La nouvelle politique de défense d’Obama : les répercussions sur l’Europe

, par Francesco Violi, Traduit par Charlotte Lerat

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La nouvelle politique de défense d'Obama : les répercussions sur l'Europe
Armée américaine en Irak http://www.flickr.com

La coupe budgétaire de 487 milliards de dollars pour les dix années à venir, récemment décidée par le Pentagone – et très vigoureusement défendue par Obama, alors qu’elle fait l’objet de féroces attaques de la part de la majorité des membres du Parti Républicain – est un événement qui marque un véritable changement dans l’histoire récente de la politique de défense américaine.

Les coupes budgétaires ne seront pas immédiates mais commenceront à partir de 2013 et impliqueront la révision du nombre d’unités qui passeront de 570 000 à 490 000 en l’espace de cinq ans, alors que le nombre de Marines diminuera aussi, passant de 200 000 à 182 000. Il est par ailleurs prévu d’annuler plusieurs grandes commandes militaires.

Leon Panetta, Secrétaire à la Défense, a annoncé que le Pentagone demanderait au Congrès 525 milliards d’euros pour l’année 2013, soit 6 milliards de moins par rapport au budget de l’année en cours. La dépense destinée aux opérations de guerre, exclue du budget militaire de base, passera de 115 milliards de dollars à 88 milliards de dollars, dans la perspective du retrait des troupes américaines d’Irak et d’Afghanistan. Globalement, d’ici à 2017, les dépenses annuelles, tout en augmentant (le Pentagone dépensera chaque année un montant qui atteindra le pic de 567 milliards de dollars en 2017), connaitrons une hausse inférieure aux prévisions qui estimaient qu’en 2017 le budget serait de 622 milliards de dollars.

Il ne s’agit donc pas d’une inversion de tendance mais plutôt d’un ralentissement de la tendance qui reste toutefois à la hausse. En 2001, avant le 11 septembre, les dépenses militaires annuelles s’élevaient à 297 milliards de dollars. En janvier 2009, au début de la Présidence Obama, celles-ci s’élevaient à 513 milliards de dollars. En termes réels, le budget annuel pour la Défense a progressivement doublé en huit ans. Globalement, le projet de coupes budgétaires proposé prévoit un « ralentissement » de la tendance et une économie de 487 milliards de dollars, étalés sur dix ans. Lors du prochain quinquennat, l’économie souhaitée devrait représenter un cumul de 259 milliards de dollars. Le Pentagone n’a toutefois pas fourni de détails sur la manière dont la coupe budgétaire sera mise en œuvre, même si on note dans les allocutions d’Obama la volonté d’utiliser ces économies pour revoir en profondeur les priorités de la Défense américaine, un engagement qu’Obama avait déjà pris lors de son élection.

Le projet d’Obama et les nouveaux défis

Le principal objectif d’Obama est de lancer la politique de défense américaine sur une nouvelle voie. Les dimensions actuelles de la Défense, en termes de budget et d’hommes employés, sont indéniablement dues à l’engagement américain en Afghanistan et en Irak. Par conséquent, le retrait de ces deux fronts implique un nécessaire rééquilibrage des ressources, notamment en termes de soldats employés et de dépenses en termes réels. En résumé, la Défense américaine telle que la pense Obama ne peut pas rester seulement axée sur le soutien de deux guerres simultanément.

Les deux longues guerres en Irak et en Afghanistan ont été coûteuses non seulement aux niveaux financiers et humains mais aussi au niveau de la perte de prestige et de l’usure de l’appareil de guerre américain. La nouvelle politique de défense qu’Obama entend mettre en place d’ici 2020 devra être souple, flexible, reposer sur un arsenal de très haute technologie ainsi que sur une coopération réciproque et faite de confiance avec ses alliés. Par ailleurs, conformément aux engagements de non prolifération, l’arsenal nucléaire américain sera aussi redimensionné, alors que l’accent sera davantage mis sur les investissements pour la défense antimissile, la guerre cybernétique, la surveillance et l’intelligence.

