Prévu par le traité de 1957, le marché commun se devait d’être réalisé pour 1970. Or, il n’en n’est alors rien et il faudra finalement attendre encore environ vingt ans pour voir les dirigeants européens se repencher sérieusement sur le sujet : à l’occasion de la signature de l’« Acte unique », les 18 et 28 février 1986.
Un épisode important de la construction européenne que nous raconte ici Jean-Michel Gaillard (Cf. sources, en bas d’article) :
Le 28 février 1986, quelques semaines après l’adhésion de l’Espagne et du Portugal, les douze pays membres de la communauté économique européenne apposent leur signature au bas de l’Acte unique européen.
Il entrera en vigueur le 1er juillet 1987. Cet « Acte unique » prévoit la libre circulation totale des biens, des services, des capitaux et des hommes dans l’Europe des Douze. Il marque l’achèvement de l’intégration globale prévue par le Traité de Rome et la naissance d’une entité régionale homogène dans le cadre de la mondialisation.
Mais comment s’enthousiasmer pour un « Acte unique » dont on dit qu’il va permettre d’achever ce que l’on croyait déjà acquis ?
Relancer un marché unique que l’on croyait achevé
En effet, les barrières douanières et les restrictions quantitatives aux échanges (quotas d’importation) ont officiellement disparu le 1er juillet 1968... Toutes les opinions publiques croyaient donc jusque là que la libre circulation était déjà une réalité !
Il n’en n’était rien. Pour deux raisons. D’abord, sous l’effet de la crise du pétrole, la tentation protectionniste avait repris les Etats membres, chacun rusant avec les obligations souscrites en 1968. Ensuite, en matière commerciale, les obstacles aux échanges n’étaient pas seulement les droits de douane et les quotas.
Il existait aussi un maquis juridique fait de spécifications techniques, de normes diverses, de précautions sanitaires, qui donnaient à chaque Etat un arsenal de moyens propres à interdire ou à contingenter l’entrée de tel ou tel produit sur son territoire.
Ainsi, au prétexte que les brasseurs français ne fabriquaient pas la bière comme leurs collègues allemands et qu’elle était de ce fait dangereuse pour la santé, la RFA bloquait l’importation de notre production nationale. Un moyen de protéger les marques allemands de la concurrence des nôtres, en général meilleur marché.
Une priorité « delorienne »
Dès lors, pour obtenir enfin l’Europe sans frontière souhaitée par les pères fondateurs, il fallait supprimer tous ces obstacles. Le nouveau président de la Commission, Jacques Delors, appuyé par le couple Mitterrand-Kohl, en fait sa priorité, qu’il expose devant le Parlement européen le 14 janvier 1985.
Le 14 juin, il publie un livre blanc de la Commission sur « L’achèvement du marché intérieur », sorte de feuille de route indiquant aux décideurs la marche à suivre. Ce texte est approuvé par le Conseil européen de Milan des 28 et 29 juin 1985 et l’accord obtenu au Conseil de Luxembourg en décembre.
Une telle célérité, après presque vingt ans de stagnation, à de quoi surprendre. Elle résulte de la conjonction d’une série de facteurs.
Une relance enfin possible
Le premier est la jurisprudence, nourrie par la Cour de justice depuis 1979. Cette institution dont on ne parle guère joue un rôle clé dans l’élaboration du Droit communautaire. or elle opte pratiquement toujours pour une interprétation libre-échangiste et une conception très supranationale des traités. Tout produit, légalement fabriqué et commercialisé dans un Etat membre, doit être admis sans restriction chez les autres. Plutôt que de se voir sans cesse condamnés, à la demande de tel ou tel Etat, par la Cour de justice (avec les lourdes amendes afférentes), les politiques ont donc décidé de reprendre la main, et de s’exécuter.
La deuxième facteur favorable à l’instauration de l’ « Acte unique » est le retour de la croissance en Europe au milieu des années 1980. Elle permet de baisser la garde protectionniste et de considérer à nouveau le libre-échange comme bénéfique. La spirale descendante de l’inflation, la réduction des disparités entre pas dans ce domaine (notamment entre la france et l’Allemagne), la bonne tenue du système monétaire européen (conforté par la décision de la France d’y rester en 1983) permettent une harmonisationdes conditions de la concurrence.
Troisième et dernier facteur : les milieux industriels et financiers européens, conscients du processus de mondialisation en cours et de l’avantage que retirent les États-Unis de l’ampleur de leur marché intérieur, exercent un lobbying pressant pour que se mette enfin en place cet espace économique européen unifié. Ils voient en lui le moyen de faire face à la concurrence américaine.
Un marché intérieur, mais pas seulement...
L’Acte unique prévoit donc un marché intérieur unifié pour le 3 décembre 1992, par l’abrogation de toutes les entraves aux échanges. Mais, en cette période de relance politique de la construction européenne autour du couple franco-allemand et de croissance économique, le texte, joint au traité de Rome, développe aussi les politiques communes en faveur des régions, de la recherche, de l’environnement.
En outre, il étend le vote à la majorité qualifiée au Conseil (et accroît donc la logique supranationale) et donne de nouveaux droits au Parlement (avis conforme en cas d’adhésion ou d’association d’un nouveau membre). Il codifie enfin la « coopération politique », embryon d’une future politique extérieure commune.
Préalable à l’instauration d’une monnaie commune, le marché unique la rend aussi inévitable. Ainsi a-t-il ouvert la route vers l’euro.
- Sources : D’après un texte tiré de l’ouvrage de Jean-Michel Gaillard intitulé « les grands jours de l’Europe », ici pages 89 à 93 (opus cit. dans notre rubrique Bibliothèque.
Photos : médiathèque de la Commission européenne
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