L’Open Access enfin à l’horizon en Europe ?

, par Ivan Flis, traduit par Éponine Moreau

L'Open Access enfin à l'horizon en Europe ?
Neelie Kroes, vice-présidente de la CE chargée de la Stratégie numérique © Services audiovisuels de la Commission européenne

De The Economist au New York Times, au cours des derniers mois, le débat sur le coût de l’accès aux articles publiés dans les revues scientifiques a ébranlé les médias internationaux [1]. L’idée du libre accès fait son chemin. Chaque jour, davantage d’étudiants, de chercheurs et de décideurs politiques se rendent compte que le système actuel de publication des recherches est devenu intenable.

Complétant des initiatives audacieuses de la Grande-Bretagne et des États-Unis sur la question, l’Union européenne prévoit le libre accès aux résultats des recherches qu’elle financera par le biais d’Horizon 2020, son programme d’investissement de 80 milliards d’euros dans la recherche et l’innovation. Récemment, Neelie Kroes, la Commissaire européenne à la stratégie numérique, a déclaré : « Les contribuables ne devraient pas payer deux fois les travaux de recherche scientifique, et ils ont besoin d’un accès facile aux données brutes. Nous voulons améliorer radicalement la diffusion et l’exploitation des résultats de la recherche scientifique, car ces données constituent le nouvel or noir. »

Dans cet article, je tenterai d’exposer brièvement le problème de l’accès aux articles spécialisés et les progrès réalisés actuellement par l’Union européenne pour le pallier. Les étudiants d’aujourd’hui constituent la majorité de la communauté académique. En tant qu’universitaires et décideurs de demain, nous devrions être conscients des obstacles majeurs rencontrés par de nombreuses personnes souhaitant accéder à des articles scientifiques, et nous devrions savoir comment les étudiants peuvent collaborer avec des institutions partenaires comme l’Union européenne pour aider à trouver une solution.

Quel est le problème ?

Analysons brièvement le fonctionnement du processus de publication au sein du monde universitaire. Il s’agit ici d’un exposé simple, servant plutôt de modèle heuristique que pratique.

Une chercheuse A travaille dans une université européenne. Elle est payée par l’université qui, par extension, est généralement financée par l’argent des contribuables. Lorsque son travail porte ses fruits, elle cherche des revues réputées dans son domaine d’activité, et tente de faire publier l’article. L’article est révisé par les chercheurs B et C qui travaillent également dans une université européenne. Finalement, quand l’article sur le travail du chercheur A est accepté, il est publié dans la revue spécialisée.

C’est ici que le problème survient. Ni la chercheuse A (l’auteur), ni les chercheurs B et C (les réviseurs) ne sont payés pour leur travail, du moins pas par les éditeurs de revues spécialisées. Par conséquent, les éditeurs obtiennent leurs articles gratuitement. À vrai dire, beaucoup de revues imposent même des frais aux auteurs s’ils dépassent un certain nombre de pages ou s’ils souhaitent des illustrations en couleurs. Cependant, cela ne s’arrête pas là. Ces mêmes éditeurs demandent aux universités de payer l’accès à ces articles. Avec ce mode de fonctionnement, les universités et leurs bibliothèques sont doublement perdantes. Elles paient une première fois pour financer la recherche et ensuite, lorsqu’elles veulent accéder aux résultats publiés de cette recherche, elles doivent de nouveau payer.

Les particuliers qui n’ont aucun rapport avec les universités font face à un plus gros problème : les abonnements annuels sont généralement hors de prix, et les prix par article sont assez exorbitants (30 euros pour un accès pendant 24 heures). En fin de compte, cela signifie que la plupart des résultats des recherches scientifiques restent inaccessibles en raison de leur prix. Ils ne sont librement consultables que par les rares personnes membres des institutions qui peuvent se payer les accès. Ceci dit, même les institutions les plus riches du monde comme le MIT (Massachusetts Institute of Technology) ou Harvard ne peuvent pas payer l’accès à tous les contenus dont leur personnel et leurs étudiants ont besoin.

Il ne s’agit que d’un bref exposé du problème qui a de nombreuses conséquences sur le monde académique et sur la société au sens large.