La principale nouveauté concerne précisément la manière dont ces coupes budgétaires seront réalisées au niveau du déploiement international. Sur la base du Defense Strategic Guidance, si l’étroite collaboration avec les pays européens dans le cadre de l’OTAN reste un élément incontournable de la politique de défense américaine, il est prévu de réduire les troupes américaines sur le sol européen, en ne dépassant pas les 30 000 hommes, et de renforcer parallèlement la présence américaine en Asie du Sud-est. Désormais considérée comme un continent en paix, à l’abri de possibles crises, l’Europe fait de moins en moins l’objet des préoccupations de l’administration Obama.

Malgré les récentes tensions avec Poutine et l’annonce par ce dernier du lancement d’un nouveau programme d’investissements militaires, la Russie n’est plus considérée comme étant une menace comme ce fut le cas par le passé, cela en dépit des récentes crises dans la Méditerranée. La Russie n’est plus perçue comme étant une source de tensions pouvant menacer la sécurité mondiale. L’Union européenne sera donc appelée à jouer un rôle plus important dans la stabilisation de son voisinage et devra compter de moins en moins sur l’appui américain.

Sur la nouvelle scène mondiale, la potentielle zone de conflits est l’Asie du Sud-est, où le poids de la Chine ne cesse de croître. Seulement pour l’année 2012, le gouvernement de la République Populaire de Chine a procédé à une augmentation de 11,2% du budget de la Défense. L’augmentation du poids et des investissements militaires chinois mène peu à peu à une nouvelle course aux armements dans toute la région. En effet, l’Inde, principal rival de la Chine dans le Sud-est asiatique, a également annoncé une augmentation de son budget pour la Défense qui s’élèvera en 2012 à pas moins de 17% par rapport à l’année précédente. D’autres pays de la zone ont aussi annoncé une augmentation de leur budget de Défense, notamment le Japon, la Corée du Sud et Taïwan.

La situation en Asie reste très tendue. La paix sur le continent asiatique ressemble de plus en plus à un état de trêve permanente. Si l’hégémonie américaine dans la région venait à être remise en question alors l’Extrême Orient pourrait devenir la zone la plus instable et la plus dangereuse pour la sécurité mondiale. C’est précisément pour cette raison que les États-Unis souhaitent garder le contrôle de la région ainsi que renforcer leur stratégie d’endiguement vis-à-vis de la Chine, présentée par tous les Rapports du Pentagone comme étant le principal adversaire de l’hégémonie américaine.

Dans le court terme, le Golfe persique reste la zone qui inquiète le plus l’administration Obama. Les tensions entre Israël et l’Iran n’ont jamais été aussi fortes et on entend de plus en plus parler d’une intervention d’Israël avant la fin de l’année. Obama veut éviter à tout prix un tel scénario et souhaite surtout éviter que les États-Unis ne soient entrainés dans un possible conflit contre l’Iran, à moins qu’une éventuelle provocation de ce dernier telle que le blocus total du détroit d’Ormuz, ne les y oblige. Cette guerre aurait des coûts extrêmement élevés non seulement en termes de vies humaines mais aussi en termes politiques, vu les situations imprévisibles qu’elle pourrait générer. Un tel conflit provoquerait aussi une hausse exponentielle des prix des hydrocarbures qui serait fatale à la fragile reprise économique mondiale. Par ailleurs, un tel conflit ébranlerait encore davantage les finances américaines, rendrait impossible les coupes budgétaires prévues et porterait à une augmentation du budget militaire.

Quel rôle pour l’Europe dans la nouvelle politique de défense américaine ?

