L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

, par David Bourguignon

L'Europe à la recherche du multilinguisme perdu

Le projet européen est depuis longtemps confronté à un paradoxe : l’unification réglementaire et économique du continent se poursuit, mais ce qui devrait être le principal vecteur d’échange entre ses habitants, le langage, demeure essentiellement une caractéristique des nations.

Face au défi du multilinguisme en Europe, l’adoption de l’anglais comme idiome commun résout bien des problèmes, mais cette nouvelle et puissante lingua franca a tendance à se substituer purement et simplement aux autres langues, au lieu de les enrichir. Dès lors, l’intégration européenne se transforme malgré elle en un puissant facteur d’uniformisation des cultures. Comment en est-on arrivé là ?

L’exemple d’une Europe d’avant les nations

Il est intéressant de comparer le processus en cours à celui qui donna naissance à l’un des premiers mouvements artistiques européens, le Gothique, qui vit se répandre partout monuments civils et religieux, tous issus d’une même vision esthétique du monde. Comment ce mouvement a-t-il pu acquérir une telle force, et conserver son unité sur un aussi vaste territoire, tout en s’adaptant aux traditions et aux conditions matérielles locales ?

Les artistes du Moyen Âge étaient des voyageurs. De par leur apprentissage et leur travail sur des chantiers souvent éloignés de leurs ateliers, ils parlaient plusieurs langues et savaient s’adapter au paysage culturel mouvant d’une Europe d’avant les nations, d’avant les frontières politiques et culturelles étanches qui deviendront les schémas mentaux de référence des hommes de l’époque moderne. En même temps, les commanditaires de ces artistes, puissances spirituelles ou temporelles, se tenaient constamment informés des innovations, cherchant toujours à surpasser en magnificence les œuvres réalisées ailleurs. C’est de cette tension féconde entre diversification et unification, à travers l’espace et le temps, qu’est né le grand mouvement du Gothique européen.

Or, que se passe-t-il maintenant ? L’un des deux ressorts de la dynamique européenne semble cassé : à la place d’être vécu comme une chance, l’écart existant en chaque individu entre une culture globale et une culture locale est trop souvent perçu comme un désavantage dont il faut se débarrasser au plus vite, par l’utilisation d’un globish sans âme, ou par le repli sur une identité étroite. Pour résoudre ce conflit à l’échelle du continent, il faudrait en fait retisser la trame des cultures et des langues européennes, c’est-à-dire cette continuité de l’esprit humain, lentement changeante à travers l’espace, que le principe des nations, par son besoin de constituer des blocs territoriaux homogènes, a contribué à faire disparaître.

Aujourd’hui, parler plusieurs langues européennes, c’est donc se placer dans l’axe de cette perspective de reconstruction. En cela, le multilinguisme est le prochain défi essentiel de l’Europe. Cependant, cette prochaine étape est particulièrement difficile car elle touche directement à l’un des constituants fondamentaux des êtres humains, leur langage, et l’imaginaire qu’il véhicule. Pour l’instant, seuls les enfants issus de familles réellement multilingues sont des citoyens naturels de cet état d’esprit. Pour les autres, il s’agira d’un apprentissage. Mais il faut espérer que le multilinguisme deviendra pour tous une pratique quotidienne qui définira l’Europe du vingt-et-unième siècle.

Une communication sous l’influence de la technologie

Actuellement, deux obstacles majeurs s’opposent à l’extension du multilinguisme en Europe. En premier lieu, les difficultés posées par l’apprentissage des langues : seulement 51% des adultes européens parlent effectivement une deuxième langue européenne alors que plus de 90% d’entre eux en ont appris une à l’école. C’est un défi immense, qui nécessitera une diffusion plus large des innovations pédagogiques, mais peut-être aussi le recours à des outils nouveaux tirant parti des dernières avancées des neurosciences. En second lieu, l’influence des choix technologiques : à l’ère de la communication multimédia, la plupart des outils que nous utilisons pour échanger des informations sont en réalité fondamentalement monolingues.

Un clavier d’ordinateur, qu’est-ce qu’il y a de plus commun de nos jours ? Pourtant, c’est l’expression même d’un monolinguisme de facto qui s’impose à notre insu. Depuis l’invention de la machine à écrire en 1867, le principe de son clavier, l’interface désormais indispensable pour la diffusion du texte écrit, est resté quasiment le même. L’adaptation de cet instrument aux contraintes linguistiques de chaque pays en a figé l’apparence, tout en permettant aux constructeurs de cloisonner soigneusement leurs marchés. À la fin du dix-neuvième siècle, prélude à deux guerres mondiales qui allaient ravager l’Europe, l’idée que quelqu’un puisse avoir envie de taper à la machine un texte en plusieurs langues pouvait semblait incongrue. Cela a-t-il vraiment changé ?

Un examen minutieux des objets qui nous entourent nous révèle que les choix linguistiques opérés par ceux-ci ne sont jamais neutres : la traduction a un coût pour les entreprises, la prise en compte de plusieurs langues complexifie les processus de développement des produits. Plus de quinze ans après l’adoption unanime par l’industrie informatique d’un système de codage unique des caractères appelé Unicode, l’interaction de plusieurs univers linguistiques pose toujours problème. Quelques exemples, parmi tant d’autres : l’installation d’un logiciel est rendue impossible par le fait que l’ordinateur est équipé d’un système d’exploitation dans une autre langue ; le respect de l’orthographe lors de la composition d’un texte sur un téléphone portable provoque une erreur à la hausse dans le décompte des caractères utilisés, etc. Dans tous les cas, le coût additionnel du multilinguisme, non supporté par le concepteur du système, est reporté sur l’utilisateur final.

