L’UE, grande « muette » ?

, par Sophie Gérardin

L'UE, grande « muette » ?

L’Europe politique, grande construction intellectuelle avant d’avoir eu une traduction institutionnelle, ne « parle » pas. C’est ce qu’il faut entendre derrière le reproche récurrent de distance excessive, de froideur, de technocratisme… Comment l’expliquer ? Période de reflux de l’espérance démocratique ?

Personne - sauf ses ennemis les plus acharnés - ne serait prêt à y renoncer purement et simplement. Pourtant, tel le Phoenix, elle devra un jour renaître et changer la manière dont elle se présente.

L’U.E est un proto-Etat, un Etat virtuel, une construction semi-étatique

Aucune organisation internationale ne frappe monnaie, n’organise des transferts définitifs et permanents de souveraineté, n’offre un passeport à ses ressortissants, ne désigne des représentants au suffrage universel direct, ne fait flotter son drapeau sur les bâtiments publics, ne possède un embryon de diplomatie et de défense.

Même si l’U.E n’est pas un Etat consacré comme tel par le droit (mais souvenons nous aussi de la théorie de Georges Burdeau sur la naissance de celui-ci …), elle y ressemble, et il faut le dire. Soit elle disparaîtra sous cette configuration – et certains le souhaitent activement – soit elle assumera tôt ou tard ce statut.

L’UE est un Etat virtuel construit sur le modèle de l’Etat démocratique tel qu’apparu sous la forme de prémisses dans l’antiquité, puis développé et perfectionné partout sur la péninsule, en particulier après le réveil du 18ème siècle.

Elle n’ignore pas la séparation des pouvoirs puisqu’elle est pourvue d’un exécutif, d’un organe législatif bicaméral et d’un pouvoir judiciaire. Il a même été question de la doter d’un parquet, même si elle ne disposera jamais en propre d’une force publique.

Les organes qui la composent comportent souvent des noms barbares – et qui prêtent à confusion* – mais la réalité est là : une chambre représente les peuples, une « chambre », qui siège en différentes formations, représente les entités étatiques (le Conseil de l’Union), un exécutif chargé de proposer et veiller à l’application des textes représente l’ensemble.

Il faudra un jour le dire clairement.

L’U.E est un proto-Etat qui souffre d’un déficit symbolique, peut-être car ce sont les symboles qui parlent le plus aux peuples,….et probablement ils le lui rendent.

Elle a une monnaie, mais aucune effigie, alors qu’il existe certainement au moins un Européen avant l’heure qui a lutté contre l’intolérance et le sectarisme (Erasme), qui a écrit un plaidoyer pour la paix et qui incarne à lui tout seul l’humanisme sur le continent. Il y a certainement des figures non spécifiquement nationales, des visionnaires ou des promoteurs de la paix, même si celle à laquelle on pense ici se détache plus particulièrement.

L’Europe n’a pas de tête

En soi cela n’est pas inquiétant, mais il faudrait que celui qui incarne l’exécutif et qui est désormais désigné avec l’aval du parlement (donc à l’issue des élections) s’adresse spécifiquement aux électeurs à l’occasion de grands événements, même déconnectés d’un calendrier politique. L’actuel président de la Commission est surtout connu pour sa passion ou sa propension dérèglementatrice et, avec le Traité de Lisbonne, il est en concurrence avec d’autres.

L’Union parle trop souvent la « novlangue »

Le concept de subsidiarité – pertinent pour un juriste qui saura aussi qu’il s’applique depuis les années 1990 dans les relations entre l’Etat et les services déconcentrés - est sans doute obscur pour la plupart des habitants du Continent. On l’a pourtant beaucoup entendu dans la bouche de représentants de l’Union.

Il serait peut-être préférable de parler de complémentarité et de rappeler, surtout en période d’activisme de nos dirigeants, que l’Europe n’a et n’aura jamais qu’une compétence d’attribution, qui plus est avec un budget des plus réduits.

L’idée européenne d’une intégration politique essaime sur les autres continents (Afrique, Amérique latine…)

Peut-être serait-il opportun de se demander pourquoi.

Si elle ne séduit pas, ou plus, ou plus assez les habitants de nos vieux pays, c’est parce qu’on ne sait pas la promouvoir, parce que l’on vante trop rarement ses réussites, et parce qu’on veut lui donner une coloration politique libérale et plus rarement sociale avant de l’avoir faite adopter.

Les Européens redeviendront Europhiles quand ils se reconnaitront dans les politiques qu’on leur propose et dans les institutions qui les incarnent.

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Vos commentaires
  • Le 5 septembre 2009 à 11:59, par YVAN BACHAUD En réponse à : L’Europe, la grande muette

    Bonjour, Il faudrait peut-être arrêter de faire comme tous les politiciens devant un échec : Ils ne disent pas nos propositions étaient pas bonnes, ils disent on n’a pas su assez " expliquer"...

