L’Union européenne : entre Confédération et Fédération

, par Mélanie Laplace

L'Union européenne : entre Confédération et Fédération
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Au cœur de la crise financière, les débats sur l’évolution de l’Europe vers le fédéralisme sont récurrents. Certains veulent plutôt se diriger vers les États-Unis d’Europe, d’autres arguent qu’il est plus prudent de rester dans l’état actuel des choses. Enfin, une minorité grandissante promeut un retour en arrière, à une communauté d’États « super souverains ».

Mais il suffit de s’intéresser à la politique européenne pour se rendre compte qu’une seule solution est possible, l’évolution, quelle qu’elle soit. Car en effet, en se penchant sur l’état de l’Union aujourd’hui, le constat est là : l’Europe est dans une impasse. Deux modèles, pour deux groupes de penseurs. D’un côté, l’Europe Confédération, créée comme telle en 1952, et dans laquelle nous sommes toujours aujourd’hui, malgré les nombreuses évolutions institutionnelles ou d’autre nature ; et l’Europe Fédération, dont il est pour l’instant impossible de décrire les caractéristiques exactes faute de pouvoir mettre une définition claire et complète sur ce mot que l’on entend pourtant dans toutes les bouches : le Fédéralisme.

Analyse des concepts.

Déjà en 1960, Michel Mouskhély écrivait un article pour le premier numéro de « l’Europe en formation » dans lequel nous pouvons identifier tous les maux de l’Europe d’aujourd’hui.

Nous pouvons facilement découper les différences entre la Confédération et la Fédération en trois sous parties : le fondement du concept, les structures du concept, et plus important, les pouvoirs en jeu.

Le fondement du concept

Traité pour la Confédération (comme le traité CECA) et Charte constitutionnelle pour la Fédération : l’appui des États contre l’appui des peuples. Ce premier constat va constituer la base explicative de quasiment toutes les différences à venir. Déjà sur ce début, nous pouvons identifier un des problèmes de l’Europe, l’individu n’y appartient jamais directement. Il y a un problème d’identité, activement dénoncé aujourd’hui en Europe, ce qui a notamment amené la Commission à développer l’initiative citoyenne, perçus par beaucoup comme une voix nouvelle donnée à tous les citoyens européens.

Point commun à souligner, la révision du traité nécessite dans les deux entités, l’unanimité, malgré les nouvelles procédures de révision mises en place par le Traité de Lisbonne. D’autre part, les États peuvent décider unilatéralement de sortir de l’Union européenne, tout comme dans le système de la Confédération. Tout cela révèle donc une certaine fragilité, dont ne souffre pas la Fédération puisque rassemblant des peuples, elle s’auto-soutient de la force populaire qu’elle engendre. La Fédération s’inscrit dans un cadre inter-étatique, regroupe donc les volontés individuelles et collectives, et est à la fois souple, et ferme, car contrairement à la Confédération, elle s’appuie sur le droit, et non la politique. Basée sur le pacte constitutionnel, les réformes ne nécessitent en aucun cas l’unanimité, juste un nombre suffisant d’États, et que ce changement soit ensuite approuvé par le peuple, via le mécanisme du référendum. Le dynamisme social est donc plus apparent au sein de la Fédération qu’au sein de la Confédération, dynamisme qu’il manque sans doute à l’Europe pour s’adapter aux nouvelles situations et sortir ainsi plus vite de la crise actuelle.

Les structures

Au niveau des structures, la Confédération dispose d’une structure que l’on peut qualifier de quasi rudimentaire. Auparavant appelée Congrès ou Diète, il s’agit grossièrement d’une conférence diplomatique permanente, étant donné que les États conservent leur propre organisation. Même si les institutions des communautés européennes, puis de l’Union européenne ont largement évolué depuis sa création, dans la plus part des cas, la volonté des États l’emporte sur la volonté de la Confédération. La Commission est un bon exemple qui illustre de manière assez fidèle ce scénario, car elle constitue un organe exécutif inachevé, qui sans le soutien et l’accord des États membres, ne dispose pas véritablement de pouvoir de décision. Le maître mot, que ce soit au début de la formation du concept, ou aujourd’hui dans l’Union européenne, reste l’intergouvernementalité. Ce n’est pas une entité supérieure indépendante des États qui la composent qui décide, mais la communauté des États membres, dans une sorte de compromis général.