Étrangement, les Européens semblent peu concernés par ces problèmes : le consortium Unicode est essentiellement composé de grands groupes industriels américains, épaulés par quelques membres institutionnels, à savoir les gouvernements de l’Inde et du Pakistan, et l’université de Californie à Berkeley. Mais il y a a des exceptions.

Un programmeur hollandais, avec son logiciel AllChars, a tout simplement inventé le principe du clavier virtuel : en plus des lettres présentes sur les touches du clavier, certaines lettres peuvent être obtenues par des combinaisons simples d’autres touches, ainsi CTRL+,+c se transforme en ç français, CTRL+s+s devient un ß allemand, CTRL+o+a permet d’obtenir un å suédois, etc. Grâce à cette extension, il ne fait plus aucune différence d’avoir un clavier national spécialisé dans une langue ou dans une autre, car toutes les langues de l’Europe deviennent soudainement accessibles au bout des doigts [1], sans avoir à passer par une application de traitement de texte particulière. Pour celui qui communique tous les jours par écrit en plusieurs langues, c’est une révolution.

Vers une société de l’information multilingue ?

La société européenne de l’avenir ne pourra être multilingue que si ce multilinguisme s’enracine profondément dans ce qui constitue désormais l’un de nos substrats sociaux : l’information. Bien que des tentatives prometteuses existent déjà dans ce sens, elles restent embryonnaires. Face à cela, le pire des scénarios se dessine déjà à l’horizon : afin de diminuer les coûts associés au multilinguisme, les entreprises européennes engagées dans la compétition mondiale feront des demandes pressantes auprès des gouvernements pour qu’ils reconnaissent enfin l’anglais comme langue commune. Tout d’abord réticents, ceux-ci finiront par entériner un état de fait.

Que faire du temps qu’il reste ? Peut-être commencer par regarder les choses en face : sans modèle économique approprié qui permettrait aux entreprises de concevoir le multilinguisme non plus comme un coût, mais comme un facteur différenciant leur permettant de se renforcer face à leurs concurrents, la tendance au monolinguisme se poursuivra. Ce n’est donc pas un hasard si l’Union européenne a fait du multilinguisme une de ses priorités [2], avec pour objectif avoué de soutenir la recherche dans ce domaine. En effet, bien que le multilinguisme soit avant tout un phénomène social, son développement pourrait être favorisé par des innovations technologiques, qui iraient dans le sens d’une société de l’information véritablement multilingue. Mais, comme c’est souvent le cas, la difficulté est multiple : technique, économique, et culturelle, une innovation n’ayant de sens que si elle est acceptée par le plus grand nombre.

Les Européens sont donc une fois de plus à la croisée des chemins. « Où allons-nous ? » ne cessent-ils de se demander de manière lancinante, oubliant peut-être d’abord d’interroger la profondeur de leur histoire, dépassant enfin les années terribles du siècle qui vient de s’écouler. « Où allons-nous ? » Notre réponse dessinera le visage de l’Europe pour le siècle à venir. Elle sera le reflet de notre désir de faire revivre en nous, par le langage, notre espace commun.

Notes

[1En fait, presque toutes : il manque actuellement à AllChars les alphabets grec et cyrillique pour permettre aux Grecs et aux Bulgares de se débarrasser de leur claviers nationaux.

[2Illustration de l’article issue du site de la Commission européenne consacré au multilinguisme.

Vos commentaires
  • Le 5 décembre 2008 à 11:48, par Krokodilo En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    « Face à cela, le pire des scénarios se dessine déjà à l’horizon : afin de diminuer les coûts associés au multilinguisme, les entreprises européennes engagées dans la compétition mondiale feront des demandes pressantes auprès des gouvernements pour qu’ils reconnaissent enfin l’anglais comme langue commune. Tout d’abord réticents, ceux-ci finiront par entériner un état de fait. » Tout à fait d’accord, ça fait un bout de temps que l’UE est anglophone de fait. C’est choquant, puisque l’idée européenne est celle de l’égalité des peuples et donc des langues.

    J’approuve aussi le passage sur l’unicode, mais à mon avis tout le reste est très contestable, et ne fait que répéter l’idéologie actuelle, qui repose uniquement sur des convictions.

    L’union européenne n’a pas « fait du multilinguisme une priorité », puisque tout a été fait pour que l’anglais devienne la langue véhiculaire de l’Union. Il existe tellement d’exemples de cette volonté qu’il faudrait des pages pour les rapporter tous, et je m’étonne toujours qu’on puisse croire leur baratin. La seule mesure efficace en faveur du multilinguisme, recommander à tous les pays qui ont rendu obligatoire l’étude de l’anglais au primaire de revenir sur cette mesure autoritaire, cette recommandation n’a jamais été émise par aucun rapport ou commission européenne ! La dernière proposition en date en faveur du tout-anglais, c’est de faire de l’anglais la langue de toutes les manœuvres portuaires. Eurofor, en quelle langue travaillent-ils ? Allez voir le portail relations extérieures Chine-UE : depuis des décennies l’UE se comporte auprès de l’Asie comme le représentant de commerce chargé de promouvoir l’anglais dans le monde ! Erasmus mundus, qui pousse les universités françaises à faire cours en anglais, and so on.

