Bilatéral

L’Union européenne et la Russie

Ou comment essayer de renouer des relations aujourd’hui dégradées

, par Ronan Blaise

L'Union européenne et la Russie

En cette fin-novembre 2006, l’Union européenne et la Russie se retrouvent à Helsinki à l’occasion d’un sommet bilatéral. Une Russie poutinienne qui, depuis mai 2006, préside le Comité ministériel du Conseil de l’Europe...

Au menu : des discussions sur les questions énergétiques, conversations assombries depuis peu par l’actuelle évolution négative de la Russie sur le terrain du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Pour nous c’est donc là l’occasion de dresser un état des lieux des relations Euro-russes : relations tumultueuses et aujourd’hui très dégradées entre la grande Russie et l’Union européenne.

Lors de cette présidence finlandaise de l’UE, en ce second semestre 2006, l’amélioration des relations entre Russie et Union européenne semblait effectivement être l’une des priorités de cette présidence, comme l’avait alors annoncé - en juillet dernier - le premier ministre finlandais Matti Vahanen.

En effet, d’après certains observateurs les relations de l’UE avec la Russie se devaient alors essentiellement d’être une affaire de « psychologie », qualité dont on a souvent abusivement dit que Bruxelles était en fait particulièrement dépourvue. Mais les responsables polititiques finlandais se flattaient alors de bien connaître les ’’besoins’’ de Moscou, souvent mal interprêtés par la Commission européenne. Et de parvenir ainsi à une ’’normalisation’’ des rapports entre les deux partenaires...

Ainsi Helsinki entendait offrir une place de choix à la Russie dans son travail de redéfinition de la ’’politique septentrionale’’ de l’UE avec les pays du nord (Russie, Norvège, Islande). Signe le plus tangible de cette volonté clairement exprimée : l’invitation du président Poutine au sommet européen informel d’octobre dernier. Et ce, alors même que les Vingt-cinq et les Russes devaient renouveler un accord bilatéral de partenariat (l’actuel expirant en 2007...) et tacher ainsi de relancer les quatre « espaces communs » de coopération qui le composent (i. e : ’’économie’’, ’’justice’’, ’’sécurité extérieure’’ et ’’éducation & culture’’).

L’Europe et la Russie, aujourd’hui : Quels espaces de coopération ?

En octobre dernier s’est donc tenue, à Lahti, une réunion au sommet entre l’Union européenne [1] et la Russie du Président Vladimir Poutine. Cette réunion au sommet s’inscrivait là dans le cadre d’un ’’Accord de Partenariat et de Coopération’’ (ACP) signé par la Russie et l’UE en 1994 et entré en vigueur il y a bientôt près de dix ans (puisque formellement entré en vigueur en décembre 1997...).

Déjà, lors du XVIIème sommet ’’UE-Russie’’ (du 4 octobre 2005), les deux ’’partenaires’’ avaient réaffirmé [2] leur volonté d’intensifier une coopération alors estimée fructueuse pour la porter ’’à un niveau encore plus intense’’ (sic, Blair). Et ce, dans le cadre de la mise en place des actuels quatre ’’espaces communs’’ précédemment définis lors des accords de partenariats euro-russe de mai 2003 (techniquement validés en mai 2005) : (1) l’Espace ’’eurorusse’’ économique commun, (2) l’Espace ’’eurorusse’’ de Recherche, d’Education et de Culture, (3) l’Espace ’’eurorusse’’ de Liberté, de Sécurité et de Justice et (4) l’Espace ’’eurorusse’’ de stabilité et de sécurité extérieure.

Ainsi, lors de ce sommet ’’euro-russe’’ de Londres, le dernier en date jusqu’à ce sommet euro-russe d’Helsinki de ce 24 novembre 2006, avait alors été signés un certain nombre de nouveaux accords de coopération et d’approfondissements des dispositifs déjà existant entre la Russie et l’Union européenne. Et ce, notamment sur des questions clefs comme celles des importations d’hydrocarbures russes dans l’Union, de la lutte contre les trafics divers et variés (de drogues, notamment), contre le terrorisme international, contre la prolifération nucléaire (ainsi qu’à propos des actuelles problématiques proches et moyen-orientales...).