C’est pour cela que le règlement des conflits par exemple, se fait de manière spéciale, de par la nature même de l’entité, la tendance va être d’adopter des méthodes de règlement de conflit de Droit international comme la médiation, les bons offices, la négociation ou l’arbitrage. Pas de Cour Fédérale, et pas de justice imposée aux États, contrairement à la Fédération qui se dote d’un système complet.

Structurellement, les entités nationales d’une part, et fédérales d’autre part, sont clairement distinctes. Les États fédérés, à l’intérieur même de la Fédération disposent d’un pouvoir législatif, d’organes judiciaires, et d’une administration. L’individualité étatique est conservée. De ce point de vue là, l’analogie peut être faite avec l’Union européenne, les États membres ont à la fois des organes judiciaires propres (c’est devant les juridictions françaises que vont se régler les conflits dont les faits ont lieu en France, ou devant les juridictions espagnoles que vont se régler les conflits dont les faits ont eu lieu en Espagne…) et à la fois des organes dont la volonté s’impose à eux. En effet, la Fédération se dote de ses propres organes, adaptés à la dualité du concept. Le pouvoir législatif par exemple, comprend deux chambres, une chambre pour les États et une chambre qui représente la voie du peuple, puisqu’élue au suffrage universel (comme la Chambre des Représentant aux États-Unis par exemple).

les pouvoirs en jeu

Mais l’essentiel du débat se situe bien sûr sur la répartition des pouvoirs au sein des entités. La Confédération, étant sous-tendue par l’intergouvernementalité, ne dispose par nature que des pouvoirs qui lui sont conférés par le traité constitutif. Il s’agit principalement des pouvoirs qui ne peuvent pas être exercés de manière efficace par les États constitutifs de la Confédération, telle que la politique étrangère. Cela fonctionne à peu près de la même manière dans l’Union européenne, malgré quelques variantes.

Globalement l’Union européenne ne dispose que des compétences qui lui sont attribuées par les États membres via les traités, c’est-à-dire, les compétences sur lesquelles les États ont accepté de céder une partie de leur souveraineté car en appliquant le principe de subsidiarité combiné à la nécessité d’une politique uniforme de l’Union, l’exercice des dites compétences sied davantage à la communauté qu’aux États membres.

Autre différence avec l’Union, dans la Confédération, ce sont les États « membres » qui vont donner le dernier mot en cas de conflit de compétence via « le droit de nullification », alors que dans le cas de l’Union, c’est une entité indépendante, nous avons nommé : la Cour de Justice de l’Union européenne.

Si nous reprenons les variantes de compétences, évoquées plus en amont, on retrouve dans le schéma de répartition de pouvoir de l’Union, une classification similaire à celle que l’on trouve dans une Fédération. Grossièrement on trouve trois catégories, les pouvoirs de la Fédération, les pouvoirs des États fédérés, et les pouvoirs exercés en commun. Pour l’Union le schéma est le même. On peut démarrer avec les compétences exclusives, pour lesquelles seule l’Union peut légiférer (on y trouve la politique d’union douanière, la politique de concurrence, ou la politique monétaire…) et que l’on trouve dans l’Union, mais aussi dans la Fédération.

Puis viennent les compétences partagées, pour lesquelles les États peuvent intervenir, dans la mesure où l’Union s’est abstenue, et les compétences d’appui, exercées par les États membres, pour lesquelles l’Union peut seulement apporter son soutien si cela est nécessaire. C’est le principe de subsidiarité qui gouverne tout ce mécanisme. Si l’on prend l’exemple de la politique extérieure, c’est une compétence qui est plus efficacement exercée par l’Union car d’une part, cela évite les divergences d’opinion entre les États membres, et d’autre part, cela permet à l’entité de se doter d’une légitimité et d’une crédibilité nécessaire sur la scène internationale, ce qui lui procure clarté et force.

