Le Taurillon : Dans un récent communiqué, Europe écologie – Les Verts a demandé à l’UE mais également à la Serbie « de promouvoir les valeurs fondamentales de l’UE en refusant de céder aux pressions de la Chine et en se rendant à la remise du Prix Nobel de la Paix ». La Serbie a pourtant envisagé jusqu’au dernier moment le boycott de la cérémonie, officiellement pour maintenir de bonnes relations bilatérales avec la Chine. Que vous inspire cette attitude, de la part d’un pays qui a pour vocation de rentrer dans l’UE ?
Marie Toussaint : Cette décision de la Serbie pose la question plus générale des valeurs fondatrices de l’UE : la paix et les droits de l’homme. Tout pays exprimant le souhait de rejoindre l’UE devrait adhérer à ces valeurs en premier lieu. Cette attitude n’est donc pas celle d’un futur membre. Mais cette situation s’explique déjà mieux si l’on examine le rapport actuel de l’UE à ses valeurs. La Commission continue certes à défendre ses valeurs fondatrices dans ses relations avec les pays tiers, mais l’objectif actuel semble être de rechercher d’abord la valorisation des intérêts économiques.
Le maintien de la paix et la promotion des droits de l’Homme sont au cœur du projet européen, et la vocation de l’UE est de les diffuser en son sein mais également dans le reste du monde. La Serbie devrait les soutenir avec force et en faire sa priorité, avant d’envisager la valorisation de ses relations commerciales et diplomatiques avec la Chine. De manière générale, L’Union européenne n’est pas assez tranchée dans ses relations avec la Chine pour encourager les autres pays comme la Serbie à défendre ses valeurs.
La politique actuelle de la Commission Barroso consiste à mettre un peu de côté un certain nombre de domaines d’accords traditionnels, tels l’énergie et surtout les droits humains, afin de promouvoir le libre-échange pour faire de l’UE un acteur global. Cette exigence moindre de l’UE est en réalité motivée par une certaine crainte de voir l’UE devancée par la Chine, qui conclue de très nombreux accords économiques partout dans le monde, sans être très regardante concernant les droits humains. Une telle stratégie visant à prioriser les entreprises européennes sur les marchés extérieurs au dam des droits humains est dommageable pour l’UE, qui devrait au contraire affirmer ses exigences pour être encore plus forte sur la scène internationale.
C’est pourtant la raison d’être de l’UE de transmettre des liens entre les peuples, de montrer que c’est en travaillant ensemble qu’on peut changer le monde.
Alexis Prokopiev : Le respect de certains principes doit primer sur les questions économiques pour un pays qui veut rejoindre l’UE. Les trois principes fondateurs de l’écologie politique sont la défense de l’environnement, la solidarité et la défense des droits humains. Leur promotion est une priorité de l’UE tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières, et l’Union européenne devrait se fixer des objectifs allant plus loin que la défense de ses intérêts économiques.
La Serbie a candidaté pour rejoindre l’UE, et l’Ukraine a envisagé l’adhésion. Ces deux pays ne peuvent donc pas mettre sous cloche la question des Droits de l’Homme. L’intention serbe de boycotter la cérémonie de remise du prix Nobel au dissident Liu Xaobo est une honte et devrait constituer une épine dans son dossier d’entrée dans l’UE [ndlr : le boycott a été avorté in extremis après décision du Médiateur de la République de Serbie Sasa Jankovic de s’y rendre à titre personnel, incitant le Premier Ministre Cvetkovic à le mandater officiellement au nom du gouvernement].
Je suis pour l’entrée de la Serbie et de l’Ukraine dans l’UE, et globalement pour un élargissement aux Balkans et à la Turquie, mais il y a des critères qui doivent être respectés, et les pays candidats doivent s’aligner sur un certain nombre de principes. Ce serait un vrai problème si demain l’UE comptait parmi ses membres des pays prêts à soutenir la position de la Chine avant celle de l’UE.