    Le service du multilinguisme n’est qu’un alibi, de la poudre aux yeux pour masquer la progression accélérée de l’anglais, jusqu’au jour où, comme vous le pressentez aussi, ils nous diront, la bouche en cœur : c’est un état de fait, ça s’est fait naturellement. Hormis le juridique, pouvez-vous citer un seul domaine professionnel où la coopération entre Européens se fasse autrement qu’en anglais ? C’est ça la vraie Europe, celle des gens, pas celle du Parlement qui essaie désespérément de traduire quelques documents, le plus souvent de simples résumés quand le véritable document n’est qu’en anglais. Il est clair que dans l’esprit des dirigeants européens, c’est l’anglais qui doit devenir la langue de l’Europe.

    Le multilinguisme européen n’est pas un but, c’est une réalité depuis des siècles ! Ca fait des siècles que les gens ont des notions de diverses langues, à divers niveaux : langue régionale, langue nationale, langue familiale (immigration), langue des pays voisins, et encore d’autres pour les voyageurs, comme vous le rappelez . Présenter une réalité comme un but, c’est proprement stupéfiant.

    La technologie, là encore on est dans le rêve, la recherche d’une solution miracle à l’incommunicabilité des habitants de la terre, un mythe entretenu par les fabricants de logiciels de « traduction » qui n’en sont qu’au stade du mot à mot, à des année-lumières de la vraie traduction. Quant aux progrès pédagogiques, là aussi on est dans l’illusion ; on a connu les laboratoires de langues qui devaient tout révolutionner, puis l’oral, il faut faire davantage d’oral, maintenant ce sont les technologies interactives, qui feront surtout le bonheur du business anglophone des langues.

    Il nous faudra un jour admettre qu’apprendre une langue étrangère à un bon niveau est un immense travail, et que la réalité de quelques bilingues, ou polyglottes de bon niveau n’en fait pas une possibilité qu’on puisse généraliser. Est-ce qu’on jouera tous au tennis comme Noah, au foot comme Zidane ? Qui plus est, si on fait tous de l’anglais, les enfants n’ont plus aucune raison ni aucune motivation pour apprendre une troisième langue ! De plus, il faut désacraliser les langues étrangères, ce n’est qu’une compétence parmi d’autres possibles.

    Enfin, un article sur l’UE qui n’évoque pas l’espéranto comme possible langue véhiculaire de l’Union est forcément incomplet, car c’est en fait la seule alternative crédible à l’anglais. Vous pouvez ne pas être d’accord, mais ne pas le citer , ne serait-ce que d’une ligne, est un manque. Le multilinguisme ? oui, mais lequel ? Si l’anglais est roi de l’Europe, les gens n’auront plus aucune motivation pour apprendre une autre langue. Alors que l’espéranto, langue construite, simple mais non simpliste (donc démocratique par un apprentissage largement plus facile), neutre (contrairement à l’anglais qui rapporte des milliards à la GB), européenne par son vocabulaire et internationale par sa grammaire, laisse du temps et du cerveau pour apprendre au moins une autre langue.

    Car le problème du multilinguisme, c’est qu’il y a trop de langues : régionale, nationale(s), familiale (immigration), frontalière, « internationale », ça fait beaucoup pour un seul cerveau !

    Il ne suffit pas de répéter multilinguisme dans de belles phrases lyriques et culturellement bien-pensantes, il faut proposer quelque chose de pratique, de faisable, qui fonctionne dans l’UE, ET entre les Européens. Or, hormis l’anglais pour tous, la seule autre proposition qui fonctionnerait, c’est l’espéranto comme langue véhiculaire ! L’anglais n’est pas une solution, il est une partie du problème.

  • Le 5 décembre 2008 à 17:36, par KPM En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    Article très intéressant et réellement pertinent. J’ai beaucoup aimé la comparaison avec l’Europe du Moyen-Âge, paradoxalement beaucoup plus en avance que nous sur l’intégration européenne. à cette époque où les gens voyageaient beaucoup moins et parlaient une diversité de langues bien plus large, et où les guerres n’étaient pas rares, il y avait néanmoins un sentiment d’appartenir au même monde.

    Par rapport au passage sur le clavier informatique, je souhaite préciser que sur Mac il est très facile de saisir un texte en plusieurs langues, et qu’il n’est nul besoin de recourir à un shareware ou un plug-in : tout est déjà dans le système livré par défaut. Par exemple, je saisis un ß en tapant alt+b, un ë en tapant alt+é, un ø en tapant alt+0, un æ en tapant alt+a, un ñ en tapant alt+n+n... Et je passe à un clavier grec ou arabe par simple saisie de commande+espace.

  • Le 6 décembre 2008 à 07:44, par Martina Latina En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    Les Européens sont bien A LA CROISEE DES CHEMINS linguistiques, techniques, économiques et culturels ; à nous, Eurocitoyens, de travailler, malgré les obstacles actuels, cognitifs ou matériels, à notre propre multilinguisme : pour rencontrer l’autre, oralement ou par écrit, dans sa sphère et pour coopérer à une mutuelle compréhension toujours plus précise, donc plus favorable à une Construction harmonieuse et nuancée de l’Europe. Si nous voulons atteindre ce but, commençons par veiller chacun au juste maniement de notre langue, mais affinons-le par l’apprentissage d’au moins une autre des langues pratiquées dans l’Union Européenne ; c’est le seul moyen de concilier les deux objectifs complémentaires que constituent l’approfondissement de la pensée personnelle et l’enrichissement du bien communautaire : car ainsi progressent les échanges professionnels et commerciaux qui tissent d’une manière sans cesse plus solidaire, plus chatoyante, la réalité de l’Europe. D’ailleurs, A LA CROISEE DE NOS CHEMINS anciens et nouveaux, insolites et familiers, nous partageons certes une situation inconfortable, mais surtout une chance inouïe : le même souffle d’aventure a saisi, d’après le vieux mythe qui chaque jour prend forme vivante, une jeune Levantine arrachée à son rivage oriental par une force divine imprévisible, sur des routes marines plus que terribles, jusqu’à l’île de Crète où elle allait mettre au monde la première civilisation occidentale par le don simultané des moyens, phéniciens comme elle, de la navigation la plus étendue et de la notation la plus répandue... Vous devinez son nom, car c’est le nôtre, EUROPE : ainsi nous devons, non seulement DESSINER SON VISAGE, mais incarner SON NOM dont le sens, à la faveur du multilinguisme pratiqué dès la plus haute antiquité, passa du SILLAGE-SOLAIRE désigné par les Sémites à la VUE-LARGE adoptée par les Grecs ; nous devons donc avant tout répondre à SA VOCATION de communication, fraternelle autant que novatrice. Dans cette perspective, il serait urgent d’exiger, à travers l’Europe, de nos pouvoirs publics une efficace promotion du multilinguisme, et de le pratiquer nous-mêmes avec une détermination créatrice.

  • Le 6 décembre 2008 à 09:49, par krokodilo En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    Excellent article, très pratique, concret, qui nous explique enfin en détail quel type de polyglottisme va permettre à l’UE de fonctionner hors du tout-anglais actuel, et aux Européens de se comprendre entre eux autrement qu’avec l’anglais.

  • Le 6 décembre 2008 à 19:44, par krokodilo En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    Re. A chaud, je me suis peut-être mal expliqué : à mettre toujours en avant ce mot de multilinguisme sans en préciser les modalités, on ne fait que valider la position de l’anglais et le renforcer Au mieux pourra-t-on arriver à une toute petite amélioration du niveau dans une deuxième langue étrangère, type allemand, italien, espagnol, au prix d’immenses efforts individuels et structurels, ce qui ne changera strictement rien dans le fonctionnement quotidien de l’UE et à l’incommunicabilité entre les Européens. Autant d’efforts pour un résultat médiocre voire nul, quel intérêt sinon celui de cacher qu’on nous a imposé l’anglais comme langue de l’Europe ?

    Ce qu’il faut en premier revendiquer, c’est un multilinguisme basé sur la diversité et la liberté, le libre choix de l’étude des langues, l’arrêt de l’anglais imposé à l’école primaire et en 6e au collège (faute de choix dans de nombreux établissements).

    Personnellement, pour l’école primaire, je propose quelque chose comme un choix entre anglais (car effectivement beaucoup de parents le souhaitent, mais pas tous, loin de là) ou autre langue selon les disponibilités de l’école, programme type Evlang d’initiation aux 3 alphabets présents en Europe et à la prononciation des diverses langues européennes (c’est-à-dire une initiation linguistique non spécialisée dans une seule langue), et l’espéranto. Cette voie permettrait un vrai choix, le retour à une liberté perdue, à coût constant, car il suffit d’un seul instit (PDE) par établissement dans chacune des 4 options, ce qui est facile à mettre en place. La difficulté n’est pas structurelle, elle est politique : nous sommes gouvernés par des gens convaincus que l’anglais doit être la langue de l’Europe, et qui se servent du mot plurilinguisme comme d’un paravent. D’ailleurs, Valérie Pecresse, qui vient d’emporter haut la main le « prix de la carpette anglaise », une distinction méritée, devant Xavier Darcos, autre candidat sérieux, a au moins le mérite de ne pas être hypocrite et d’avoir souvent expliqué qu’il fallait que tous les étudiants fassent de l’anglais !

    On pourrait imaginer que les métiers se partagent les langues de l’UE : l’anglais dans l’aviation, l’allemand dans le ferroviaire, le français dans le juridique et Eurofor, le polonais dans la police, le tchèque dans la santé, le polonais dans le nucléaire, le suédois dans le spatial, etc. Manifestement, ça fait sourire, c’est bien la preuve a contrario qu’une fédération de nombreuses langues ne peut se passer d’une langue véhiculaire. C’est en ce sens que je pense que l’espéranto comme lingua franca est la seule alternative crédible à l’anglais, peu connue, peu probable pour diverses raisons, mais la seule. Et si l’anglais est la langue de l’UE, toute cette agitation autour du plurilinguisme est stérile, car le niveau dans la troisième langue restera médiocre, et utile seulement à quelques profils particuliers, comme c’est le cas aujourd’hui. Je pense qu’il faut mettre les choses à plat et discuter sérieusement de cette question de la communication entre les Européens.

  • Le 7 décembre 2008 à 12:00, par David Bourguignon En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    Merci beaucoup pour votre commentaire. Sauriez-vous par hasard s’il existe une documentation en ligne décrivant le système de clavier multilingue proposé par Apple ? Merci d’avance pour votre aide.

  • Le 7 décembre 2008 à 13:34, par David Bourguignon En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    Merci pour vos généreuses contributions. Cependant, je crains de n’avoir pas été tout à fait compris. Ma réflexion sur le multilinguisme n’est absolument pas un argument pour ou contre une hypothétique langue commune en Europe, qu’elle soit naturelle ou artificielle. En fait, je suis vraiment désolé pour toutes les personnes que cette pensée chagrine, mais aucun peuple, aucun régime politique, aucune idéologie n’a jamais réussi à déterminer le cours de l’évolution des langues que les êtres humains utilisent pour vivre ensemble.

