Le gouvernement allemand appuyé par Paris a joué les maîtres d’œuvre, en présentant un projet de « Pacte pour la compétitivité » destiné à renforcer la solidité de la monnaie européenne et, concrètement, à se substituer au Fonds Européen de Stabilité Financière conçu à la hâte et à titre transitoire en mai 2010 pour empêcher que les effets destructeurs de la soudaine montée en puissance de la dette souveraine grecque ne se propagent dans l’ensemble de la zone euro.
Cette « facilité » qui n’avait, en fait, qu’une capacité d’intervention effective de 250 milliards d’euros prendrait désormais la forme d’un nouveau mécanisme d’emprunt doté de 500 milliards d’euros… en contrepartie d’une batterie de garanties dont Angela Merkel a d’abord dressé l’inventaire : fin de l’indexation des salaires sur l’inflation (la Belgique et le Luxembourg étant visés), fixation harmonisée de l’âge de la retraite (67 ans, à titre indicatif), limitation constitutionnelle de l’endettement public (à l’image de ce qui vient d’être décidé en Allemagne) fixation de taux uniformes d’imposition des entreprises (disposition visant spécifiquement l’Irlande), etc…
Dans un article que Le Monde a publié à cette même date du 4 février 2011, le Ministre allemand des finances, Wolfgang Schaüble, pourtant connu comme l’une des personnalités les plus europhiles, outre-Rhin, a d’ailleurs tenu à enfoncer le clou, en constatant que, d’une part, « actuellement, personne ne veut de super État européen, à travers lequel en quelque sorte seul le monopole réglementaire de l’État-nation dépassé serait transféré à une unité supérieure », alors que, d’autre part, « nous avons besoin d’un nouveau mécanisme robuste de résolution des crises pour les situations d’urgence ».
En foi de quoi, il convient aujourd’hui « de nous concentrer sur la voie conduisant à plus de coopération en matière de politique économique et financière, sur des instruments de coopération intergouvernementale -notamment dans le cadre de la coopération renforcée de l’Union européenne (UE) régie par les dispositions de l’article 136 » [du Traité de Lisbonne]. Mme Merkel, de son côté, a tenu à souligner le fait qu’il s’agissait bien d’instituer une « coopération intergouvernementale sans transfert de compétences ». Sitôt dit, sitôt fait… le Président du Conseil européen, M. Van Rompuy et le Président de la Commission européenne, M. Barroso, ont été chargés d’arrondir les angles et de marier les genres dans un projet de texte consensuel publié fin février.
Il ne restait plus au Conseil européen (des chefs d’État et de gouvernement) de la zone euro qu’à endosser, après d’ultimes mises au point des sherpas de service, ce serpent de mer diplomatique, en vue d’une consécration par l’UE au grand complet, les 24 et 25 mars. Solitaires et frustrés, les Irlandais sont les seuls à avoir boudé les compromis proposés. Du moins jusqu’ici.
Objectivement, plusieurs points nous paraissent positifs dans les accords intervenus. En premier lieu, leur appellation : Pacte pour l’Euro. En second lieu, les capacités effectives des prêts éventuellement disponibles : 440 milliards d’euros pour l’actuel Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF, ou ESF pour « European Stability Facility ») et, à partir de la mi-2013, 500 milliards d’euros au bénéfice du Mécanisme Européen de Stabilité (MES). Au surplus, le seul fait d’être parvenu à ces résultats globaux est encourageant après des mois et des mois d’atermoiements.
De même, les « conclusions » du 11 mars permettent aux pays qui ne font pas partie pour le moment de la zone euro de participer au pacte, comme, par exemple, le souhaite la Pologne. Enfin, il est réaliste d’avoir prévu de revoir à la baisse les taux d’intérêt précédemment arrêtés et précisé le « rôle central » que la Commission devra tenir « dans le suivi de la mise en œuvre des engagements » ainsi que le Parlement européen, « conformément à ses compétences ». Ce qui demandera à être confirmé par la suite.
Par contre, certaines affirmations, au titre de la « coordination renforcée des politiques économiques pour la compétitivité et la convergence » nous laissent dubitatifs… Que faut-il entendre, par exemple, quand il est souligné que « les États-membres poursuivront les objectifs du Pacte avec leur propre panoplie de mesures » ? Ou quand il est spécifié que « le choix des actes politiques nécessaires pour atteindre des objectifs communs demeurera de la responsabilité de chaque pays, avec une attention particulière accordée à l’ensemble des éventuelles mesures mentionnées » ?
Parmi celles-ci, à titre d’exemple, les idées avancées sur la promotion de l’emploi grâce à la « flexsécurité » et la formation permanente sont rabâchées depuis belle lurette… Et que faut-il comprendre encore, concrètement, quand on recommande aux États concernés une « coordination pragmatique des politiques fiscales, avec une seule évocation à l’assiette commune pour l’impôt sur les sociétés refusée d’ailleurs par les gaéliques qui, de ce fait, n’ont obtenu aucun passe-droit, alors que leurs frères hellènes vont bénéficier de taux d’intérêt à la baisse pour le remboursement de leur dette et, de plus, d’un délai supplémentaire de trois ans, toujours à cette fin ?
Enfin, faut-il le dire, tant cela saute aux yeux ? Le seul fait que toute décision relative à une assistance financière devra être prise à l’unanimité réduit la portée de l’accord du 11 mars, même si celui-ci a pour mérite essentiel d’éviter à la construction européenne de plonger dans une crise plus grave encore que celle dont elle peine aujourd’hui à s’extraire, alors que des incertitudes demeurent concernant les situations portugaise, grecque et irlandaise, pour ne pas parler de l’attitude politique d’une fraction grandissante de la classe politique allemande.
Comme l’a souligné François Hollande dans un récent numéro du Nouvel Observateur : « l’Europe a voulu se constituer par la monnaie. Il faut désormais aller jusqu’au bout de cet engagement et ériger la zone euro en Union politique. Sinon, c’est l’Euro, lui-même qui entraînera l’Europe dans sa propre crise ».
Fort bien ! Mais cette Europe politique doit être, plus que jamais, identifiée avec exactitude : il ne peut s’agir que d’une Union fédérale dotée d’un gouvernement européen. Le dire serait de nature à mettre fin aux ambiguïtés et aux faux- fuyants qui ont permis trop longtemps aux « profiteurs de la souveraineté nationale » (Spinelli dixit) d’émasculer le projet européen à chaque tournant de son parcours.
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