élection des députés au Parlement européen, les Portugais ont le taux d’inscription le plus faible comparé à l’ensemble des nationalités de l’Union installées en Belgique : on compte 240 inscrits pour 16 575 électeurs portugais potentiels (taux d’inscription de 1,45 %) alors qu’on dénombre en tout 23 721 inscrits pour 473 137 électeurs potentiels européens [28], soit un taux d’inscription de 5 %. Lors des municipales du 8 octobre 2001, le taux d’inscription des Portugais est de 7,5 % alors qu’il s’établit à une moyenne de 17,1 % pour l’ensemble des ressortissants de l’Union en Belgique [29].

On voit donc, de part et d’autre de la frontière, des continuités récurrentes qui témoigneraient de cette « discrétion » des Portugais [30]. En France, ce groupe de ressortissants européens, qui est numériquement le plus nombreux, reste proportionnellement et comparativement le moins mobilisé lors des élections municipales de 2001. Alors bien sûr, la participation politique (voter, être candidat) n’est qu’un des éléments de la citoyenneté et « l’invisibilité » [31] est contre-balancée par des mobilisations, souvent associatives [32] : il demeure que la citoyenneté européenne pratiquée par les Portugais résidant en France reste, aujourd’hui et en l’état actuel, limitée dans sa portée et dans ses usages.

Bibliographie
 « Municipales, le poids du vote “étrangers” », Le Journal du Dimanche, 17/11/2000.
 BRECHON P., CAUTRES B. (dir.), Les enquêtes Eurobaromètres, Paris, L’Harmattan, 1998
 CAUTRES B., DENNI B., « Les attitudes des Français à l’égard de l’Union européenne : les logiques du refus » dans BRECHON P., LAURENT A., PERRINEAU P. (dir.), Les cultures politiques des Français, Paris, Presses de Sciences Po, 2000, pp. 323-354.
 CAUTRES B., REYNIE D. (dir.), L’opinion européenne 2000, Paris, Presses de Sciences Po, 2000.
 Commission des Communautés européennes, Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l’application de la directive 93/109/CE, Bruxelles, 7/1/1998, COM (97), 731 final.
 CORDEIRO A., « Les Portugais, une population “invisible” ? » dans DEWITTE P. (dir.), Immigration et intégration. L’état des savoirs, Paris, Éditions La découverte, 1999, pp. 106-111.
 LE COUR GRANDMAISON O., WIHTOL DE WENDEN C. (dir.), Les étrangers dans la cité. Expériences européennes, Paris, La Découverte, 1993.
 Livre blanc sur la gouvernance européenne (Commission européenne, juillet 2001)
 LUCHAIRE F., « L’Union européenne et la Constitution », Revue du droit public et de la science politique, 1992.
 MAGNETTE P., La citoyenneté européenne, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1999, p. 175.
 MARTINIELLO M., « Les ressortissants communautaires et la pratique de la citoyenneté de l’Union » dans MAGNETTE P. (dir.), De l’étranger au citoyen, Bruxelles, De Boeck Université, 1997, p. 130.
 STRUDEL S., « La citoyenneté de l’Union : l’incertaine construction d’un corps électoral européen” dans REYNIE D., CAUTRES B. (dir.), L’opinion européenne 2001, Paris, Presses de Sciences Po et Fondation Robert Schuman, 2001, pp. 53-64.
 STRUDEL S., « Les citoyens européens aux urnes : les usages ambigus de l’article 8B du Traité de Maastricht », Revue internationale de politique comparée, vol.9, n°1, printemps 2002, pp. 47-63.

Illustration :
 photographie prise lors de la demi-finale de la Coupe du Monde 2006 à l’occasion du match France-Portugal. Cette image représente bien l’amitié qui s’est établie entre Français et Portugais, sans pour autant oublier sa culture. Source : FlickR de Mshamma.
 logo des Cahiers de l’Urmis.

Le Taurillon remercie spécialement M. Hervé Andres des Cahiers de l’Urmis qui nous a autorisé à reproduire ce travail dans nos colonnes.

Pour plus d’information sur l’origine du texte :

Sylvie Strudel, « La participation des Portugais aux élections européennes et municipales en France », Cahiers de l’Urmis, N°9, Portugais de France, immigrés et citoyens d’Europe - février 2004, 2004, mis en ligne le 15 février 2005.

Notes

[1L’article 8B du traité de Maastricht est devenu l’article 19 dans la nouvelle numérotation après la signature du traité d’Amsterdam, le 2 octobre 1997. En voici le texte : « 1. Tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas ressortissant a le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État. Ce droit sera exercé sous réserve des modalités arrêtées par le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen ; ces modalités peuvent prévoir des dispositions dérogatoires lorsque des problèmes spécifiques à un État membre le justifient. 2. Sans préjudice des dispositions de l’article 190, paragraphe 4, et des dispositions prises pour son application, tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas ressortissant a le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État. Ce droit sera exercé sous réserve des modalités, arrêtées par le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen ; ces modalités peuvent prévoir des dispositions dérogatoires lorsque des problèmes spécifiques à un État membre le justifient. » (art. 19 TCE).

[2Cf. bilan établi par CAUTRES B., DENNI B., « Les attitudes des Français à l’égard de l’Union européenne : les logiques du refus » dans BRECHON P., LAURENT A., PERRINEAU P. dir., Les cultures politiques des Français, Paris, Presses de Sciences Po, 2000, pp. 323-354. Voir aussi les contributions dans BRECHON P., CAUTRES B. (dir.), Les enquêtes Eurobaromètres, Paris, L’Harmattan, 1998 et dans CAUTRES B., REYNIE D. dir., L’opinion européenne 2000, Paris, Presses de Sciences Po, 2000.