    Pour l’Union européenne l’analyse d’Arnaud DAMAISON est globalement juste.

    Mais je pense que complémentarité n’est pas mieux que principe de subsidiarité.Il faudra indiquer au départ ce que cela veut dire.En gros que l’Union européenne ne s’occupe pas de tous les problèmes qui peuvent être réglés au niveau des États, voire des Régions ou des communes et se concentre sur les sujets qui seront mieux traités au niveau de l’Union. Et rappeler que ce sont les États qui le lui attribuent.

    L’Europe pourra ne plus être muette quand elle sera "présentable", c’est a dire DÉMOCRATIQUE avec des institutions respectant la séparations des pouvoirs et approuvées directement par les CITOYENS européens. En des premiers articles devra dire à qui appartient la " souveraineté européenne" cela se fait dans toute Constitution.

    « La souveraineté européenne appartient aux citoyens qui l’exercent par leurs représentants élus selon un mode de scrutin unique, au suffrage universel direct et préférentiel et par la voie du référendum d’initiative citoyenne, en toutes matières de la compétence de l’Union. »

    Seule une constituante européenne tirée au sort le fera et le soumettra à référendum dans tous les États

    Je fais toute confiance aux citoyens européens pour qu’un des premiers articles de la future Constitution européenne dispose en substance :

  • Le 6 septembre 2009 à 06:37, par Martina Latina En réponse à : L’Europe, la grande muette

    Peut-être l’Europe n’apparaît-elle comme « la grande muette » que parce que son énergie est retenue par sa propre timidité ou parce qu’elle est la fille d’Europe, la Phénicienne mythique, la petite muette enlevée à la nuit et à la distance par un TAURILLON de lumière pour faire se lever en Crète l’aube de la civilisation et de l’Europe...

    Mais il est bien vrai qu’EUROPE est alors de la même trempe que le « Phénix » cité au début de cet article et renaissant à l’infini : la « péninsule » du continent asiatique à laquelle elle donne sa désignation a d’abord reçu de Phénicie depuis des millénaires la dynamique nautique, alphabétique, bref démocratique, dont la lancée justifie son nom de « Vaste Vue » et s’incarne dans l’essor porté par « la séparation des pouvoirs ». L’Europe serait condamnée à l’inertie redoutable d’une grande muette si les citoyens européens se résignaient en silence à n’y voir qu’un fait accompli, alors qu’elle est faite pour énoncer clairement, parfaire et pour accomplir un BIEN COMMUN toujours plus généreux et lumineux...

  • Le 6 septembre 2009 à 10:11, par Arnaud Demaison En réponse à : L’Europe, la grande muette

    A mon sens, le concept de compétence d’attribution dit bien ce qu’il veut dire et il est juridiquement pertinent.

    Les institutions européennes ne sont pas démocratiques parce que les Etats au sein du Conseil de l’Union ne décident pas selon des règles de majorité satisfaisantes, et car cette instance a beaucoup plus de poids que son pendant strasbourgeois, qui du reste n’est pas compétent sur toutes les matières.

    Il n’en reste pas moins selon nous que si les institutions étaient moins « ésotériques », et l’Europe attentive aux symboles (y compris avec la 9ème symphonie de Beethoven...!), les peuples se les approprieraient et l’exigence de démocratisation suivrait, la désaffection que suscite l’U.E liée à son manque d’intelligibilité et son caractère non démocratique s’alimentant l’un l’autre.

    La question du caractère plus ou moins social et/ou libéral est importante, voire primordiale, mais c’est presque déja aller vite en besogne : pour qu’on s’intéresse à une institution, il faut qu’elle nous parle y compris au niveau de notre imaginaire...

    Tout à fait d’accord avec vous sur le mode de scrutin unique, et tant qu’à faire le même jour.

  • Le 6 septembre 2009 à 19:26, par Coquillette En réponse à : humour noir

    « L’UE est un Etat virtuel construit sur le modèle de l’Etat démocratique tel qu’apparu sous la forme de prémisses dans l’antiquité, puis développé et perfectionné partout sur la péninsule, en particulier après le réveil du XXVIIIème siècle. »

    Comme quoi le réveil de la population n’est pas pour demain…

  • Le 7 septembre 2009 à 08:32, par Ronan En réponse à : humour noir

    Faute de frappe mise à part, on aura effectivement bien rit. Merci Coquillettes (pour votre vigilance...).

  • Le 7 septembre 2009 à 09:05, par Arnaud En réponse à : humour noir

    L’erreur d’écriture ne m’a pas échappée, ni même son sens ! Je crois quand même aux vertus du bulletin dans l’urne pour hâter les choses...

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