Irlande et liberté de la presse

Rapport « Good Bye to Freedom 2008 »

, par Joe Carroll, traduit par Olivier Bedellem

Irlande et liberté de la presse

Le rapport sur la liberté de la Presse en Europe « Goodbye to Freedom » vient d’être publié par l’Association des Journalistes Européens. Le Taurillon a décidé de publier le résultat de cet énorme travail. Aujourd’hui, voici la situation en Roumanie.

Situation générale

L’année qui vient de s’écouler a vu un développement important de la liberté de la presse en Irlande : mise en place d’un conseil de la presse indépendant, d’un médiateur de la presse et d’un code de bonne conduite pour les journaux, magazines et journalistes. Cela s’est produit après des années de débat sur la question sensible de savoir comment soumettre la presse à un ensemble de procédures légales de réclamations qui ne limiterait pas de manière disproportionnée la liberté de la presse.

La profession et le National Union of Journalists (syndicat national des journalistes) ont défendu l’idée que la loi existante relative à la diffamation était déjà une restriction importante à la liberté de la presse en Irlande, sans qu’il soit nécessaire d’ajouter un conseil de la presse nommé par l’Etat qui pourrait conduire les journaux qui ne respectent pas la législation à des sanctions judiciaires. Après de longues consultations entre un comité de pilotage de l’industrie de la presse et le ministre de la justice et de la réforme du droit de l’époque, Michael McDowell, un compromis a été atteint.

Le Conseil de la Presse sera un organe totalement indépendant sans membres nommés ni interférence du gouvernement. Par le biais d’un Médiateur de la Presse, le public pourra déposer des réclamations et si la réclamation est retenue comme justifiée, l’organe de presse devra modifier l’information et présenter des excuses. Un appel peut être réalisé devant le Conseil de la Presse contre la décision du Médiateur de la Presse.

Comme contrepartie de l’acceptation par la presse de ce contrôle, le gouvernement a accepté de réformer la loi relative à la diffamation, qui décourage les corrections volontaires et excuses puisqu’ils permettent aux victimes de demander une indemnisation conséquente. La nouvelle loi relative à la diffamation a été bien accueillie par les médias, mais tel n’était pas le cas de la loi relative à la vie privée, qui a été vue potentiellement comme une restriction drastique des pratiques de reportage. Le ministre a présenté la loi relative à la diffamation au Seanad (chambre haute) en décembre 2006 et espère que celle-ci sera adoptée par chacune des chambres du parlement avant les élections générales cette année.

Toutefois, la progression a été lente au Seanad et il y a eu une opposition rigide de certains sénateurs. La loi n’était pas votée lorsque les élections ont eu lieu en mai cette année. Le nouveau gouvernement –la même coalition du Fianna Fail et des Progressive Democrats avec en plus les écologistes- ont annoncé qu’ils allaient réintroduire la loi relative à la diffamation après consultation. Mais ils ont également affirmé qu’ils allaient maintenir l’adoption de la loi relative à la vie privée. La mise en place du Conseil de la Presse a eu lieu sous la direction de Tom Mitchelle, ancien président de l’Université de Dublin (Trinity College). Le nouveau Médiateur de la Presse et John Horgan, un ancien journaliste, député et professeur de journalisme.

La nouvelle loi relative à la diffamation a été bien accueillie par les médias, mais tel n’était pas le cas de la loi relative à la vie privée, qui a été vue potentiellement comme une restriction drastique des pratiques de reportage

Le Médiateur chargé de la Liberté de l’Information, Emily O’Reilly, a critiqué la modification en 2003 de la loi de 1997 relative à la liberté de l’information, décrivant les effets des changements comme « négatifs ». Elle a affirmé que la modification conduisait à une réduction de la liberté d’information ; que l’augmentation des frais rendait plus difficiles ces droits à faire valoir ; et que le gouvernement était maintenant « moins enthousiaste » en ce qui concernait la liberté de l’information. Elle a souligné que les demandes par les journalistes sur le fondement de la liberté de l’information avaient fortement baissés depuis l’introduction des frais.

