Une certitude après le vote : la Turquie est divisée. 58 % des votants ont approuvé la réforme de la constitution à l’issue d’une campagne électorale acharnée. Les autres, en grande majorité les habitants de la partie occidentale de la Turquie, plus moderne, y sont farouchement opposés. La réforme du mode de nomination de la cour constitutionnelle ainsi qu’une limitation des prérogatives de la justice militaire étaient au coeur de la réforme. Par ailleurs les droits des enfants et des personnes handicapées se trouvent renforcés, et la discrimination positive en faveur des femmes est introduite sur le marché du travail.
Les soutiens étrangers se réjouissent
Les États-Unis et l’UE ont qualifié ces résultats comme n’allant « pas dans la bonne direction ». Le ministre des affaires étrangères espagnol Miguel Angel, dont le pays appuie Ankara dans ses efforts en vue d’une adhésion à l’UE, a déclaré que cette réforme envoyait « un message clair témoignant de la vocation européenne de la Turquie. Malgré les résistances et les hésitations de certains pays, je pense qu’à terme cette logique s’imposera ». Le ministre des affaires étrangères suédois, Carl Bildt, a cependant tempéré : « Cela ouvre la porte de l’Europe, mais l’entrée nécessitera encore du temps ». Le secrétaire général du Conseil de l’Europe s’est quant à lui surtout félicité de la prochaine possibilité de déposer des plaintes individuelles devant la cour constitutionnelle turque. « Cela permettra une procédure interne en Turquie contre les atteintes aux droits de l’Homme, ce qui va grandement soulager la Cour Européenne des Droits de l’Homme compte tenu du nombre important de saisines venant de la Turquie ». Le président de l’AKP Salih Kapusuz y voit la confirmation des aspirations du peuple turc à une nouvelle constitution émanant de la société civile et a aussitôt promis que l’harmonisation avec le droit européen se poursuivrait avec la rentrée parlementaire d’octobre.
Les résultats du référendum
Vert = oui, Rouge = non ; Selon le résultat arrivé en tête
Déception chez les opposants
Chez les opposants à la réforme, c’est la déception, voir la colère. Ils craignent avant tout un excès de pouvoir entre les mains du premier ministre Recep Tayyip Erdoğan et voient l’héritage kemaliste menacé. Le quotidien Sözcü, hostile à l’AKP, a ainsi titré « Longue vie au Sultan ». Certains avaient déjà au préalable essayé de mobiliser en usant de comparaisons avec Hitler. Selon le principal ténor parmi les journaux de gauche et proches du CHP, Erdoğan contribuerait à la division du pays et chercherait l’hégémonie de l’AKP, la parti majoritaire à orientation religieuse. Riza Türmen, ancienne juge à la Cour de Justice de l’Union européenne, se fait l’écho de la crainte partagée par nombre de ses collègues, pour qui la réforme de la constitution remet en cause le principe fondamental de la séparation des pouvoirs et de l’état de droit, la Justice se trouvant soumise au pouvoir politique.
Quelles conséquences politiques ?
Et de fait les analystes politiques voient avant tout dans ce vote un renforcement des pouvoirs de M. Erdoğan. L’ancien maire d’Istanbul aurait ainsi confirmé l’AKP dans son pouvoir et se donnerait de bonnes chances pour les élections législatives de l’année prochaine, ainsi que pour servir ses propres ambitions présidentielles. Le CHP a lui encore besoin de temps pour s’organiser, même si les 42 % du Non n’ont rien d’une défaite déshonorante. Ce sont les nationalistes du MHP qui sortent les plus affaiblis de ce vote. Un commentateur de l’édition en langue anglaise de Hürrıyet remarque ainsi que le Oui l’a emporté dans tous les bastions de l’extrême droite, malgré une campagne d’opposition vigoureuse.
Les observateurs parlent surtout de la nécessité d’agir sur la question de kurde. Ainsi beaucoup d’habitants des villes de l’est et du sud-est ont suivi l’appel au boycott du scrutin du parti kurde au pouvoir, le BDP ; et en effet les taux de participation y ont été très bas.
Direction l’Europe – vers plus de démocratie ?
Le fait que la Turquie se rapproche des normes européennes est une bonne nouvelle. Le paradoxe des craintes apparentes des kémalistes tournés vers la modernité doit cependant également être pris au sérieux. Qu’Erdoğan n’ait pas touché à la barre des 10% de voix pour entrer au parlement laisse planer quelques doutes sur son amour pour la démocratie.
* 12/09/2010, jour du référendum
1. Le 19 octobre 2010 à 14:54, par KPM En réponse à : La Démocratie accrue ou « vive le Sultan ! »
« Qu’Erdoğan n’ait pas touché à la barre des 10% de voix pour entrer au parlement laisse planer quelques doutes sur son amour pour la démocratie. »
Eh bien, que dire alors de la situation en France ! Le MoDem n’a que trois députés, le FN aucun, et les Verts doivent prêter allégeance aux socialistes pour y être. Serions-nous une dictature ? Une barre des dix pour cent des voix, on en rêve ici ! Aux législatives c’est 12,5% des _inscrits_ !
2. Le 24 octobre 2010 à 20:32, par hakan En réponse à : La Démocratie accrue ou « vive le Sultan ! »
un commentaire pas très objectif sur la fin.., et avec un brin de soupcon voulant comme ainsi influencé,ou orienté le jugement des lecteurs sur la politique de l AKP..alors que ,comme le dit très bien le message posté avant, par l internaute, la france serais t elle une dictature ? a 12,5 !..et qu en est il des autres pays..?? y aurais t il d autres dictatures de meme sorte en europe ?..un autre commentaire de l auteur dédié, exclusivement sur les lois législatives des pays membres de l europe, serais la bienvenu , histoire de mieux voir comment la démocratie y est appliqué par chacun d entre eux....
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