[3Même si celle-ci ne représente que 2 % de la population européenne électorale totale...

[4Les phrases ritualistes sur le sujet sont légion : il suffit pour s’en persuader de consulter le Livre Blanc sur la gouvernance européenne (récemment édité par la Commission, juillet 2001) et qui affiche comme thème central « rapprocher l’Europe de ses citoyens », ou encore de se référer aux déclarations d’intention sur « la participation des citoyens » qui accompagnent la mise en place de la Convention.

[5On reviendra dans ce texte sur les usages parcimonieux de ce nouveau droit par les électeurs concernés.

[6Une recherche comparative (France, Belgique, Danemark et Portugal) et pluridisciplinaire sur « Les usages municipaux de la citoyenneté européenne : mobilisations, votes et en jeux communautaires », dont j’assure la coordination scientifique, est actuellement en cours et bénéficie d’un soutien du CNRS dans le cadre du Programme L’Identité européenne en questions, dirigé par Bruno Cautrès.

[7Pour une version détaillée de cette analyse, cf. STRUDEL S., « Les citoyens européens aux urnes : les usages ambigus de l’article 8B du Traité de Maastricht », Revue internationale de politique comparée, 9 ( 1), printemps 2002, pp. 47-63.

[8LE COUR GRANDMAISON O., WIHTOL DE WENDEN C. (dir.), Les étrangers dans la cité. Expériences européennes, Paris, La Découverte, 1993.

[9Cf. STRUDEL S., « La citoyenneté de l’Union : l’incertaine construction d’un corps électoral européen” dans REYNIE D., CAUTRES B. (dir.), L’opinion européenne 2001, Paris, Presses de Sciences Po et Fondation Robert Schuman, 2001, pp. 53-64..

[10Cf. texte note 1.

[11MAGNETTE P.,La citoyenneté européenne, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 1999, p. 175.

[12Décision n°92-308 DC du 9 avril 1992 dans JORF du 11 avril 1992 ; cf. LUCHAIRE F., « L’Union européenne et la Constitution », Revue du droit public et de la science politique, 1992, pp. 608-616.

[13Loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992.

[14Décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992 du Conseil constitutionnel repris dans LUCHAIRE F., « L’Union européenne et la Constitution », Revue du droit public et de la science politique, 1992, p. 1610-1624.

[15Il fallut attendre plus de huit mois pour que le Gouvernement français, celui de M. Alain Juppé, puisque celui de M. Édouard Balladur qui avait approuvé la directive n’avait pris ensuite aucune initiative, s’engage dans la voie de la transposition de celle-ci en droit interne, par le dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale d’un projet de loi organique. L’examen de ce texte ne fut jamais inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et devint caduc du fait de la dissolution de 1997.

[16Loi organique n°98-404 du 25 mai 1998 et décret d’application n°98-1110 du 8 décembre 1998.

[17Chiffres tirés de : Commission des Communautés européennes, Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l’application de la directive 93/109/CE, Bruxelles, 7/1/1998, COM (97), 731 final.

[18Pour des tableaux comparatifs, cf. : STRUDEL S., art. cit., 2002, p. 56.

[19Avec la Belgique, l’Allemagne, la Grèce, l’Italie, le Luxembourg, le Portugal et le Royaume-Uni.

[20Pour des tableaux comparatifs, cf. STRUDEL S., art. cit., 2002, p. 57.

[21Source : Insee, listes électorales communiquées (sauf Grèce et Irlande).

[22Pour un tableau de synthèse, cf. STRUDEL S., art. cit., 2002, p. 58.

[23Parfois non dénué d’ambiguïtés : « Municipales, le poids du vote "étrangers" », Le Journal du Dimanche, 17/11/2000.

[24Je remercie très chaleureusement Jorge de Portugal-Branco de l’ambassade du Portugal en France pour la richesse des explications qu’il m’a données sur ce sujet.

[25Source : ministère de l’Intérieur, 31 décembre 2000.

[26Source : ministère de l’Intérieur, répartition par État, département et sexe des ressortissants membres de l’Union européenne inscrits sur les listes complémentaires - élections municipales 2001.

[27Communes de plus de 3 500 habitants, source : ministère de l’Intérieur.

[28Cf. tableau de MARTINIELLO M., « Les ressortissants communautaires et la pratique de la citoyenneté de l’Union » dans MAGNETTE P. éd., De l’étranger au citoyen, Bruxelles, De Boeck Université, 1997, p. 130.

[29Source : ministère belge de l’Intérieur.

[30Un travail de thèse sous ma direction est actuellement mené, pour explorer cette dimension, par Malika Ghemmaz, allocataire de recherche à l’université de Lille II.

[31CORDEIRO A., « Les Portugais, une population « invisible » ? » dans DEWITTE P. (éd.), Immigration et intégration. L’état des savoirs, Paris, Éditions La découverte, 1999, pp. 106-111.

[32A l’instar de la « Première rencontre des candidats portugais ou d’origine portugaise », qui a eu lieu à la Maison du Portugal à Paris le 3 mars 2001, organisée par le Fédération des associations portugaises de France.

Vos commentaires
Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom