Qu’en est-il exactement ? De quel ’’fédéralisme’’ s’agit-il vraiment ? Comment expliquer un tel rejet ? Est-ce là vraiment le rejet définitif de toute évolution de l’Italie vers le fédéralisme ?
Lors du référendum des 25 et 26 juin derniers, 61,7% des Italiens ont rejeté le projet de réforme constitutionnelle qui leur avait alors été proposée [1].
Il s’agissait là d’un texte -modifiant 54 des 139 articles de la Constitution de 1948- qui devait, entre autres choses, renforcer l’autonomie des vingt régions italiennes. Et qui devait leur accorder de plus larges prérogatives et des compétences exclusives en matière d’administration locale, de santé, d’éducation, de police et de sécurité publique (tout en accordant plus de pouvoirs au premier ministre...).
Ce texte avait été adopté, en novembre dernier, par le Parlement italien et par la majorité parlementaire d’alors : avec une petite majorité constituée des seules voix de la coalition de centre-droit berlusconienne composé de « Forza Italia » et certains de ses alliés. Il faut noter que sur ces questions, les deux autres principaux partis de la coalition (« Alleanza Nazionale » et « l’Unione dei Democratici Cristiani ») étaient assez frileux -pour ne pas dire hostiles- aux thèses défendues par Berlusconi, Bossi et l’ex-ministre de l’économie Tremonti [2].
En tout cas, il s’agit là de la troisième défaite consécutive, en onze semaines, de l’ancien premier ministre Silvio Berlusconi (après les législatives d’avril et les municipales partielles de mai dernier...) et de ses alliés ’’autonomistes’’ de la « Ligue du Nord ». Une défaite d’autant plus cuisante que ce sont là près de 53,6% des 47 millions d’électeurs italiens qui se sont déplacés par s’exprimer sur le sujet : un taux de participation inégalé depuis dix ans pour un référendum.
Les raisons du rejet de ce texte de réforme constitutionnelle sont bien plus profondes et bien plus argumentées que de simples raisons politiciennes. Ce n’est pas simplement le peuple de gauche qui a rejeté le dernier reliquat réformiste de l’ère Berlusconi. C’est bien le peuple italien, dans sa très grande majorité, qui a condamné une division injuste de la péninsule et rejeté une mauvaise réforme prônant un fédéralisme dévoyé.
Les raisons du rejet :
La grande majorité des forces politiques italiennes sont pourtant aujourd’hui convaincues qu’il faut réformer l’Italie et accroître le rôle des Régions. Le projet de fédéralisation de l’Italie, défendu dès la constitution de l’Etat « Italie », notamment par Carlo Cattaneo, n’a jamais été complètement abandonné. Aujourd’hui que l’identité nationale semble cimentée, la nécessité de réorganiser la péninsule se fait encore sentir. Mais encore faut-il savoir quel type de réorganisation l’on souhaite vraiment...
En effet, les opposants à la réforme berlusconienne (i. e : l’actuel nouveau gouvernement de Romano Prodi et sa coalition gouvernementale de centre-gauche dite ’’L’Unione’’, en tête...) dénonçaient là une atteinte à l’unité et à la solidarité nationale. Ainsi qu’une menace à la cohésion territoriale du pays, notamment par l’abolition du système de péréquation assurant la solidarité entre régions riches et régions pauvres (et par le transfert de trop nombreuses compétences aux Régions...).
Mais on peut aussi souligner la maladresse des promoteurs de cette procédure référendaire qui ont ainsi décidé de présenter au vote des italiens ce projet (i. e : de ’’décentralisation’’ des compétences...) joint à un projet de renforcement des pouvoirs de l’exécutif (au détriment des contre-pouvoirs parlementaires qui tempèrent son action...).
Par delà la polémique sur ce projet de loi de ’’dévolution’’, force est donc de constater que l’Italie semble destinée à rester sans doute longtemps encore une république parlementaire construite autour d’équilibres complexes (de type ’’check and balance’’...) et où la négociation entre partis politiques (et entre intérêts locaux...) restera pour longtemps la base de la vie politique nationale.
Pour l’Italie, quel fédéralisme ?
Néanmoins il est très clair qu’il faudra bien un jour réorganiser l’actuel système de gouvernement italien. Et que cela doit effectivement passer par une réorganisation territoriale de l’Italie, qui demeure un gage de bonne gouvernance dans un pays ayant préservé de très fortes identités régionales et locales.
Mais il ne faut néanmoins pas négliger les questions financières qui obsèdent l’Italie depuis si longtemps dans un pays où la fracture s’aggrave entre un Nord économiquement prospère et un Mezzogiorno sous assistance. Car une régionalisation de l’Italie ne doit pas non plus se faire au détriment des principes de solidarité nationale les plus élémentaires entre Italiens.
En effet il est très clair qu’au sein de l’ancienne coalition gouvernementale chassée du pouvoir en avril dernier, le principal parti promoteur de cette réforme était bel et bien le parti populiste (aux accents souvent xénophobes...) de la « Ligue du Nord ». Un parti politique qui estime que les régions prospères du nord de l’Italie n’ont pas à payer pour celles du sud et qui milite pour une très large autonomie de celles-ci.
Pour preuve de cela, c’est bien dans les régions les plus riches de l’Italie et les plus acquises aux thèses de la « Ligue lombarde » (i. e : la Lombardie et la Vénétie) [3] que le vote en faveur de cette révision constitutionnelle aura fait ses meilleurs scores. Et tout le problème vient précisément que cette réforme ’’régionaliste’’ - dite ’’loi de dévolution’’ - ait précisément été baptisée des termes de ’’décentralisation de type fédéral’’.
Or, qu’on y réfléchisse calmement et on verra bien qu’il n’y a précisément rien de véritablement fédéraliste dans cette démarche ’’égoïste’’ qui, en fait -au nom du principe mal digéré de la ’’subsidiarité’’ et en surfant sur les égoïsme locaux - consiste à séparer arbitrairement les gens les uns des autres et à rompre les solidarités les plus élémentaires existant entre eux. Quand il ne s’agit pas carrément de les dresser les uns contre les autres...
C’est pourquoi nous ne pouvons que dénoncer là, dans ce brouillon bâclé d’une réforme ratée (et dans ce prétendu ’’fédéralisme de la Ligue du Nord’’...) l’expression d’un fédéralisme dévoyé : autre visage de l’égoïsme communautaire, sinon national.
Un projet dont l’expression juridique allait totalement à l’encontre des principes et des finalités d’un fédéralisme bien pensé : un Fédéralisme qui doit unir les hommes et non pas, en instrumentalisant l’égoïsme humain à de seules fins politiques, arbitrairement les séparer.
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