Il émerge clairement du scénario décrit que l’Union européenne sera appelée dans les prochaines années à jouer un plus grand rôle dans la sauvegarde de la sécurité mondiale. Aussi bien politiquement que financièrement il est devenu impossible pour les contribuables américains de payer pour la défense des deux côtés de l’Atlantique, surtout à un moment historique où la nouvelle stratégie américaine exige une présence accentuée dans le Pacifique. Obama vise clairement à émanciper les européens de l’égide américaine et il est dans son intention d’avoir une Europe responsable de sa propre défense mais alliée aux États-Unis et non pas rivale, dans la sauvegarde de la paix mondiale. L’objectif d’Obama est d’avoir une Europe forte mais pro-américaine, en accord avec la politique étrangère américaine traditionnelle depuis Roosevelt, et différente aussi bien de la doctrine néoconservatrice de Bush qui voulait une Europe divisée et essentiellement sous l’emprise des États-Unis, que de la doctrine néogaulliste de Chirac qui voulait une Europe forte mais rivale des États-Unis sur la scène politique mondiale.

L’histoire a montré la fausseté de ces deux doctrines. Une Europe complètement sous l’emprise des États-Unis représente en effet un coût que Washington ne peut ni ne veut continuer à supporter, alors que l’évolution des rapports économiques internationaux et des dépenses militaires dans le monde démontrent que l’Union européenne n’est pas en situation de supplanter les États-Unis comme puissance hégémonique, mais peut contribuer, sur un pied d’égalité avec les autres partenaires mondiaux, a écrire un nouveau chapitre de l’histoire du nouvel ordre multilatéral de la sécurité mondiale.

Le moment est donc venu pour les Européens de commencer à assumer leurs propres responsabilités et à prendre conscience des risques que leur division peut représenter. Si chaque pays conserve sa propre politique nationale souveraine, alors la priorité ne sera plus seulement au financement de l’Etat providence car les dépenses pour la Défense pourraient commencer à peser de plus en plus sur les budgets de chaque Etat et donc par conséquent sur les poches des citoyens. Dans une telle perspective, il faut réfléchir attentivement non seulement au montant de la dépense, mais surtout à l’efficacité et à une bonne allocation de cette dernière. A l’heure actuelle, l’Union européenne serait, si l’on additionne les données des vingt-sept États membres, le deuxième « pays » au monde du point de vue de ses dépenses militaires. Selon les dernières données disponibles, les États membres de l’Union européenne dans leur ensemble ont dépensé un peu plus de 194 milliards d’euros en 2010, soit 1,61% du PIB global de l’UE. En termes absolus, une armée fantôme de l’UE (toujours en additionnant les données de tous les États membres) serait la deuxième au monde avec 1 695 122 hommes, 2 614 491 réservistes et 755 034 paramilitaires.

En outre, des 194 milliards d’euros dépensés, seulement 44 milliards d’euros sont réservés à la « Recherche et développement », un montant qui par ailleurs est le plus souvent investi dans des projets développés par différents États membres mais similaires, alors que 100 milliards d’euros, c’est-à-dire plus de la moitié du montant total, sont consacrés aux dépenses de personnel. Les problèmes les plus graves auxquels la Défense européenne est confrontée sont donc la duplication des projets, des fonctions, des structures et des départements militaires. La dispersion des ressources due au maintien des différentes armées nationales est la principale contribution que les citoyens européens payent, cela en raison d’un chauvinisme désuet.

Vos commentaires
  • Le 2 juillet 2012 à 09:19, par Arnaud Huc En réponse à : La nouvelle politique de défense d’Obama : les répercussions sur l’Europe

    Votre article est intéressant et pose les bonnes questions. On voit très bien que Obama reprend la doctrine militaire de Truman et Eisenhower qui consistait à promouvoir une défense européenne solide face à l’URSS pour permettre aux Etats-Unis d’alléger leurs dépenses militaires en Europe et/ou rediriger leurs moyens vers le Pacifique. Les américains avaient par ailleurs poussés la formation de la Communauté Européenne de Défense. Adoption qui avait été un échec, notamment en France.

    Finalement les seuls qui, comme le dit votre article, furent opposés à la mutualisation des défenses européennes furent les dirigeants tièdes de l’époque. Il semble que les dirigeants d’aujourd’hui s’inscrivent dans la même conception que leurs ainés et n’arrivent pas à penser au long terme (les réactions face à la crise ne sont pour l’instant que des mesures dites rustines). A quand un sursaut ?

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