La Cour de Justice de l’Union européenne, arbitre de la paix européenne

, par Gabrielle Aynes

La Cour de Justice de l'Union européenne, arbitre de la paix européenne
José Manuel Barroso, président de la CE et László Sólyom, président de la Hongrie. © Services audiovisuels de la Commission européenne

Sous couvert d’un arrêt juridique, la Cour de Justice apaise les tensions politiques entre deux ennemis de longue date : la Hongrie et la Slovaquie. Le 16 octobre dernier, la Cour de Justice incarna la philosophie européenne, en pacifiant les relations et préservant ainsi la paix.

La montée en puissance des tensions entre la Slovaquie et la Hongrie depuis 2006 culmine à son apogée par le refus d’accès au territoire slovaque au président hongrois le 21 août 2009.

Le président hongrois, M Solyom avait pour projet de se rendre au sud de la Slovaquie le 21 août 2009 afin de célébrer la fête de Saint Etienne, patron de la Hongrie. Cette date est célèbre pour sa haute sensibilité car elle est aussi celle de l’invasion de la Tchécolosvaquie par les troupes du Pacte de Varsovie dont faisait partie la Hongrie. Invasion, en 1968, qui mettra un terme au printemps de Prague . Au-delà de la symbolique de la date, il ne faut pas oublier le contexte politico-historique qui oppose les deux nations depuis des siècles. En effet, du XIème siècle jusqu’en 1919, la Slovaquie était intégrée à l’empire Autro-hongrois. Ce passé commun explique la présence actuellement d’une forte diaspora hongroise sur le territoire slovaque.

En 2006, les élections slovaques conduisent la gauche-nationaliste de Robert Fico à former une coalition gouvernementale avec l’extrême droite anti-magyare de Jan Slota, parti ouvertement hostile à la Hongrie. Parallèlement, les élections législatives hongroises ont marqué une victoire des conservateurs de Fidesz accompagnée d’une ascension du parti d’extrême droite de Jobbik, connu pour son ambition de recréer « la grande Hongrie ».

Cette flambée du nationalisme dans les deux camps exacerbe une fois de plus les dissensions. Des mesures telles que l’obligation d’utiliser la langue slovaque dans les administrations et les espaces publics ont été clairement prises dans une perspective d’animosité envers les minorités hongroises de Slovaquie alors que le projet de naturaliser ces minorités a eu pour conséquence d’attiser une nouvelle rancune slovaque. C’est au sein de cette poudrière que la Cour a eu a trancher de l’épineuse question de la libre circulation du président hongrois.

A la suite de cet incident, commence la valse diplomatique entre les deux Etats, chacun cristallisant peu à peu ses positions. Le 8 juillet 2012, La Hongrie introduit un recours devant la Cour de Justice qui devient le champ de bataille pacifique des deux gouvernements. L’arme principale utilisée a été la directive 2004/38 qui garantie la libre circulation de tous les citoyens européens.

La Slovaquie argue la non-application du droit européen et soulève l’incompétence de la Cour de Justice dans la mesure ou cette affaire relève du droit diplomatique, compétence exclusive des Etats. Quant à la Hongrie, elle considère que le président est un citoyen européen et que la directive lui est donc applicable. Face à ce différent, la Hongrie demande un avis à la Commission le 3 septembre 2009. Cette dernière va dans le sens de la Slovaquie, incitant « à un dialogue bilatéral constructif entre les deux Etats membres ». La Hongrie, dans une dynamique véhémente, continue les procédures et porte plainte auprès de la Commission pour qu’elle engage un recours en manquement qui est rejeté. En dépit de la légitimité de la Commission en tant que gardienne des traités, la Hongrie poursuit et introduit cette fois-ci un recours directement auprès de la Cour de Justice.

Il faut rappeler qu’un recours en manquement Etat contre Etat est d’une extrême rareté. Dans ce type de recours un Etat accuse directement un autre d’avoir violé le droit européen. Depuis la construction européen, seulement 5 recours en manquement de cette nature ont été introduit, dont 3 uniquement ont été fermés par un jugement définitif. La Commission en général endosse le rôle de médiateur et introduit le recours à la place des Etats. Cette confrontation Slovaquie contre Hongrie était d’autant plus attendue au regard de l’enjeu politique qui s’y cachait.

La Cour soucieuse du poids de son action, a rendu le 16 octobre dernier son arrêt réunie en grande chambre pour l’occasion. Elle propose une solution juridique modérée mais ferme afin de canaliser les tensions.

La Cour cherche le consensus politique à travers le droit. On sent dès les observations préliminaires qu’elle ne veut pas s’immiscer dans les relations inter-étatiques mais qu’elle ne peut non plus se déclarer incompétente. En effet, en absence de la Justice, les Etats continueraient leurs échanges par les canaux diplomatiques classiques dont l’issue est incertaine. Face à des difficultés juridiques, elle manie le droit avec dextérité et reconnaît l’application du droit européen et de la directive, mais les soumet à la lecture du droit international. Cette nouvelle lecture de la libre circulation lui permet de limiter son application. Elle déduit que le président est certes un citoyen européen et qu’il jouit par ricochet des droits qui lui sont conférés par le traité mais que son statut de président induit un traitement particulier. Il bénéficie de privilèges et d’immunités par l’exercice de sa fonction et par conséquent sa présence sur le territoire d’un autre état entraîne des obligations de sécurité. Il est aisé de constater que par le dispositif imposé, il est nécessaire d’obtenir le consentement de l’état hôte. On sent la Cour dans une situation délicate, elle qui a toujours brandi le statut du citoyen comme le statut fondamental des ressortissants des Etats membres doit le restreindre ici pour éviter d’imposer la présence du président hongrois à la Slovaquie.

La Cour, par cet arrêt, utilise le droit à des fins politiques et, contribue à la mission européenne, celle de rapprocher les peuples et de pacifier les relations. Le lendemain de la publication des conclusions de l’avocat général, la Commission européenne a décidé de poursuivre la Hongrie sur l’indépendance de sa banque centrale et sur son fonctionnement judiciaire. Le 6 novembre dernier, la Hongrie est condamnée de nouveau par la Cour de Justice pour un manquement à ses obligations. Bruxelles regarde avec grande attention ces nouveaux gouvernements très à droite de l’échiquier politique qui pourraient menacer le projet européen.

Pour aller plus loin :

*Article 20 du TFUE

*Communiqué de presse de la CJUE

*DENYS SIMON,« Circulation des personnes » Europe n° 12, Décembre 2012, comm. 474

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Vos commentaires
  • Le 24 décembre 2012 à 14:20, par un eurofédéraliste En réponse à : La Cour de Justice de l’Union européenne, arbitre de la paix européenne

    Merci pour cet article ! Un exemple on ne peut plus concret du fait que la construction communautaire instaure une paix perpétuelle entre ses membres. Les relations internationales reposent sur des rapports de force ou des rapports de droit. En mettant en commun une part de souveraineté, et en se plaçant ainsi sous une juridiction commune, les nations interdisent de manière durable les guerres entre elles. Une recette valable pour le monde entier.

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