Etude de cas : un journaliste irlandais risque la prison pour non-divulgation de ses sources dans une affaire de corruption

Plus tôt cette année, le tribunal spécial d’enquête (Juge d’instruction) Mahon a tenté de forcer un éditeur et un reporter de l’Irish Times à révéler sa source concernant un document émanant d’un tribunal qui révélait que le Taoiseach ou Premier Ministre, Berthie Ahern, avait reçu une donation secrète de la part d’un de ses amis lorsqu’il était en difficultés financières. Cette nouvelle était embarrassante à l’époque pour M. Ahern car il était à l’époque ministre des finances, le deuxième poste le plus important du gouvernement irlandais.

Le tribunal Mahon a été créé par la chambre basse du parlement, le Dail, en 1997. Depuis, il a recherché des preuves de corruption dans la requalification de terrains autour de Dublin dans les années 80 et 90. Le tribunal a découvert des preuves de corruption par certains promoteurs, conseillers municipaux, lobbyistes et quelques membres du parlement. Une allégation selon laquelle M. Ahern avait fait l’objet de corruption de la part de promoteurs d’un centre commercial a conduit le tribunal à examiner les comptes bancaires de M. Ahern pendant cette période. M. Ahern nie ces allégations.

Le 21 septembre 2006, l’Irish Times a publié un rapport réalisé par son correspondant aux Affaires Publiques, Colm Keena, selon lequel le tribunal avait écrit à un businessman , M. David Mc Keena, au sujet de paiements que lui ou d’autres personnes auraient fait à M. Ahern pour un montant total entre 50.000 et 100.000 euros vers décembre 1993. Selon le rapport, il était clair que M. Keena avait vu cette lettre qui était mentionnée « Strictement personnel et confidentiel » et que cette lettre avait été envoyée dans la phase privée de la procédure judiciaire. Les auditions publiques sont basées sur de longues périodes d’enquêtes privées.

Le juge Alan Mahon, qui préside le tribunal, a immédiatement écrit à l’éditeur du l’Irish Times, Geraldine Kennedy, la convoquant ainsi que M. Keena devant le tribunal et exigeant la copie de la lettre citée dans le journal et l’identité de la source qui l’avait fournie. Kennedy et Keena ont refusé d’aider le tribunal dans cette affaire et Kennedy dit également qu’elle avait ordonné à M. Keena de détruire sa copie de la lettre après avoir vérifié son authenticité.

Le juge Mahon a ensuite saisi la High Court et lui a demandé de forcer Kennedy et Keena à identifier la source de leur information. Comme le document lui-même avait été détruit malgré l’ordre du tribunal, le juge Mahon a également demandé à la High Court de faire décrire le document par le journaliste afin de pouvoir identifier la source.

Cette action devant la High Court a été entendue en juillet dernier, plusieurs mois après que le tribunal ait lui-même rendu public qu’ils allaient auditionner M. Ahern au sujet des paiements mais avant qu’il témoigne. Depuis, il a témoigné et confirmé qu’il avait effectivement reçu des paiements d’amis et de businessmen pour l’aider dans une période difficile après son divorce. Les journalistes ont dit à la High Court que malgré le fait qu’ils risquaient de lourdes amendes ou des peines de prison pour outrage à la cour, ils ne pouvaient pas révéler leur source ou décrire le document afin d’identifier leur source.

Mme Kennedy a indiqué que c’était pour elle un devoir de publier « une affaire d’importance vitale pour l’intérêt public ». Cela aurait un « effet dévastateur » sur sa posture de journaliste et d’éditeur si elle identifiait sa source. L’avocat du journal, Eoin Mc Gonigal, a affirmé que si la source était identifiée par les journalistes, leur réputation serait diminuée et la somme d’informations sur laquelle ils s’étaient basés pour réaliser leur travail serait complètement anéantie. Et l’Irish Times serait « mort en tant que journal » en ce qui concerne l’obtention d’informations.