La Haute Représentante européenne aux Affaires étrangères Catherine Ashton ne prévoit pas de se rendre à la cérémonie. L’UE sera représentée par ses ambassadeurs, comme l’année dernière pour la remise du Nobel à Barack Obama. Interprétez-vous cette attitude comme un aveu de faiblesse de l’UE, ou simplement comme la continuité de sa politique ?
Marie Toussaint : L’UE sera certes représentée par ses ambassadeurs, comme l’année dernière. Mais la différence c’est que Catherine Ashton n’était pas encore en poste il y a un an. Et les signes actuels montrent que l’UE ne met pas toutes ses énergies pour la paix.
Le fait que Catherine Ashton ne se rende pas à Stockholm n’est pas une preuve de faiblesse, car l’Europe reste forte sur les droits de l’Homme. C’est plutôt un signe de timidité dans ses relations avec la Chine. On pourrait expliquer le choix de la Serbie en partie par cette timidité de l’UE. La semaine dernière pour l’Assemblée parlementaire Afrique Caraïbes Pacifique (ACP)-UE, Catherine Ashton ne s’est pas déplacée pour répondre aux questions des députés. Cette fonction devait selon elle échoir au Conseil, qui estima l’inverse. Résultat des courses : personne ne s’est déplacé pour échanger avec les élus et répondre à leurs interrogations.
Dans un contexte général où l’UE s’inquiète de la reprise de sa croissance, elle accepte d’être plus faible au niveau des valeurs. Ce n’est pas en visant la liberté sur les marchés que nous allons devenir une Europe unie et forte ! Il n’y a pas d’antagonisme entre les intérêts économiques et les valeurs.
C’est d’abord en assurant la paix, les droits de l’homme et une reprise verte, en envisageant l’emploi de façon différente, que l’on peut assurer une cohésion au niveau de l’UE pour assurer un bien-être pour tous et des relations saines avec nos partenaires. La politique actuelle de la Commission n’est pas en prise avec les enjeux actuels !
Il ne faut cependant pas nier les avancées consistantes sur un certain nombre de sujets : sur le climat, le travail, des demandes plus fortes ont été formulées.
Pour Daniel Cohn-Bendit, l’UE doit affirmer ses valeurs face à la Chine, au risque de nuire aux relations entre l’UE, ses membres et la Chine. L’UE partage-t-elle selon vous des valeurs fondamentales qui méritent d’être défendues fortement sur la scène internationale ? Les droits fondamentaux en font bien entendu partie, on a aussi parlé de « racines chrétiennes »… Qu’en est-il selon vous ?
Alexis Prokopiev : Parmi les principes que défendent les Jeunes-Verts pour l’UE, on peut mentionner notamment la liberté de la presse, la liberté de circulation à laquelle nous attachons une importance particulière, la liberté d’expression, les droits fondamentaux bien sur, les libertés syndicales et le pluralisme démocratique.
Marie Toussaint : L’UE a été créée au départ pour la paix, la cohésion entre les peuples, et le respect des droits fondamentaux. Pour parler d’un exemple que je connais bien, les verts sont structurés comme un vrai parti européen et retrouvent dans chaque parti écologiste ces trois valeurs commues. Peut-être est-il plus facile de s’allier avec des proches, mais quand on est d’accord sur un projet global, l’origine de chacun influe peu. Quelles que soient les différences et points communs, ceux-ci sont toujours les plus nombreux, alors que celles-là nous enrichissent et sont l’occasion de rire ensemble.
En Biélorussie, l’élection présidentielle aura lieu le 19 décembre prochain. Ce pays est souvent qualifié de « dernière dictature d’Europe », et Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 15 ans, devrait être réélu. Depuis plusieurs années, les Jeunes européens fédéralistes (JEF) font campagne partout en Europe pour que s’y tiennent des élections démocratiques... Que pensez-vous de cette action ?
