Pourquoi l’Europe lutte tant pour trouver une solution à l’impasse politique actuelle et développer une vision convaincante et courageuse de son avenir ?
Au cours des dix années qui ont suivi la mise en place du décevant traité d’Amsterdam, la critique s’est concentrée sur la manière utilisée pour réformer les institutions européennes. Les conférences intergouvernmentales ont été accusées d’être non démocratiques et de n’être capable que de donner naissances à des compromis mous.
L’alternative, sous la forme d’une Convention européenne a été critiquée par certains gouvernements comme étant détachée de la réalité politique et par les fédéralistes comme manquant du pouvoir d’agir comme une véritable assemblée constituante. Après les referenda en France et aux Pays-Bas, les ratifications sont suspectées de laisser les choix européens à des débats nationaux erratiques ainsi que de faire dépendre le « oui » de beaucoup du « non » de quelques autres.
Bien que ces critiques contiennent leur part de vérité, elles ne réussissent pas à voir une tendance bien plus profonde :
Réussite de l’élargissement + échec de l’approfondissement
= impasse actuelle
Le défi combiné auquel fait face l’Europe depuis la chute du mur de Berlin (réunir l’Allemagne, établir l’Euro, étendre l’Union aux nouveaux membres et en même temps approfondir sa structure politique) a échoué. L’élargissement de l’Union aux pays d’Europe centrale et orientale a été un facteur crucial pour la stabilité économique et politique de l’Europe, et la perspective d’élargir l’Union aux Balkans et plus tard à la Turquie va dans le même sens.
Néanmoins l’élargissement, couplé à un manque de projet politique autour de l’Euro, a débouché sur une Union de vingt-sept (trente dans un avenir pas si lointain) membres encore plus hétérogènes. Ils ont des attitudes diverses au sujet de l’Union, de sa structure, de ses politiques, de sa place dans le monde ainsi que sur la plupart des objectifs de l’intégration européenne.
L’attitude de certains pays peut varier à la suite de changements gouvernementaux mais l’opposition tranchée de certains membres, anciens ou nouveaux, à la perspective de céder une partie de leur souveraineté à une fédération européenne est profondément ancrée dans leur histoire, la nature de leur classe politique et l’opinion publique. Il n’est pas surprenant que le Traité établissant une constitution européenne mécontente à la fois les nationalistes - car trop centraliste - et les pro-Européens - car trop faible. Il n’est pas non plus surprenant qu’aujourd’hui, la perspective de sauver un version abrégée du traité s’avère être une tâche si compliquée.
Le moyen de s’en sortir : le noyau européen !
Dans les prochains mois, les gouvernements nationaux chercheront une solution à l’actuelle crise du traité constitutionnel en ayant recours à un traité dilué adopté au cours d’une très classique conférence intergouvernementale.
S’ils y parviennent, le traité améliorera certains mécanismes d’une Union à échelle continentale, pourtant peu structurée. Mais cela ne changera ni la nature structurelle de l’Union ni la direction de son développement.
S’ils échouent, ils laisseront l’Europe en plein désarroi, avec un risque de délitement.
Dans tous les cas, le choix final est le même :
– soit accepter le lent mais inévitable évolution de l’Union en une version européenne des Nations Unies,
– soit essayer de sauver le projet des Etats-Unis d’Europe en partant d’un noyau de pays où l’attitude de la classe politique et des citoyens rendront un tel projet concevable, même si c’est immensément difficile.
La base naturelle d’un tel noyau est la zone Euro, mais ce sera probablement encore plus restreint, englobant la France, l’Allemagne et quelques autres membres fondateurs, peut-être soutenu par d’autres comme l’Espagne, la Slovenie et l’Autriche.
Les propositions allant dans le sens d’un noyau européen ne sont pas nouvelles dans l’histoire récente du projet européen. Au début des années 90, François Mitterand et Jacques Delors soulevèrent l’idée d’une fédération à l’intérieur d’une confédération pour gérer les défis de l’élargissement et de l’approfondissement de la Communauté.
En 1994, une « Kerneuropa » (Europe noyau) comprenant un nombre limité de pays fut proposée dans un manifeste de Schauble et Lamers (CDU-CSU) dans l’idée de compléter la création de l’Euro. En 2000, Joschka Fischer, alors ministre allemand des affaires étrangères émit l’idée de bâtir une avant-garde fédérale. Le premier ministre belge Verhofstadt a récemment soutenu l’idée de faire des Etats-Unis d’Europe entre pays de la zone Euro.
A chaque fois, d’autres urgences politiques ainsi que les grandes difficultés repoussant la mise en route un tel projet ont prévalues. Mais, le moment de faire ces choix approche à nouveau, et, peut-être pour la dernière fois.