L’avocat du tribunal Mahon, Denis McDonald, a argumenté que la liberté d’expression garantie pas la constitution irlandaise et la Convention Européenne des Droits de l’Homme « n’était pas absolue ». D’autres droits entrent en jeu tels que le droit pour le tribunal de conduire des enquêtes confidentielles. Le tribunal avait également le droit de défendre sa propre réputation. Il avait été accusé plusieurs fois de laisser filtrer des informations confidentielles et il avait donc le devoir également de se défendre contre de telles accusations afin que le public ait confiance en l’institution. Il était donc important pour le tribunal de montrer qu’il n’était pas responsable de la fuite du document en question dans le journal.

Le jugement de la High Court du 23 octobre 2007 décide que le tribunal a le droit de poser aux journalistes des questions concernant la source qui a fourni le document maintenant détruit afin que le tribunal puisse prouver qu’il n’a pas lui-même laissé filtrer l’information. « Nous concluons », dirent les trois juges, « que le privilège du défendeur de ne pas divulguer ses sources est largement dépassé par le besoin social de préserver la confiance dans le tribunal ».

Ce que cela signifie est que le tribunal peut maintenant questionner les deux journalistes au sujet de leurs documents et de leurs sources. S’ils continuent à refuser de répondre aux questions, ils peuvent être cités à comparaître pour outrage à la cour et être déférés devant la High Court pour que celle-ci prononce la sanction adéquate. Il peut s’agir d’une peine d’amende, d’emprisonnement, ou les deux.

A l’heure où nous écrivons ces lignes, l’Irish Times pense faire appel de cette décision devant la Cour Suprême.

Conclusion et actions futures

Le jugement de 36 pages de la High Court est très critique envers la décision de l’Irish Times de défier le tribunal en détruisant la lettre objet de la fuite, une action dénoncée comme un « anathème à la règle de droit et un affront à l’ordre démocratique ». Mais le jugement met également en lumière la manière dont les tribunaux irlandais ont mis en balance la non divulgation de sources –un droit qu’ils reconnaissent- et les restrictions à ce droit telles que définies dans l’article 10.2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. La High Court liste 11 cas dans lesquels le Cour Européenne de Strasbourg a retenu le droit pour plusieurs publications de publier des informations alors que les tribunaux nationaux l’avaient refusé. Il n’est pas exclu que l’affaire de l’Irish Times rejoigne la liste.

Mise à jour février 2008

Le ministre de la justice, Brian Lenihan, a averti que si les médias ne respectent pas la vie privée suite à une décision du nouveau Médiateur de la Presse ou du Conseil de la Presse, il irait plus loin et ferait voter une loi plus stricte pour protéger la vie privée. Il a fait cet avertissement au repas formel du Conseil de la Presse le 9 janvier 2008.

Il a affirmé qu’il espérait que le vote de la nouvelle loi sur la diffamation, qui rendra les droits relatifs à la diffamation moins élevés à mettre en oeuvre et supprimera la responsabilité actuellement associée à une excuse publique d’un journal. Mais il a ajouté que « le fait est que les politiciens adeptes de la persuasion et, je suggèrerais, beaucoup de personnes hors de la politique également, sont très prudents sur le pouvoir des média et la manière dont ce pouvoir est exercé ».

Il a averti que « si les média ne montrent pas de respect envers le droit au respect de la vie privée dans son propre code de conduite, le gouvernement n’aura pas d’autre choix que d’adopter sa propre législation ».

Le président du Conseil de la Presse, le professeur Tom Mitchell, a indiqué durant le repas que les médias qui violaient le code de conduite du Conseil et manquaient de prendre des actions correctives devraient faire face et répondre des dommages à leur statut et leur crédibilité en tant que professionnels.

Le Taurillon remercie l’Association des Journalistes Européens pour l’autorisation de publier cet issu du rapport « Goodbye to freedom » et de sa mise à jour du mois de février 2008.
Illustrations :

 le drapeau de la Irlande ; source wikipedia

 le logo de l’AEJ

 le logo du rapport « Goodbye to freedom »

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