Sont mis en cause l’indemnité de transfert demandé par son club alors que son contrat touchait à son terme, et l’existence d’un quota restreignant le nombre de joueurs ressortissants de l’Union européenne à trois par clubs. Le 15 décembre 1995, la CJCE se prononce en faveur du Belge, et prend une décision qui va marquer un tournant pour l’ensemble des championnats de football européen : l’arrêt Bosman. Désormais, les joueurs retrouvent leur liberté dès la fin de leur contrat, et les clubs européens ne sont plus restreint par des quotas pour ce qui est du nombre de joueurs étrangers ressortissants de l’Union Européenne dans leur effectif. En effet, la CJCE estime que le règlement interne à l’UEFA est contraire à l’article 48 du Traité de Rome sur la libre circulation des travailleurs entre Etats membres.
Branles-bas de combat pour le début de la saison 1996-1997 et nouvelle concurrence sur le marché des transferts ; désormais, les plus puissants clubs européens peuvent faire leurs courses de manière débridée, et tenter de se construire le meilleur onze d’Europe.
Ainsi commence les périodes de suprématie de certaines grandes écuries européenne, comme celle des Galactiques madrilènes de 2000 à 2006.
Avec le début de l’édition 2013-2014 de la Ligue des Champions et ses beaux duels qui s’annoncent, c’est l’occasion d’analyser les effets éventuels de l’arrêt Bosman sur le paysage footballistique européen. Aujourd’hui, ne nous mentons pas, le futur vainqueur de la C1 est déjà plus ou moins connu ; ce sera probablement l’un des demi-finaliste de l’année dernière, parmi le FC Barcelone, le Real Madrid, le Bayern Munich ou le Borussia Dortmund. Malgré le ratage britannique lors de l’édition précédente, aucune formation n’arrivant à passer les huitièmes de final, on peut aussi sérieusement envisager un scénario à la conclusion victorieuse pour un des quatre club anglais engagé, comme Manchester City, au bel effectif, ou le Chelsea de José Mourinho, bien décidé à retoucher la coupe aux grandes oreilles.
Eventuellement, de nouvelles équipes, comme le Paris Saint-Germain, ou des équipes revitalisées comme la Juventus de Turin, pourront prétendre logiquement à un rôle d’opposant dangereux.
Mais qu’en est-il des clubs plus modestes financièrement, comme l’Olympiakos, l’Ajax ou le FC Bâle ? Ils joueront crânement leurs chances, mais le réalisme nous oblige à penser qu’ils n’iront pas bien loin.
Depuis 1996, toutes les éditions de la Ligue des Champions ont été remportées soit par l’un des clubs cités précédemment, soit par le Milan AC, l’Inter Milan, ou le FC Porto. Les équipes milanaises affrontent une mauvaise passe ces derniers temps, et Porto reste efficace dans le rôle de l’équipe difficile à battre mais rarement championne. Le constat est là : ce sont toujours les mêmes qui gagnent. L’arrêt Bosman aurait-il déséquilibré les coupes européennes ? On peut le défendre.
En autorisant la libre-circulation des joueurs étrangers ressortissant de l’UE, il a aussi révolutionné le marché des transfert, et a fait rentrer les clubs dans une logique de marché où les sommes déversées augmentent chaque année de manière exponentielle. Le cas de Gareth Bale, le Gallois transféré tout récemment pour un peu moins de 100 millions d’euros vers la citadelle madrilène, où il rejoindra un second joueur, Cristiano Ronaldo, acheté pour environ 94 millions d’euros en 2009, est significatif de ce changement. Autre exemple, depuis son arrivée à Chelsea en 2003 en tant que président, le Russe Roman Abramovitch a dépensé plus de 2 milliards d’euros. A titre comparatif, le FC Bâle s’appuie sur un budget de 43 millions d’euros pour l’année 2013.