Mais, par-delà les discours diplomatiques officiels convenus, qu’en est-il exactement ? D’où l’intérêt d’essayer de faire rapidement le point sur cette question : Quelles sont effectivement les perspectives de coopération entre ces deux espaces et grandes puissances potentielles ? Et pour ce faire, il nous faut tout d’abord remonter aux tous derniers temps de l’URSS...

Mikhaïl Gorbatchev, ou le rêve avorté d’une ’’Maison commune’’...

L’idée d’une coopération renouvelée entre ’’Europe nouvelle’’ et ’’grande Russie’’ remonte à vrai dire aux tous derniers temps de l’URSS, sous le gouvernement du dernier dirigeant soviétique : le premier secrétaire Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev, premier et dernier président de l’URSS.

En effet, dans son fameux manifeste politique intitulé ’’Pérestroïka’’ (i. e : ’’restructuration’’, ’’réforme’’...) [3] Mikhaïl Gorbatchev cessait enfin, à la différence de tous ses prédécesseurs communistes soviétiques, de ne voir en la CEE qu’un simple ’’appendice de l’impérialisme américain’’ (sic). L’ouverture économique à l’Ouest étant l’un des piliers de sa ’’nouvelle diplomatie’’, la CE apparaissait alors à ses yeux comme un futur partenaire privilégié.

Soulignant l’importance et la spécificité de l’Europe dans le monde, Gorbatchev prônait alors un rapprochement entre, à terme, les deux ’’moitiés séparées’’ du continent. En insistant sur l’héritage culturel et religieux commun aux ’’deux Europe’’ d’alors (ainsi que sur la nécessité d’un futur désarmement), Gorbatchev se présentait alors en défenseur et en promoteur enthousiaste d’une future ’’maison commune à tous les Européens’’ qui irait ’’de l’Atlantique à l’Oural, et au-delà’’, et dans laquelle l’Union soviétique, réformée selon ses voeux, aurait eu toute sa place. Et on retrouve les grandes lignes de ce grand ’’projet’’ géopolitique dans - par exemple - son fameux discours de juillet 1989 prononcé à Strasbourg, devant le Conseil de l’Europe.

Mais, comme on le sait, Gorbatchev ne restera pas au pouvoir au-delà de décembre 1991. Et l’Histoire de la Russie et de l’Europe allait prendre bien d’autres voies : ainsi, en 1992, la signature du Traité de Maastricht fondait l’Union européenne. Mais, même si le rêve imprécis de Gorbatchev s’en est allé avec lui, la nécessité d’une coopération entre la nouvelle Russie et une ’’Union européenne’’ en voie de consolidation n’en n’est pas moins resté une nécessité géopolitique pour tous les responsables politiques placés à la tête de ces deux espaces en devenir ici considérés...

Norman Spinrad, ou le ’’Printemps russe’’

Cette perspective d’une fructueuse collaboration à développer entre l’ancienne URSS (ou ce qu’il en restait, désormais...) et la nouvelle ’’Union européenne’’ allait néanmoins être reprise par l’auteur de science-fiction Norman Spinrad dans un roman depuis lors devenu fameux : le « Printemps russe » [4].

En effet, dans ce roman de science-fiction qui projette le lecteur du début des années 1990 dans le futur proche des années 1995-2030, le fameux auteur de SF Norman Spinrad nous raconte l’avenir d’une URSS démocratisée qu’une pérestroïka gorbatchévienne, finalement réussie au tournant des années 1989-1990-1991, aurait alors pû transformer en un Etat de Droit démocratique et en une Démocratie véritable.

Cette URSS réformée, bientôt intégrée - comme Etat membre de plein droit - au ’’marché commun’’ européen, se lançant alors dans un vaste programme bilatéral de coopération avec l’Europe dans des domaines aussi variés que l’exploitation des richesses énergétiques inépuisables de la Sibérie (grâce aux capitaux européens et, notamment, franco-allemands...), la recherche scientifique fondamentale, le développement technologique ou la conquête aérospatiale...

Mais aujourd’hui, ce n’est pas le Président Kronkol, l’aimable démocrate du roman de Spinrad, qui gouverne aujourd’hui la grande Russie, mais, bel et bien, le bien peu démocrate Vladimir Vladimirovitch Poutine : adepte ’’énigmatique et menaçant’’ de la ’’Dictature de la Loi’’, de la ’’Démocratie contrôlée’’ et du ’’renforcement de la verticale du pouvoir’’ (sic).