1. Le 14 avril 2007 à 10:05, par Thomas Lefebvre En réponse à : La Vision d’Europe a disparu – seul un « noyau européen » peut la ramener à la vie
Ah, l’Europe noyau, la tarte a la creme franco-belgico-germano... Mais cela fait des annees que la « vision » (Spaak, etc..) est perdue. Maastricht, ce n’etait pas la quintessence de la « vision. » Et c’etait bien avant le grand elargissement.
« chaque fois, d’autres urgences politiques ainsi que les grandes difficultés repoussant la mise en route un tel projet ont prévalues. Mais, le moment de faire ces choix approche à nouveau, et, peut-être pour la dernière foi »
Sauf que peu de pays veulent cette Europe noyau (allez vendre l’Europe noyau a l’Irlande, bon courage) et qu’il va falloir l’acceptation de TOUS les Etats membres pour mettre en route cette Europe noyau. Quelle strategie pour l’Europe noyau ? On en parle, on en parle, on ne trouve jamais de strategie coherente de mise en place de l’Europe noyau.
Et puis, quelle va etre la relation entre l’Europe noyau et le reste de l’UE ? Quels processus decisionels ? Ce n’est deja pas suffisement complique comme ca ?
Nan, ce qu’il faut c’est du pragmatisme : la « vision » est perdue, c’est un fait. Revenir aux papas fondateurs en permanence, ca ne sert a rien. Il est temps de s’adapter a la done actuelle plutot que de vivre dans la nostalgie d’une illusion perdue.
2. Le 14 avril 2007 à 11:40, par Fabien Cazenave En réponse à : La Vision d’Europe a disparu – seul un « noyau européen » peut la ramener à la vie
Certains proposent que ce « noyau » soit formé à partir de l’euro-groupe. D’autres ont peur que cela brise la solidarité entre européens, base de l’Europe actuelle. Il faudra peut-être répondre à cette peur pour que les porteurs de ce projet aillent au bout de leur idée.
3. Le 14 avril 2007 à 12:45, par Thomas Lefebvre En réponse à : La Vision d’Europe a disparu – seul un « noyau européen » peut la ramener à la vie
Le probleme est que les aspirations des tenants de l’Europe-noyau sont difficelement compatibles avec les aspirations de tous les membres de l’euro-groupe. Par exemple, si on prend le volet « defense » et la « vision » des tenants de l’Europe noyau qui est, en gros, armee europeenne + clause de solidarite militaire automatique ; ben ces deux themes sont incompatibles avec les preferences de l’Irlande (non-alignee) et dont tout changement en la matiere passerait par referendum dont on connait l’issue a l’avance... Et ce n’est qu’un exemple.
4. Le 14 avril 2007 à 13:01, par David En réponse à : Génétiquement européen ?
Ce qui est risible (et inquiétant à la fois) dans ces thèses, c’est l’idée selon laquelle il existerait une « opposition tranchée de certains membres, anciens ou nouveaux, à la perspective de céder une partie de leur souveraineté à une fédération européenne » et que celle ci serait « profondément ancrée dans leur histoire, la nature de leur classe politique et l’opinion publique ». Après l’homosexualité ou le suicide génétique, voila que certains se plaisent à imaginer une sorte d’européisme génétique. Une vaste fumisterie. En réalité, le Non français, tout comme l’action du gouvernement italien de Berlusconi, ou du gouvernement Aznar en Espagne montre que cette idée selon laquelle certains pays sont génétiquement européens et d’autres non est une bétise. Ou alors, si je me trompe, alors il faudrait me donner la liste des bons et des mauvais élèves... il faudrait aussi que cette liste puisse transcender les changements politiques internes qui généralement modifient naturellement le positionnement européen de ces mêmes Etats... Cordialement, David
5. Le 16 avril 2007 à 10:15, par ? En réponse à : Génétiquement européen ?
David, j’ai envie de dire comme toi, que l’attitude européenne dépend beaucoup des conjonctures politico-économiques nationales. Pour autant, quand je regarde la Grande Bretagne ou la Scandinavie (hors Finlande) j’ai comme une impression d’« anti-européisme » (je déteste ce mot, mais je le dis à défaut de mieux) primaire dont je ne vois pas le bout.
6. Le 17 avril 2007 à 02:19, par Ali Baba En réponse à : Génétiquement européen ?
Je suis d’accord : dans certains pays pays, l’euroscepticisme n’est que circonstanciel : en Pologne ou en République tchèque aujourd’hui, en Espagne ou en Italie hier, en France peut-être demain.
Dans d’autres, pourtant, il semble faire l’objet d’un large consensus, puisque même l’europhile Tony Blair freine des quatre fers toute intégration européenne. Ce n’est sûrement pas génétique (plutôt culturel, à mon avis), mais la question de la capacité à faire un jour la fédération européenne avec les Britanniques (notamment) est bel et bien posée. Il faudra un jour y trouver une réponse si nous souhaitons avancer.