    Oui, la diversité linguistique est menacée partout dans le monde, comme l’est la diversité culturelle, la diversité des modes de vie et d’alimentation, la diversité biologique des espèces cultivées et sauvages. Permettre à cette diversité de continuer à exister (et à évoluer, car seul ce qui est mort est immobile), c’est un défi bien plus large que celui qui est évoqué dans mon article.

    Dans tous les cas, pour réfléchir à ce qui nous arrive aujourd’hui, étudions l’Histoire. La langue commune au temps de l’Empire romain était le grec. Pourquoi ? Parce que les Grecs avaient, bien avant les conquêtes militaires romaines, ouvert des comptoirs commerciaux sur tout le pourtour méditerranéen, et de ce fait défini les règles du commerce international de l’époque. Mais cela n’empêchait bien sûr pas les populations d’utiliser une myriade d’autres langues.

    Après la chute de l’Empire centralisateur, le Moyen Âge vit une période d’échanges féconds dans un monde européen multipolaire. L’ancien latin rendit un immense service aux religieux, savants et philosophes pour construire la première République des lettres, source de toutes les avancées intellectuelles des siècles ultérieurs. Cependant, les gens du peuple s’exprimaient eux dans une multitude de langues, que chacun maîtrisait à des degrés divers selon son métier et son origine géographique.

    A la Renaissance, un marchand comme Christophe Colomb ne se posait aucune question métaphysique : il parlait les langues de ses clients. Sa maîtrise de la lingua franca lui était bien utile en Méditerranée, mais pour ses projets d’exploration avec le soutien des puissances atlantiques, il utilisait le castillan et le portugais (voir ci-dessous). Rien n’a changé aujourd’hui : essayer de construire une relation solide et durable avec des partenaires commerciaux sans connaître leur langue et leur culture est une entreprise vouée à l’échec.

    Donc, au contraire de tous les plaidoyers pour une réduction de nos esprits et de nos vies à des langues quelconques, mon article défend l’immense richesse de ceux qui, même les poches vides, ont dans la tête des trésors de mots qu’ils ont ramassé au cours de leurs voyages, et avec lesquels ils entraînent les autres dans des jeux sans fin.


    « La langue de Colomb est d’ailleurs l’un des nombreux problèmes que pose sa biographie. Il est indéniable qu’il avait dû parler dans son enfance le dialecte de Gênes ; mais il semble aussi certain qu’il connaissait médiocrement l’italien littéraire, qui n’était alors qu’un dialecte de plus. Il fit certaines études, mais c’était, comme le voulait l’usage de l’époque, en latin. Il vécut pendant d’assez longues années à Lisbonne, où il épousa une Portugaise ; en sorte qu’il dut y acquérir une assez bonne connaissance du portugais ; et c’est l’espagnol qui, en fin de compte, fut la langue qu’il se vit obligé d’employer par préférence. »

  • Le 7 décembre 2008 à 17:53, par krokodilo En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    Vous ne défendez rien, puisque vous ne proposez rien : aucune réforme, aucune modification, rien de pratique et concret, ce qui est regrettable pour un parti politique.

  • Le 7 décembre 2008 à 19:18, par Laurent Nicolas En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    Un parti politique ? il doit y avoir erreur...

  • Le 7 décembre 2008 à 20:52, par krokodilo En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    Possible erreur. Parti ou mouvement des JEF (« Membre des Jeunes Européens Professionnels Île-de-France »), ne rien proposer revient à entériner l’anglais langue de L’UE, dont l’officialisation est proche, àmha.

  • Le 7 décembre 2008 à 22:21, par Manon En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu - Manon

    Si l’on regarde les choses en face l’élocution de bon niveau dans une langue étrangère reste nettement minoritaire (plutôt 10 à 20% que 50%) à moins d’avoir séjourné assez longtemps dans un pays où on parle cette langue.

    Compte tenu de ce constat il y a au moins cinq raisons de prendre en considération l’esperanto aujourd’hui comme langue commune à côté des grandes langues.

    1- Le déclin des Etats Unis. Un thème nouveau qui revient de plus en plus dans les analyses de la crise financière et sociale, qui est loin d’être finie en attendant l’exacerbation de la crise écologique, est le déclin de la domination américaine donc probablement de celle de l’anglais.

    2- On observe parallèlement le retour des Etats nation dans la gestion de la crise et des sociétés , compte tenu de l’échec social de la politique financiére néo-libérale mise en place par Reagan Thatcher à partir de 1979-80. Il y a donc un risque de retour prévisible des nationalismes.

    Face au double désordre (ou chaos) engendré d’abord par la domination financière néo-libérale états-unienne, ensuite par le choc prévisible des nouvelles puissances (Chine, UE, Russie, Japon,Inde etc.) et Etats nation en général , l’esperanto (Eo) apparait pour ces deux raisons DE PLUS EN PLUS comme une solution rationnelle à la communication internationale.

    Trois autres caractéristiques ou raisons importantes s’y ajoutent.

    3-C’est une langue neutre non ethnique et non liée à un néo-colonialisme qui favorise la paix. La formule English only comme langue commune est à juste titre jugée inéquitable par la majorité des citoyens européens et du monde.

    4- Sa vitesse d’apprentissage est spectaculaire. Il s’apprend au moins cinq fois plus vite (estimation basse) qu’une des grandes langues pluri-nationales actuelles. L’économie de temps est donc , si on retient 10% d’anglophones de naissance ou très à l’aise (estimation haute) et l’estimation de Claude Piron (10000 h d’apprentissage pour un bon niveau d’anglais et supposons 2000h pour un bon niveau d’Eo) 100%X 2000h / 90% X 10000h= 10/9 X 2/10 = 2/9 = 22%, donc 78% de temps en moins. Retournons contre les dirigeants anglophones leur fameux pragmatisme. « Time is money. Learn esperanto ».