Vladimir Poutine, ou la coopération ’’encadrée’’.

Cependant, il existe effectivement bel et bien une coopération fournie entre l’Europe et la nouvelle Russie. Cette coopération reprend là bien les aspects alors imaginés par Norman Spinrad : partenariat géostratégique, mise en oeuvre d’une intense politique d’échanges inter-universitaires, de coopération spatiale (i. e : par la mise à disposition du pas de tir de Kourou pour les programmes spatiaux russes), etc.

Mais cette coopération se met néanmoins en place dans une non moins certaine méfiance réciproque, méfiance renforcée par les sentiments de crainte suscités par les actuelles transformations autoritaires de la nouvelle Russie ’’poutinienne’’. Autrement dit : la violence de la répression militaire russe dans le Caucase (notamment en Tchétchénie et en Ossétie du nord), l’autoritarisme intérieur du Président Poutine (notamment face à ses rivaux ’’Oligarques’’ et face à une Presse russe désormais aux ordres, et muselée...).

Sans parler de l’expression croissante d’une attitude ’’néo-impériale’’ de la Russie - en seuls termes de politique extérieure - à l’égard de ses plus proches voisins. Et ce, notamment à l’égard des pays baltes ou, actuellement (et depuis bientôt plus de dix ans...) de façon paroxystique dans le Caucase (en Tchétchénie, en Abkhazie ou l’égard de la Géorgie) ou - de façon tout aussi criante à bien des égards - envers l’Ukraine indépendante (comme on a encore pu le voir récemment, lors de la fameuse ’’Révolution orange’’ d’octobre-novembre 2004...).

Alors, qu’en sera-t-il pour demain ? La Russie est-elle un Pays pouvant être, raisonnablement, un candidat potentiel à l’Union ? Sinon, quelle forme de partenariat mettre en place avec elle ?

Alors, et demain ?

Et bien, pour commencer, juste préciser qu’il ne faut sans doute pas insulter l’avenir : qui d’entre nous peut effectivement clairement savoir de quoi il sera fait. Ainsi rien n’interdit, a priori, à la Russie - pays de culture européenne, s’il en est (malgré les éventuelles méfiances scandinaves, baltes ou polonaises à ce sujet...) - de faire un jour partie de la ’’maison commune’’ autrefois rêvée. A condition, toutefois, qu’elle en fasse effectivement au moins officiellement la demande (et qu’elle souscrive, bien entendu, aux obligations morales et aux règles de Droit qui s’imposeraient alors à elle...).

Néanmoins, juste préciser qu’à l’heure où l’Europe communautaire, ses Etats membres (et ses opinions publiques...) s’interrogent très fortement sur la pertinence et sur le rythme des derniers élargissements passés (notamment en Europe centrale...) et des prochains élargissements à venir, notamment à destination des pays des Balkans (sans même parler de la Turquie...), il semble assez clair que l’éventuelle candidature russe (et, à plus forte raison, l’éventuelle adhésion de la Russie à l’Union...) ne semble pas être franchement pour demain.

Et ce, non seulement pour des raisons conjoncturelles (i. e : la nature de l’actuel régime ’’poutinien’’, l’ensemble des ’’questions caucasiennes’’ ou liées à ’’l’étranger proche’’ de la Russie, la question des Droits de l’homme et de la presse en Russie, etc...) mais aussi pour des raisons psychologiques liées au temps ’’historique’’ long (et aux souvenirs douloureux que les Russes ont, bon gré mal gré, laissé derrière eux un petit peu partout en Europe centrale et orientale...). Ainsi que pour d’évidentes raisons structurelles (i. e : le poids démographiques et économiques d’une Russie comptant aujourd’hui près de 150 millions d’habitants risquant ainsi, aux yeux de certains, d’ ’’écraser’’ l’Union européenne...).

Donc, la formule des relations euro-russes retenue pour l’avenir pourrait très bien se décliner selon une formule choisie (et mutuellement consentie) de type : ’’tout sauf l’adhésion’’ ; une formule ’’élaborée’’ et déjà expérimentée sous la Commission Prodi (et, depuis lors, officiellement reprise par la Commission Barroso...) qui verrait ainsi la Russie être, à terme, associée très étroitement à l’ensemble des politiques de l’Union sans être néanmoins invitée à participer à ses institutions politiques.