Au delà de l’aspect financier et du fossé qui se crée de plus en plus entre les différents clubs européens, l’arrêt Bosman entraine aussi un ensemble de conséquences par rapport au monde du football amateur. En effet, être capable de recruter sans contrainte quantitative des joueurs ressortissant de l’UE peut avoir un effet dévastateur sur les générations de jeunes issues des centres de formation. Le temps où les clubs comptait avant tout sur ces derniers pour se constituer une équipe compétitive semble souvent révolue. Prenons le cas anglais, par exemple. Aujourd’hui, en Angleterre, la Premier League est en tête du classement UEFA des championnats européens (ce qui lui permet d’envoyer chaque année jusqu’à quatre clubs en ligue des champions). Pourquoi ? Tout simplement parce que c’est le championnat qui regroupe le plus grand nombre d’équipes avec des effectifs compétitifs sur la scène internationale. C’est le championnat du spectacle, du physique et des beaux buts. Miracle anglais ? Certainement pas. Lors de son match de ligue des champions contre le Viktoria Plzen, Manchester City n’a aligné sur le terrain qu’un seul joueur anglais, Joe Hart, son gardien.
L’équipe d’Angleterre, elle, enchaîne les résultats médiocres depuis quelques années, et n’arrive plus à se créer une génération dorée. Théo Walcott n’a jamais explosé, et hormis peut-être Welbeck, Phil Jones ou Chamberlain, rien n’excite particulièrement le paysage footballistique de sa majesté. La faute à un championnat au niveau trop élevé, où les jeunes joueurs n’arrivent pas bien à percer. En France ou en Espagne, où le championnat évolue à deux vitesses avec deux équipes monstres et les autres derrière, la situation n’est pas la même. Les espagnols comptent beaucoup sur leurs centres de formation, on pense à la Masia barcelonaise, et bénéficie des effets positifs de leur âge d’or avec la sélection nationale. Les petits futbalistas ont effectivement bien plus de chance de commencer à jouer au ballon dans un pays qui impose son style sur les terrains du monde entier par rapport aux petits anglais qui n’ont pas vu leur sélection gagner un seul titre depuis la Coupe du Monde au scénario litigieux de 1966.
En France, le championnat est longtemps resté à l’écart de la Premier League, du Calcio italien ou de la Liga espagnole, privé d’investissements suffisamment important pour créer un onze de stars. Résultat, les centres de formations rennais, lyonnais, sochalien ou monégasque par exemple sont restés très dynamiques ces dernières années.
Certain championnat, eux, ne sont pas concernés par l’arrêt Bosman et continuent une politique protectionniste pour leurs jeunes joueurs. C’est le cas de la Super Lig turque, qui contraint ses clubs à signer seulement 10 joueurs étrangers, à en mettre 8 sur la feuille de match et à en aligner 6 sur le terrain maximum. L’équipe du Galatasaray, par exemple, qui joue la Ligue des champions chaque année et dont l’effectif se renforce de plus en plus, ne peut faire évoluer toutes ses recrues étrangères ensemble sur le terrain lors du championnat, et ne peut donc exploiter au mieux son collectif lors des rencontres européennes.
Néanmoins, l’amateur de football, avec son attachement aux valeurs de formations ou de fidélité au maillot, rend son amour du spectacle paradoxal. La Premier League reste le championnat le plus suivit au monde, et nombreux sont ceux heureux de voir le PSG ou l’AS Monaco avoir changé de dimension. Aujourd’hui, pourtant, les grandes équipes européennes n’ont pour identité nationale que la ville qu’elles représentent.
La concurrence au sein des championnats nationaux, elle, a été sacrifié sur l’autel de la libre circulation des footballeurs, un peu à l’image du clivage qui existe entre les grandes multinationales et les petites PME. Enfin, demandons nous si, finalement, l’arrêt Bosman n’est pas une des origines de la tension qui existe aujourd’hui entre le monde du football et l’opinion publique. Les transferts aux montants excessivement élevés, les joueurs mercenaires qui signent dans un club après avoir longtemps joué pour son rival (chose impensable à l’époque où clubs et identité sociale étaient intimement liés), les ultras qui ne savent plus pour qui ou pourquoi chanter, et le sentiment terrible de se dire qu’aujourd’hui, les riches investisseurs étrangers s’achètent une place dans l’histoire sportive à coups de chéquiers.
Mais prenons garde de tenir pour responsable l’ouverture des possibles plutôt que les acteurs concernés. Spectateurs, investisseurs, agents, joueurs et entraineurs ont chacun leurs responsabilités. Les uns payent pour du spectacle, les autres veulent gagner de l’argent ou des trophées. Chacun cherche une fierté ; celle d’avoir pris partis pour ceux qui ont gagné, ou celle d’inscrire son nom dans la postérité. Les ultras, qui assument à eux seuls le travail de protection des identités, sont peut être les seuls à ne plus savoir où regarder.
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