    5- Enfin c’est le meilleur tremplin pour l’apprentissage d’autres langues. L’anglais ou une autre langue pluri-nationale s’apprend beaucoup plus vite si on apprend d’abord l’esperanto. Ses racines sont principalement européennes mais la formation des mots à l’aide d’affixes invariables est proche des langues agglutinantes et isolantes majoritaires en Asie

    En résumé dans la période du polycentrisme qui vient, l’esperanto est un accélérateur ou facilitateur de la communication internationale , de la paix et de l’équité entre les peuples et enfin de l’apprentissage d’autres langues : trois objectifs fondamentaux du XXIème siècle qui vient et du développement durable. Alors esperanto et démocratie internationale ou barbarie ?

    Pour une information précise taper sur Wikipedia Esperanto

    L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

  • Le 7 décembre 2008 à 22:37, par Laurent Nicolas En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    ce qui me gène avec l’Espéranto, c’est qu’il est présenté comme un substitut à l’anglais et à sa domination...mais ne propose en fait rien d’autre que de devenir la langue dominante. Le problème de l’espéranto est le même que celui de l’anglais, c’est l’hégémonie et l’unilinguisme. L’Europe a au contraire trop besoin de favoriser l’apprentissage de toutes les langues qui composent l’Union, pour promouvoir une langue qui n’est celle de personne et ne permet pas de rendre compte des nuances et des schémas de pensée véhiculés par chacune des langues de l’Union.

    Alors c’est sur, en attendant, c’est l’anglais qui joue ce rôle néfaste d’homogénéisation, mais substituer l’espéranto à l’anglais pour les mêmes résultats, je ne suis pas preneur !

  • Le 7 décembre 2008 à 23:40, par krokodilo En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    Laurent N, Deux grosses différences, pourtant : avec l’anglais, il y a une noblesse européenne, constituée par les natifs anglophones, et une plèbe, les citoyens de seconde zone, soit tous les autres. Les natifs et la GB en retirent des avantages si vastes que le seul rapport qui en faisait l’estimation a été enterré vite fait, pas même critiqué car le silence a été jugé préférable par les médias !

    Avec l’espéranto comme langue véhiculaire, chaque peuple et chaque langue européenne seraient à égalité, dans le vrai respect de la diversité linguistique, situation fidèle en cela à l’esprit européen. C’est remplacer une langue nationale par une langue inter-nationale. De plus, sa facilité largement plus grande permettrait un apprentissage du plus grand nombre, même à un petit niveau, donc davantage de démocratie, l’opposé de l’élitisme actuel, qui nécessite force séjours linguistiques. En outre, l’Eo permet de traduire fidèlement n’importe quelle pensée. Soutenir l’Eo comme langue-pont est aussi un plurilinguisme, mais organisé, qui permettrait enfin aux Européens de se comprendre facilement et à moindres frais, sans sacrifier des années et 10.000 heures de leur vie au bas mot. Le business de l’anglais, c’est par exemple la France qui va dépenser un million par an pour la certification du niveau en langues, travail que nos propres professeurs pourraient faire !

    L’hégémonie, le monolinguisme et la domination, ils sont là, et sont le fait de l’anglais. Pour réfléchir aux solutions, il faut accepter de regarder en face la réalité. C’est votre droit de ne pas être preneur de l’Eo, mais si on ne propose rien, on entérine l’anglais langue de l’UE.

  • Le 7 décembre 2008 à 23:59, par Laurent Nicolas En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    Non je ne suis pas d’accord avec ton assertion « si on ne propose rien, on cautionne ». Excuse moi de ne pas partager ta solution, l’Esperanto, comme remède à l’hégémonie de l’anglais. Excuse moi aussi de faire preuve d’un peu d’humilité et d’affirmer ne pas détenir de solution alternative à ce problème si complexe. Et par conséquent, excuse moi de ne pouvoir rien proposer de plus concret qu’un espace de discussion, le Taurillon, quadrilingue, qui permette de lancer le débat sur ces questions qui sont au coeur du projet européen.

    Par ailleurs, tu affirmes que l’Esperanto permet de traduire fidèlement n’importe quelle pensée...bien, tu as des exemples ? Des expériences sérieuses qui attestent ce fait ?

  • Le 8 décembre 2008 à 00:47, par krokodilo En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    Il n’est pas nécessaire de s’excuser ; par définition, dans un débat, les gens sont rarement du même avis. Je trouve effectivement plus constructif celui qui dit ne pas avoir de solution, que celui qui lance de belles phrases avec le mot plurilinguisme toutes les 2 lignes, ou la francophonie, comme par exemple le récent discours de Mme carrère d’Encausse (lisible sur Vox Latina). C’est au moins la reconnaissance d’un problème, alors que glorifier le plurilingusime (qui existe depuis des siècles sans qu’on en fasse tout un plat), ressemble à la promesse de l’avenir radieux que l’on faisait dans l’ex-URSS de façon caricaturale.

    Le Taurillon est effectivement quadrilingue, et c’est un des médias en ligne qui a plusieurs fois abordé la délicate question des langues, et même l’espéranto – ce qui est encore plus rare. Mais quand je soutiens qu’on nous dirige vers l’anglais langue de l’union, je ne parle pas des journaux, ni du parlement, mais des coopérations professionnelles, toutes en anglais sauf le juridique, et de plus en plus ouvertement, de la représentation extérieure de l’UE (tout anglais sauf concernant Maroc, Tunisie, Liban, bref plus ou moins l’influence du français), etc.