Et c’est ainsi, dans le cadre d’un tel ’’partenariat plus que privilégié’’ que l’Europe unie de demain et la Russie démocratisée des temps à venir pourraient ainsi fructueusement collaborer - dans l’espace, en Sibérie ou ailleurs encore - à l’avènement d’un monde meilleur.

Comme l’avaient rêvé à en leur temps des gens comme Mikhaïl Gorbatchev ou encore Norman Spinrad, l’auteur d’un ’’Printemps russe’’ prémonitoire et, on l’imagine, à venir. Et dans un avenir proche, on l’espère...

- Illustration :

Le visuel d’ouverture de cet article est une photographie du Kremlin de Moscou, document tiré de l’Encyclopédie en ligne wikipédia.

Mots-clés
Notes

[1UE alors présidée par la Finlande et ainsi représentée par le gouvernement de Matti Vahnanen (et son actuel ministre des affaires étrangères Erkki Tuomioja)...

[2L’Europe, par la voix du Président alors en exercice du Conseil européen (Tony Blair) et par la voix du Président de la Commission européenne (José Manuel Barroso) ; et la Russie, par la voix de son actuel Président en charge (Vladimir Poutine).

[3Ouvrage publié en France : chez Flammarion, en 1987...

[4« Russian spring » : célèbre roman de SF de Norman Spinrad, paru en 1991.

Vos commentaires
  • Le 2 décembre 2006 à 13:19, par Ronan Blaise En réponse à : L’Union européenne et la Russie

    Complément d’information :

    Il n’est jamais trop tard pour faire le point. Mais, comme on pouvait s’y attendre, le récent sommet eurorusse du week-end dernier (i. e : vendredi 24 novembre) n’a finalement pas abouti : veto polonais oblige (voir par ailleurs à ce sujet...) et l’Union n’ayant donc pas de mandat clair ’’officiel’’ pour commencer à négocier un nouvel accord de partenariat avec la Russie.

    Néanmoins, les parties prenantes ont tout de même trouvées un terrain d’entente pour affirmer que ce n’était là que ’’partie remise’’ (Cf. propos de M. Matti Vanhanen, MAE). Le Président russe Vladimir Poutine ayant promis, de son côté, d’attendre avec ’’patience’’ (sic) une position commune de l’UE.

    A ce seul titre, rappelons pour mémoire que les actuels accords bilatéraux de partenariat et de coopération (APC) eurorusses (conclus en 1994, adoptés en 1997) doivent normalement arriver à expiration l’an prochain. Et que, pour les remplacer, la Commission européenne a récemment proposé à la Russie (le 3 juillet 2006, à Helsinki : par la voix de l’actuel Président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso...) la création d’une zone de libre-échange ’’eurorusse’’ une fois que la Russie aurait intégré l’OMC, événement normalement prévu pour cette année 2007.

    En l’occurrence, il s’agirait là d’accords visant à la constitution d’une zone de libre-échange par l’élimination des obstacles tarifaires existants aujourd’hui entre les deux espaces ainsi qu’à la signature d’accords en matière d’énergie : soit précisément la question sur laquelle ont ’’achoppées’’ les négociations eurorusses du week-end dernier.

    En effet, certains Etats membres de l’Union européenne voudraient que la Russie ratifie la « Charte (européenne) de l’énergie » qui prévoie notamment l’ouverture aux investissements internationaux du capital des firmes appartenant au secteur énergétique (propection, exploitation, transports) ainsi que la garantie d’une concurrence saine dans le secteur des hydrocarbures.

    Une mesure que la Russie (qui veut absolument garder un contrôle étatique sur ces matières, notamment via ses entreprises d’Etat monopolistiques « Gazprom » pour le gaz naturel et « Transneft » pour le pétrole...) refuse avec fermeté. Notamment parce qu’elle estime aujourd’hui (comme certains autres Etats membres, d’ailleurs...) que cette « Charte (européenne) de l’énergie » n’est qu’une règle de discipline ’’interne’’ ne concernant que les Etats-membres de l’UE et non pas leurs partenaires (dont elle serait...).

    Une des raisons du récent désaccord eurorusse : et ce, sans même parler des récentes crispations ’’polono-russes’’ dont on a récemment tant parlé...

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