Si nous dressons le bilan de ce parallèle tracé entre les deux concepts et l’analogie avec l’Union, certes, l’Union a davantage débuté dans les marques de la Confédération pour évoluer au fil du temps vers la Fédération. Cependant, les États ont toujours peur de la même chose, perdre leur souveraineté, c’est pour cela que l’Union n’est pas encore arrivée au modèle idéalement adapté à son fonctionnement. Elle est en effet « coincée » entre les deux modèles, et subit encore les revendications des souverainetés européennes. La clé du succès, comme le dit Michel Mouskhély c’est « un système d’association bien équilibré où les collectivités qui la composent conservent leur individualité, mais pour assurer la sécurité et promouvoir le progrès économique, elles se soumettent à une autorité supérieure, et lui transfère irrévocablement une partie de leurs droits souverains ». Le fédéralisme apparaît donc comme le seul espoir, encore faut-il le définir…

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Vos commentaires
  • Le 20 juin 2012 à 14:59, par Caroline En réponse à : L’Union européenne : entre Confédération et Fédération

    Un article gentillet et bien construit, mais désolée de dire qu’il s’agit là de vu, revu écrit et réécrit déjà 100 fois... D’autant quand on sait que la doctrine juridique essaie depuis plusieurs années déjà de transcender cette distinction binaire et pas toujours productive pour penser la construction européenne sui generis. Je pense notamment aux développements sur la Fédération d’Olivier Beaud. Donc il serait appréciable de mettre la barre un peu plus haut au taurillon !

  • Le 8 octobre 2012 à 11:10, par Fabien Cazenave En réponse à : L’Union européenne : entre Confédération et Fédération

    @Caroline : les développements sur la Fédération d’Olivier Beaud ne sont pas spécifiquement pertinents non plus. Il s’agit même d’une voix très minoritaire au sein des Fédéralistes...

  • Le 28 octobre 2012 à 00:50, par Simon-Clair En réponse à : L’Union européenne : entre Confédération et Fédération

    Bonjour, en 1953 j’étais étudiant à Aix-en-Provence (Droit + Sciences Economiques) et j’ai fait signer une pétition (hélas manuscrite donc aucune trace) à une cinquantaine d’étudiants et à 2 profeseurs ; pétition adressée à Vincent Auriol Président de la 4eme République pour demander à laFrance de proposer au Bénélux, à l’Italie et à la zône d’occupation française en Allemagne, la fondation de l’Etat Fédéral des Etats-Unis d’Europe. Le vieux monsieur que je suis (77 ans) continue à rêver à la constitution de la Fdération d’Europe, état souverain constitué de nations autonomes mais ayant accepté de perdre leur souveraineté sur les Droits Régaliens. Bonne chance à vous, je découvre par hasard ce soir votre site ! mauvaise pioche pour un européen convaincu de vous avoir ignoré ! . . .

  • Le 24 mai 2014 à 12:36, par Rudolf Misset (Pays-Bas) En réponse à : L’Union européenne : entre Confédération et Fédération

    l’Union européenne, une confédération ’suprafédérale’.

    C’est très simple. Les Etats souverains sont libres, de par leur souveraineté, d’attribuer certaines compétences à des institutions supranationales. Ils n’attribuent que des compétences - non pas de la soeveraineté ! Ce faisant, ils créent une confédération d’Etats souverains - non pas une fédération !

    Certains Etats européens sont eux-mêmes des fédérations : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique. Comme les Etats unitaires, ces fédérations attribuent des compétences à l’Union européenne - mais ne pourront, comme Etats souverains, faire partie d’une autre, ou plus grande, fédération ’européenne’.

    C’est pourquoi l’Union europénne est, et sera, une confédération « suprafédérale ».

    Voir http://rudolfmisset.wordpress.com/2014/05/17

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