    Des exemples, oui, par mes lectures, j’ai pu voir qu’il ne s’agissait pas d’un code comme beaucoup le croient mais d’une langue complète, homogène, évolutive, qui a donc toutes les caractéristiques d’une langue naturelle, y compris celle de la possibilité de traduction, et dont la seule différence est d’être construite, donc simplifiée, régulière et non nationale.

    Plutôt qu’un exemple, je dirai que l’intercompréhension passive, une théorie qui n’a rien prouvé, rien publié de concret, bref au mieux une hypothèse de recherche, bénéficie régulièrement de subventions européennes, alors que l’UE n’a jamais financé d’essai de traduction et rétrotraduction de texte au moyen de l’espéranto... Ont-ils peur que le résultat fasse jeu égal avec l’anglais, voire soit meilleur ? Idem pour sa rapidité d’apprentissage... La réponse est toujours la même « Ce n’est pas une langue de l’Europe », alors que c’est (à mon avis) la seule alternative crédible au tout-anglais !

  • Le 9 décembre 2008 à 08:49, par Ronan En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    Et si on osait enfin dire sur le Taurillon que la question du plurilinguisme n’est là qu’un thème « sympathique mais franchement annexe » qui n’est pas nécessairement la « priorité des priorités » pour notre association ?!

    (NB : détestant tout particulièrement les écharpages sur les questions linguistiques, je me permets juste cette petite suggestion...).

  • Le 9 décembre 2008 à 09:56, par krokodilo En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    C’est pourtant une des plus grosses difficultés structurelles de l’UE, aussi importante qu’elle est négligée, voire niée. Oserais-je dire que c’est votre choix, que vous êtes libres de choisir vos articles ?

  • Le 9 décembre 2008 à 16:55, par ciboulette En réponse à : L’Europe à la recherche du bilinguisme perdu

    Je ne suis pas historien, mais j’ai de gros doutes sur l’importance historique du multilinguisme dans le Moyen-Âge européen, par rapport à celle de l’usage du latin. Le fait que le latin était alors utilisé comme langue administrative, scientifique, littéraire, religieuse, à côté des nombreuses langues locales me paraît bien plus significatif que l’exemple isolé des artistes gothiques.

    Par ailleurs, militer pour que le multilinguisme s’impose en Europe me paraît irréaliste. Aucune région au monde n’est multilingue (à part l’Inde à la rigueur avec l’anglais et le hindi + X). En revanche, quasiment toutes les régions du monde (sauf l’UE) sont mono ou bilingues (anglais + X, français + X, espagnol + X, arabe littéraire + X, russe + X, mandarin + X etc...)

  • Le 9 décembre 2008 à 20:17, par Ronan En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    (1) Ce n’est pas moi qui choisit les articles...

    (2) Le challenge du projet européen, c’est surtout de faire cohabiter les différences et de fonctionner malgré tout, pas de contourner la difficulté en inventant des expédiants.

    L’Europe fédérale de l’avenir, elle devra fonctionner de toute façon. Et ce, avec ou sans langue commune.

  • Le 10 décembre 2008 à 12:58, par krokodilo En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    Je viens de remarquer que le lien vers des « avancées des neurosciences » ne renvoie en fait qu’à un site monolingue en anglais qui ne contient aucune référence scientifique, et qui présente essentiellement une liste de boites d’apprentissage de langues ; en gros c’est totalement bidon, une promotion du business des langues assortie d’un commentaire pseudo-scientifique de bonimenteur, situation malheureusement fréquente dans le monde des langues étrangères.

  • Le 13 décembre 2008 à 18:30, par David Bourguignon En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    C’est le site d’un projet européen de recherche et développement qui comporte la liste des partenaires, certains industriels, d’autres académiques. Oui, c’est en anglais.

  • Le 2 janvier 2009 à 18:15, par pypou En réponse à : L’Europe à la recherche du multilinguisme perdu

    Bonjour à tous et à toutes, voici mon expérience de multilingisme « à l’européenne » :

    Je suis un petit fonctionnaire qui porte de temps à autre la parole de mon pays dans les instances de l’Union. C’est assez banal, on est des milliers à faire cela tous les jours, pour rédiger les textes communautaires et les faire appliquer de façon homogène dans tous les Etats membres.

    Les invitations sont bilingues, anglais et français, parfois trilingues avec l’allemand. Les réunions de comité, prévus par ces textes, sont interprétées dans plusieurs langues que nous « pouvons » parler et écouter : anglais, allemand, espagnol, français, italien (par ordre aphabétique en langue française), dans toutes les réunions, parler certaines autres, en écouter d’autres encore, et d’autres encore que nous « ne pouvons » ni parler ni écouter.

    Toutes les langues officielles des EM de l’UE sont interprétées un jour ou l’autre (de façon assez erratique, en fonction des disponibilités des interprètes, en tout cas, je n’ai jamais constaté de règle d’apparition ou non d’une langue).

    La Commission demande que les EM qui doivent faire des déclarations en donnent une copie écrite aux interprètes avant la réunion.

    J’ai pu constater plusieurs choses au cours de ces diverses réunions :

    1) Quand un pays (généralement petit) a -enfin- la possibilité de s’exprimer dans sa langue, il se défoule et dit la plupart du temps des choses très intéressantes (questions pertinentes, problématiques importantes, etc) ! Sinon, il a tendance à dire des bêtises ou à se taire, ce qui peut appauvrir les discussions.

