Un homme d’exception
A 56 ans, Gordon Brown a d’ores et déjà décroché un record : celui du plus long mandat ininterrompu de Chancelier de l’Echiquier (ministre des finances) de l’histoire britannique. Et c’est probablement un cas rare parmi les pays développés.
Depuis le début de son mandat, il y a 10 ans quasiment jour pour jour, il a eu l’occasion d’être face à 10 ministres de l’économie français différents ! Avec Jean-Claude Juncker, ce sont les deux « anciens » du conseil des ministres de l’économie de l’UE (écofin). Or, ceci n’est pas anecdotique car, lorsque l’un ou l’autre s’exprime, leur avis pèse infiniment plus que celui d’un Jean-Claude Sautter, d’un Hervé Gaymard, d’un Jean-Louis Borloo, voire d’un Nicolas Sarkozy... pour citer les recordmen du passage-éclair aux finances françaises.
Il faut dire aussi qu’il a fait l’économie « par la preuve », d’une manière bien moins libérale que ce qui est souvent dit de ce côté-ci de la Manche. En 10 ans, le taux de chômage a baissé de 3 points alors que le taux d’emploi atteint aujourd’hui 75%, contre 63% en France. La croissance annuelle moyenne a été de 3%. L’inflation, pourtant, est restée à un niveau raisonnable, équivalente à celle de la moyenne de la zone euro. Quant aux progrès sur le plan social, on peut citer :
– l’instauration d’un salaire minimum,
– les investissements massifs dans les infrastructures publiques (santé, éducation et transport)
– et l’embauche de 600 000 nouveaux fonctionnaires pour s’occuper de celles-ci.
Bien entendu tout n’est pas rose, loin de là... L’idée n’est pas de dire ici que tout ce qu’il a fait est formidable... Il est juste nécessaire de connaître ses états de services pour comprendre qu’il sera un héraut du libéralisme plutôt convaincant. A ceux qui se considèrent comme anti-libéral : il sera certainement un adversaire redoutable... Même s’il est loin d’être ultralibéral comme son action le prouve amplement, il reste un promoteur convaincu de l’économie de marché.
Un boulet pour l’Europe ?
Il est tout d’abord important de dire une chose sur son caractère : il n’est pas un homme d’idéologie. A part au sujet du libéralisme, et encore... Alors que Blair était idéologiquement pro-européen, Brown n’est pas idéologiquement eurosceptique. En revanche lorsqu’il considère qu’une avancée ne va pas clairement dans le sens de l’intérêt de son pays, il n’hésite pas à s’opposer aux projets de l’UE.
C’est ainsi lui qui a torpillé la volonté de Blair de faire campagne pour que le Royaume-Uni adopte l’euro. Il a considéré à ce moment que ce n’était pas dans l’intérêt de l’économie... Peut-être que d’ailleurs, du point de vu strictement économique, il a eu raison : la zone euro a traversée une période noire alors que le Royaume-Uni prospérait... De plus, il craignait que cela nuise à son arrivée prévue au pouvoir.
Avec le départ de Tony Blair, il est vrai que nous perdons un euro-enthousiaste sincère. En même temps, Blair a aussi été busho-enthousiaste... Son successeur, lui, n’est pas plus convaincu par l’atlantisme qu’il ne l’est par l’européanisme. Il n’avait d’ailleurs soutenu Tony Blair que du bout des lèvres au sujet de la guerre d’Irak, pour ne pas le laisser tomber.
Il sera nécessaire de garder l’oeil sur le nouveau premier ministre, car il se peut qu’ils mettent encore à l’avenir des bâtons dans les roues de la construction européenne. C’est d’ailleurs lui qui, le week-end dernier, au cours du sommet, a fait pression sur Tony Blair pour le pousser à négocier des traitements de faveurs pour le Royaume-Uni.
On peut de plus espérer que la situation devienne telle que l’Angleterre ait « intérêt » au renforcement de l’UE... Qui sait ? Peut-être que si l’économie de la zone euro poursuit sa tendance actuelle – croissance en hausse et baisse du chômage - alors le nouveau prime minister pourrait revoir son jugement...
Mais, ce qui aurait un effet radicalement positif, ce serait que la population britannique elle-même devienne plus européenne, car alors les dirigeants suivraient tout naturellement...
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