Alexis Prokopiev : La Biélorussie est la pire dictature d’Europe, mais peut-être pas la seule. Si on veut que la vie des Biélorusses change, l’UE doit exercer une pression tout en engageant le dialogue. Avec la Serbie, l’Ukraine, La Biélorussie aurait aussi vocation à rentrer dans l’UE. Les Jeunes Verts se sont d’ailleurs toujours opposés à la chape de plomb de la dictature de Loukachenko. Nous avons des liens forts avec les Verts biélorusses, beaucoup de contacts avec eux. Nous essayons de les aider, de les former pour qu’ils puissent mener des campagnes…
Les relations entre la Russie et Loukachenko sont très mauvaises, amenant ce dernier à revoir ses positions. Ce n’est pas pour autant que le régime s’assouplit ! Il y a toujours des prisonniers politiques, de la censure à la télévision, l’absence de liberté de la presse, un semblant d’élections libres : il est évident que la campagne est verrouillée par Loukachenko, et les résultats seront falsifiés de toute façon. Loukachenko n’en aurait pourtant même pas besoin : la machine Loukachenko fonctionne bien et il sera probablement réélu sans problème.
Par ailleurs, ce qui est gênant et extrêmement critiquable, c’est l’apparente intention de Loukachenko de multiplier les accords avec de nombreux pays non démocratiques depuis un certain éloignement avec la Chine. Ainsi Cuba, l’Iran, la Corée du Nord… Au niveau de l’armement la Biélorussie dispose par ailleurs d’un savoir-faire assez dangereux. Il faut profiter de la période actuelle pour sortir la Biélorussie de ses alliances avec des dictatures.
Concernant la Biélorussie, L’UE fait preuve d’une attitude ambigüe, encourageant l’évolution vers plus de démocratie, mais prenant des sanctions qui condamnent le non respect des droits fondamentaux. Quelle devrait être selon vous la politique de l’UE vis-à-vis de la Biélorussie ? Condamner plus fermement la situation mais laisser le pays sombrer ? Négocier ses exigences pour encourager le régime à changer ?
Alexis Prokopiev : La période actuelle devrait être l’opportunité d’inciter la Biélorussie à faire des efforts pour se rapprocher de l’UE : Loukachenko s’est brouillé avec Poutine. Sans diminuer la pression sur son régime et les critiques de la censure et du non respect des droits fondamentaux, il faut avoir un dialogue avec Loukachenko.
Des ONG internationales doivent pouvoir s’installer et travailler normalement, de même pour les instituts démocratiques. Les droits syndicaux soient défendus, par plusieurs syndicats indépendants du régime. L’UE pourrait ainsi juger selon les faits et ce que rapporteront les ONG internationales indépendantes. On pourrait proposer un calendrier sur 5 ans s’il y a progression. Loukachenko veut se rapprocher de l’UE : il ne faut pas diminuer la pression mais créer un dialogue.
Concernant la liberté de circulation : la première question, lorsqu’on parle de la Biélorussie, c’est de savoir comment l’Europe pourrait tenter de transformer une dictature en démocratie. La liberté de circulation est un principe fondamental de la construction européenne, notamment dans la perspective d’encourager l’avènement d’une démocratie. Une telle opportunité s’est présentée en 2005 avec l’Ukraine, qui avait aboli les visas pour les citoyens de l’UE. La grave erreur de l’UE fut de ne pas prendre la même décision à l’égard des citoyens ukrainiens.
L’abolition des visas de manière bilatérale, ce que l’UE na pas fait, aurait peut-être empêché le retour de Ajrd Yanoukovitch au pouvoir aujourd’hui. Les citoyens ukrainiens ont vécu cette absence de réponse européenne comme une trahison. Aujourd’hui Yanukovich est presque aussi peu démocratique que poutine.
Le Taurillon : Enfin, quel est selon vous le rôle de valeurs communes pour l’Union européenne ?
Marie Toussaint : C’est en portant haut et fort ses valeurs, en les assumant et en les respectant, que l’UE peut jouer un rôle sur la scène globale. Il reste encore beaucoup à faire pour que ces valeurs soient respectées non seulement dans les pays tiers mais aussi au sein de l’UE, dans les pays de l’Est mais également dans des pays comme la France, avec récemment la question de l’expulsion des Roms. Il y a encore du travail !
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