Le Taurillon : Après l’échec de Copenhague il y a un an, le Sommet de Cancún n’enthousiasme pas vraiment. Y a-t-il des raisons d’espérer ?
Yann Wehrling : Nous verrons bien ce qui en sortira ce 10 décembre. Mais dans cette période de crise économique, les esprits semblent bien peu mobilisés sur les affaires climatiques. Cancun s’en tiendra au strict minimum, j’en ai bien peur.
Les pays de l’UE se sont distingués il y a un an par leur ambition pour l’environnement, mais aussi par leur incapacité à s’entendre et peser sur les négociations face aux deux premiers pollueurs, Chine et États-Unis. Ce scénario ne risque-t-il pas de se reproduire ?
Yann Wehrling : Incontestablement, sur toutes les discussions internationales - et pas seulement sur le climat - pour peser face à ces deux États-continent que sont les États Unis et la Chine (et de plus en plus le Brésil et l’Inde), il faut être à niveau, à savoir arriver aux tables des discussions en étant nous aussi un « État-continent ». Quant aux ambitions européennes, sans vouloir les minimiser car elles demeurent les plus exemplaires au niveau de la planète, il n’en demeure pas moins que beaucoup de nos consommations sont des produits chinois qui, pour être fabriqués, ont nécessité une énergie d’origine fossile et donc des émissions de CO2 en masse.
Autrement dit, nous sommes certes les plus vertueux, mais beaucoup de nos émissions de CO2 ont été délocalisées en Chine. Ceci ne fait que renforcer deux idées : la première c’est qu’il faut continuer à raisonner à l’échelle planétaire car notre économie, source des émissions de CO2 est mondialisée. Deuxième idée, à défaut d’un accord généralisé de réduction des émissions entre tous les États, nous ne pouvons évacuer l’idée que les exportations des pays non signataires d’un accord de réduction fassent l’objet d’une taxe carbone à l’entrée des pays qui appliquent les accords.
Que pensez-vous de la résolution commune du Parlement européen proposant une voie de négociation pour Cancún, adoptée à quelques voix près seulement le 25 novembre à Strasbourg ?
Yann Wehrling : Cette résolution est un signal positif dont le Parlement européen est plus facilement porteur que les États membres. Le fait qu’elle a été adoptée de justesse et surtout que la Commission ne l’a pas reprise à son compte, montre, cela dit, que rien n’est gagné en matière de prise de conscience, y compris en Europe. Rien n’est gagné car le fond du problème est difficilement abordé aujourd’hui. Ce fond, c’est le considérant économique.
Pour être plus clair, je ne crois pas - n’en déplaise à certains - qu’on puisse espérer que des pays s’engagent dans des réductions d’émissions si ceci devait réduire d’une manière ou d’une autre leur développement économique. Les réticences à avancer sont là. États Unis et Chine hésitent à s’avancer sur un terrain qui pourrait freiner leur développement économique. Dès lors, au delà des systèmes de quotas d’émissions qu’il faut évidemment poursuivre, le fossile qui fait tourner notre économie doit progressivement et plus rapidement encore trouver d’autres sources d’énergie ou réduire par l’efficacité énergétique ses besoins. Il s’agit là d’une course contre la montre, technologique avant tout. Investir dans les solutions énergétiques de remplacement (à l’état de recherche ou de développement industriel) ne sera donc durablement jamais un mauvais choix économique.
Que penser du rejet par les pays africains d’une déclaration commune avec l’Union européenne sur le changement climatique ?
Yann Wehrling : Encore une fois, au delà du sujet « climat », l’amorce d’un dialogue multilatéral voulu par l’Europe, cherchant d’autres interlocuteurs que Chine et États-Unis, est nécessaire, souhaitable, indispensable. L’enjeu est d’arriver à faire vivre d’autres points de vue, d’autres intérêts que ceux des États-Unis d’une part et de la Chine d’autre part.
Quelle est pour vous la première urgence environnementale devant faire l’objet d’un point d’accord international ?
Yann Wehrling : Ce sur quoi les États semblent le plus près d’arriver à un accord est la sauvegarde des forêts qui sont de grands capteurs de CO2 et dont la destruction, à l’inverse, accentue le taux de CO2 concentré dans l’atmosphère. La sauvegarde des forêts a un effet positif supplémentaire, notamment dans les pays tropicaux, puisque cela répond aussi aux objectifs présentés au sommet de Nagoya sur la biodiversité.
Le Taurillon : Auriez-vous une suggestion pour améliorer l’implication des responsables politiques sur cette question ?
Yann Wehrling : J’ajouterais deux éléments. Le premier est la question de la gouvernance mondiale sur les enjeux environnementaux planétaires. Je crois d’abord que la méthode de négociation au consensus s’essouffle. Le consensus aboutit trop souvent au plus petit dénominateur commun. Or, de manière très créative et souple, il faut faciliter, sur des objectifs généraux communs, les coopérations ponctuelles à quelques pays pour avancer sur telles ou telles solutions... laissant la porte plus grande ouverte aux expérimentations et aux effets « boule de neige » sur ce qui marche vraiment.
Il y a ensuite « le suivi » des choses. Les décideurs politiques, représentants des citoyens qui les ont élus, doivent suivre plus attentivement et de manière plus permanente les avancées et les mises en œuvre. Il s’agit à la fois d’éviter les rendez-vous espacés entre lesquels les politiques se désaisissent trop des sujets et les redécouvrent avec étonnement plus tard, et de veiller à ce que les opinions publiques mondiales se sentent moins éloignées de ces niveaux de décisions. Les médias ont à ce titre un rôle éminent à jouer pour que soient connus et suivis les travaux des instances internationales chargées de mettre en œuvre les décisions issues des grandes conventions.
Dernier point : la question de la responsabilité. J’ai récemment entendu le plaidoyer du Président des îles Maldives qui m’a fortement touché. Le changement climatique ce n’est pas une affaire aux effets supportables comme beaucoup pourraient le penser avec quelques précipitations en plus ou des périodes plus sèches. C’est aussi des pays entiers qui peuvent être rayés de la carte du fait de la montée des océans, c’est à dire des peuples, des cultures, des Histoires qui sont englouties.
L’inaction de la communauté internationale, ou son manque de diligence pose la question de sa responsabilité face à toutes celles et ceux qui en seront victime. A n’en pas douter, des États, des peuples, des victimes futures pourraient un jour vouloir demander des comptes. Il y a là une question de droit et, comme d’autres, je crois à l’idée et la nécessité d’un Tribunal international pour le climat et la planète.
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