    2) Certaines considérations qui arrivent sur le tapis sont propres à une seule langue, mais sont fondamentales pour le(s) pays qui la parle(nt). Ainsi, le mot « aliment » est traduit de deux façons différentes en allemand selon que l’aliment dont on parle est un aliment nécessaire à la survie ou simplement un aliment « de loisir ». Vous ne saisissez pas la nuance ? Pas grave, ça ne concerne que les germanophones, et ça fait sourire tous les autres, qui englobent tout sous le même mot (« aliment » : si, si !)

    3) Quand il n’y a pas de traduction directe d’une des langues parlées vers le français, on entend des choses bizarres... Je me souviens d’un cas, caricatural, où le délégué espagnol très en colère a fait un discours enflammé contre la proposition de texte de la Commission européenne. Pendant ce discours, j’ai eu droit à une interprétation, plus tardive que d’habitude, d’une phrase assez quelconque, assez loin de la colère dudit délégué, suivie d’une autre phrase, tout aussi quelconque, disant le contraire de la précédente.

    Je n’ai jamais su ce qu’avait réellement dit mon collègue espagnol. J’ai supposé que j’avais entendu une interprétation d’interprétation...

    4) Les interprètes ne sont jamais à l’abri d’erreurs de vocabulaire : je me souviens d’une interprétation très éloignée du sujet qui nous préoccupait : le mot « lighter » avait été interprété par « phare » et non « briquet ». Bon, d’accord, les deux font de la lumière, et c’était tellement gros que je me m’y suis pas laissé prendre, mais quand même ! Depuis, je me méfie de ce que j’entends...

    5) Les interprètes sont obligés d’interrompre leur travail d’interprétation après chaque demi-heure, tellement c’est épuisant. Et ils ne font pas du mot à mot : ils traduisent une idée, et non un texte, car ils doivent connaître, outre la langue, les habitudes d’expression (« idiotismes ») de chacune des langues qu’ils interprètent...

    6) En l’absence d’interprète, dans les réunions internationales où la coordination des EM de l’UE est requise, tout se fait en anglais, et seuls ceux qui parlent anglais peuvent se faire réellement comprendre, les autres (la plupart des EM, il faut le dire) ayant beaucoup de difficultés à se faire entendre.

    Pour ma part, j’arrive à suivre les discussions (sauf des anglais, mais il faut se lever tôt pour les comprendre !) et je ne me prononce que si une chose est vraiment importante ou si on me demande mon avis (je n’ai pas envie de ridiculiser mon pays). Je précise qu’une position commune ayant déjà été prise suivant les modalités exposées plus haut, il ne s’agit que d’ajustements « stratégiques » pour les discussions.

    7) En-dehors des réunions de comité, réunions interministérielles où l’interprétation est obligatoire, des réunions de travail sans interprètes peuvent être programmées.

    Dans l’une d’elle, on m’avait demandé si ça me gênait de parler anglais. Me méfiant de mon niveau, j’ai demandé un interprète. On m’a concédé un « facilitateur », c’est-à-dire un membre du personnel de la Commission, connaissant le français et l’anglais, chargé de m’aider à m’exprimer en anglais si je n’y arrivais pas tout seul (je pense qu’ils ont l’habitude de ce genre de situation !).

    En l’occurrence, il était italien et a écouté ce que j’avais à dire (et que j’ai exprimé en anglais) sans avoir eu besoin de m’appuyer (je suis niveau 6, c’est-à-dire le plus haut, sur l’échelle de mon ministère, et je suis loin d’être parfaitement bilingue).

    Sauf que, vers la fin (et au bout de 2 heures de duel d’arguments dans une langue étrangère, je vous assure que la tête explose !), je n’ai plus trouvé les mots, et je me suis entendu dire par la représentante de la Commission : « dites-le en français, tout le monde comprendra ».

    Relisez-bien cette dernière phrase, et imaginez dans quel état d’esprit je pouvais être à l’issue de cette réunion.

    8) Les textes de travail sont en anglais (autrefois, c’était le français). Les traductions, bien qu’elles aient été faites par des juristes linguistes, sont truffées de petites erreurs, la plupart du temps sans incidence, mais ce n’est pas toujours le cas.

    En cas de divergence, c’est la langue d’origine qui est la version « vraie », à laquelle toutes les autres versions lignuistiques doivent être conformes.

    C’est pourquoi il est primordial de tout relire, phrase après phrase, et de faire corriger les erreurs. Or, les phrases en anglais, même en « anglais Commission », ne sont pas toujours aussi claires qu’elles paraissent, même après réflexion, contrairement à l’espéranto, très solide (et agréable à lire) de ce point de vue-là.

    9) Le site des instances européennes (www.europa.eu) a un portail dans toutes les langues de l’Union. En fait, la page d’accueil. Les communiqués de presse, études scientifiques, etc... sont de moins en moins traduits, et que vers les « grosses langues » (FR, DE, ES). Allez donc voir les pages de l’Agence européenne de sécurité des aliments, par exemple !

    Ma conclusion, personnelle et subjective, est que la Commission européenne a fait le choix du tout anglais, et qu’elle n’a pas l’intention de revenir dessus. Les EM qui veulent se faire entendre devront choisir entre : envoyer des spécialistes du sujet traité, ou : envoyer un linguiste. Je pense aussi que UK envoit rarement des linguistes.

    Je précise que la Commission, en l’état actuel des traités, ne peut pas promouvoir l’espéranto : elle est tenue de s’exprimer dans l’une (ou plusieurs) des langues officielles de la Communauté. Il faudrait une proposition du Parlement européen, par exemple. Or, en 1997, seulement 40% environ d’entre eux s’étaient prononcés en sa faveur.

    Amicalement.

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