7. Le 17 avril 2007 à 14:56, par David En réponse à : Génétiquement européen ?
d’accord, mais on ne peut pas construire une « vision de’Europe » en étant omnibulé par l’angleterre et le danemark. Surtout que dés que j’avance ce type d’argument (à savoir, se sont des gouvernements qui sont contre l’Europe, pas des peuplkes ou des « Etats ») les deux seuls contre exemple que l’on me sort à chaque fois sont le danemark et le R.-U. ça devient presque comique. franchement, si ces deux Etats (ou d’autres) ne veulent pas intégrer un projet européen, tant pis pour eux, mais le clou du problème c’est le projet et pas le nombre de membres qui dira non ! cordialement, david
8. Le 17 avril 2007 à 15:54, par Ali Baba En réponse à : La Vision d’Europe a disparu – seul un « noyau européen » peut la ramener à la vie
L’Irlande n’est pas obligée de faire partie du noyau dur...
9. Le 17 avril 2007 à 20:38, par Thomas Lefebvre En réponse à : La Vision d’Europe a disparu – seul un « noyau européen » peut la ramener à la vie
Euh, j’ai pris l’Irlande car on rappelait que certains partisans de ’l’Europe-noyau" prenaient l’euro-groupe comme point de depart. Faudrait qu’ils nous expliquent leur strategie.
10. Le 17 avril 2007 à 20:49, par Thomas Lefebvre En réponse à : Génétiquement européen ?
Joli raccourci sur Blair. Le RU est devenue membre de la CEE en 1973 : est-ce que la construction europeenne est bloquee depuis 1973 ? Nan. Pour Blair, faut pas oublier Amsterdam (la position britannique n’etait quand meme pas la meme sous le GVT Major et le GVT Blair pendant la CIG 96). Pas sur que le HR pour la PESC serait passe sous Major. Faut pas oublier non plus Saint-Malo. Blair voulait aussi plus d’integration sur l’education mais les Francais ont bloque l’affaire. Ce n’est pas rien. Et vous avez vu la nouvelle du jour, c’est partout : Blair veut un nouveau traite qui ne donnera pas lieu a un referendum au RU. Les eurosceptiques en bavent de rage. Quand Brown va arriver au pouvoir, y’en pas mal qui vont regretter Blair.
Et puis, l’euroscepticisme britannique est d’abord et avant tout anglais : les Ecossais, Nord-irlandais et Gallois sont plutot europhiles.
11. Le 3 octobre 2007 à 23:25, par Olivier En réponse à : La Vision d’Europe a disparu – seul un « noyau européen » peut la ramener à la vie
On devrait effectivement plutôt parler d’un noyau dur limité à une partie de l’Eurogroupe : on sait désormais qu’un pays comme les Pays-Bas n’en fera probablement pas partie. Le cas de l’Irlande est beaucoup plus tangent, certes, mais la décision de ce pays n’a finalement aucune importance dans la mesure où la formation de ce noyau dur ne donnera pas lieu à la rédaction d’un Traité devant être adopté à l’unanimité.
Alors laissons tomber le cas irlandais. Si vous êtes contre la formation de ce noyau dur, il ne sert à rien de citer des pays qui ne seront sans doute même pas invités à y participer. Quant à l’européisme de Blair, il répond à la conception britannique/danoise/suédoise, etc...de l’Europe, pas à la vision franco-allemande. Quant aux nouveaux Etats membres, il va falloir qu’ils comprennent que le projet de noyau dur est soutenu par des gens qui ne considèrent pas l’Europe comme une simple organisation internationale dans le genre de l’OTAN...(A ce propos, la position du gouvernement slovène dans les mois à venir va être cruciale).
Je préfère des gens ouvertement europhobes à des gens de mauvaise foi qui utilisent des raisonnements spécieux du style « le noyau dur, cela mène à des discriminations et à l’impasse entre les Européens, alors préférons l’Europe à 27 ou à 30 paralysée et prenons le temps de ne rien faire ». L’Europe du noyau dur sera probablement inégalitaire et suprémaciste, et c’est justement pour ça qu’elle pourra se transformer en nation. On ne peut pas rejeter l’Europe molle et tout faire pour l’empêcher de devenir puissante.
« En réalité, le Non français, tout comme l’action du gouvernement italien de Berlusconi, ou du gouvernement Aznar en Espagne montre que cette idée selon laquelle certains pays sont génétiquement européens et d’autres non est une bétise. »
Regardez comment Aznar et Berlusconi ont fini...(même si leurs partis respectifs peuvent très bien revenir au pouvoir sur une ligne plus européiste). Quant au Non français, il témoigne essentiellement d’une cassure entre les classes populaires et les élites. Et ce phénomène s’amplifiera probablement dans l’avenir, au fur et à mesure que les Français d’origine modeste pâtiront des politiques libérales du gouvernement français sans que les élites européistes ne lèvent le petit doigt pour les aider. Quelle erreur de leur part d’avoir voté Non en espérant se protéger...
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