La solution

La solution proposée à ce problème est le mouvement Open Access ou le libre accès. Peter Suber, directeur des Harvard Open Access Projects (Projets Open Access d’Harvard) le définit comme suit : « La littérature scientifique en libre accès est numérique, en ligne, gratuite et exempte de la plupart des restrictions en termes de droits et de licences. » Cela ne veut pas dire que la publication dans des revues spécialisées est gratuite. Cependant, grâce à Internet, le système devrait être repensé afin d’une part de minimiser les coûts, et d’autre part d’évoluer vers des modèles qui ne créent pas de barrières à l’accès en faisant payer les lecteurs. Open Access n’est pas un moyen de réduire les revenus et de démanteler le processus d’évaluation par les pairs, mais une façon de réduire les barrières à l’accès.

Il existe deux manières de publier un article librement accessible : en déposant un article dans un répertoire tel que PubMed Central (parfois appelée Voie verte), ou en publiant l’article dans une revue librement accessible (parfois appelée Voie dorée).

Les revues en Open Access offrent leurs articles gratuitement en ligne dès leur publication avec les droits de réutilisation complets. Étant donné les avantages en terme de citations et de répercussions par rapport aux revues inaccessibles en raison de leur prix, le nombre de revues en Open Access ne cesse d’augmenter. Au moment de la rédaction de cet article, la base de données bibliographique Directory of Open Access Journals (DOAJ) répertorie 8263 périodiques scientifiques en ligne dans le monde.

La Voie verte permet le libre accès par auto-archivage. Les auteurs peuvent choisir de publier leurs articles où ils veulent, dans une revue librement accessible ou non, mais ils peuvent également déposer des versions de ces articles dans un répertoire qui est librement accessible. Les répertoires peuvent être gérés par des universités, des bibliothèques, des organismes de financement ou d’autres institutions. L’auto-archivage est assez répandu, utilisé et autorisé par la majorité des éditeurs (voir SHERPA-RoMEO pour consulter la liste la détaillée des politiques des éditeurs en matière d’auto-archivage).

L’Open Access dans l’Union européenne ?

Cela nous conduit à la conclusion préliminaire de cette introduction au libre accès. Comment la situation évolue-t-elle au niveau européen ?

L’Union européenne a reconnu l’importance du libre accès dans son précédent projet de financement, le Septième programme-cadre (7e PC). Environ 20% des recherches financées par ce programme-cadre doivent être mises en accès libre dans les 6 à 12 mois après la publication. Cependant, le prochain programme de financement de la recherche, Horizon 2010 a la possibilité de faire fortement avancer le libre accès en exigeant que la totalité des résultats soit librement disponible dans le même délai.

Horizon 2020 investira 80 milliards d’euros en bourses de recherche et s’étendra de 2014 à 2020. Ce qui est révolutionnaire dans ce programme de financement, c’est que l’Union européenne exigerait que toutes les recherches rendues possibles grâce à Horizon 2020 soient librement disponibles. Par conséquent, non seulement les recherches financées par plus de 80 milliards d’euros seraient disponibles librement lors de leur publication, mais en plus l’Union européenne créerait un important précédent pour les organismes de financement en Europe et dans le monde. L’UE affirmerait ouvertement : « C’est comme ça que l’on finance la recherche au XXIe siècle. Pourquoi ne faites-vous pas pareil ? »

Cependant, la version définitive du programme Horizon 2020 est loin d’être gravée dans le marbre. Le document doit être approuvé par le Parlement européen et passer par une série d’étapes nécessaires à sa création formelle. Des discussions sont en cours à la Commission européenne concernant le budget d’horizon 2020, et la définition des mesures sur le Libre Accès. Ces discussions rassembleront toutes les parties prenantes, c’est-à-dire les éditeurs, les partisans du libre accès et les représentants du monde de la recherche, des deux camps, ceux qui sont en faveur d’une politique de libre accès forte, et ceux qui sont contre. Il est essentiel que les étudiants participent au processus et fassent savoir à la Commission et au Parlement que l’accès à la recherche est indispensable pour eux.

Comment les étudiants peuvent-ils s’impliquer ? En consultant le site internet Right to Research Coalition, un groupe international d’organisations étudiantes rassemblant près de sept millions d’étudiants partout dans le monde, et qui défend le libre accès aux résultats de la recherche. Le site internet répertorie les dernières informations et les alertes afin que les étudiants sachent quand ils peuvent agir pour assurer une politique de libre accès forte dans le cadre d’Horizon 2020.

Cet article est publié dans le cadre du partenariat établi avec l’European Student Think-Tank

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