« Europe à l’Ecole » ou la bataille pour la démocratie (I)

Programme mené par les Jeunes Européens - France

, par Florence Auriol

« Europe à l'Ecole » ou la bataille pour la démocratie (I)

Alors que nous sommes dans les dernières semaines des cours au collège, le Taurillon se penche sur les initiatives qui tentent à faire rentrer l’Europe à l’école. Dans ce cadre, notre magazine donne la parole à Florence Auriol, ancienne responsable du programme phare des Jeunes Européens - France : « Europe à l’Ecole ». Voici la première partie de sa tribune.

L’Irlande a rejeté le Traité de Lisbonne par référendum le 12 juin dernier. Ce vote survient après que la France et les Pays-Bas aient dis « non » au Traité Constitutionnel Européen en 2005. Pour les uns, il s’agit d’un manque de communication autour du texte. Celui-ci n’aurait tout simplement pas été bien expliqué aux citoyens (sous-entendant bien évidemment que ces derniers ne disposent pas des compétences adéquates pour effectuer une lecture personnelle du Traité en particulier, et des évènements politiques européens en général).

On ne peut bien évidemment pas aller à l’encontre de cet argument dont certains des fondements sont avérés. Mais l’utiliser comme grille d’analyse et comme présupposé à toute réflexion me paraît bien dangereux. Il ne constituerait au mieux qu’une raison parmi d’autres. L’élement ne doit pas se substituer au tout et cacher d’autres explications, peut-être plus dérangeantes certes, mais permettant d’appréhender sans doute davantage ces votes.

N’oublions pas que les nonistes français scandaient en 2005 qu’ils rejetaient « moins le texte que le contexte ». Cette phrase mérite bien plus qu’un revers de main dédaigneux. Quel est ce fameux contexte ? Nous pourrions rentrer dans les détails mais ce n’est pas ici le sujet. Aussi, me bornerai-je à dégager un élément me paraissant fondamental : le déficit démocratique.

Ce n’est pas nouveau me direz-vous ! Et vous auriez raison ! A l’exception que celui-ci n’est lu par les élites que comme un problème institutionnel, autrement dit un simple problème technique, alors qu’il s’agit avant tout de la place que les élites accordent aux citoyens dans la mise en place de ces institutions. C’est de la perception de la démocratie que va découler son efficacité.

Au regard de ce que semblent être ses conceptions démocratiques, nous pouvons ainsi nous demander si notre élite n’userait tout simplement pas d’une parade vieille comme le monde : dire ce qui ne va pas pour mieux se déresponsabiliser et ne pas être inquiété en cas d’inaction. Dès lors, elle peut se cacher derrière la complexité du problème pour justifier la lenteur ou l’absence totale de prises de décisions. Ce qui lui est d’autant plus facile qu’elle dispose du capital culturel ! Mais qui dit capital culturel ne dit pas forcément bon sens et intelligence, et ne fonde pas la légitimité d’un propos. La culture n’est qu’un instrument à qui l’on peut faire dire tout ce que l’on veut, ou presque.

A ce titre, Czeslaw Milosz dans La pensée captive (1954) nous livre une analyse très fine des logocraties populaires à partir du cas de la Pologne communiste (qui pourrait étrangement se rapporter notamment à notre démocratie européenne !). Au sujet des meetings des propagandistes, il nous dit : « Ce n’est pas que chaque théoricien soit intelligent ou bien entraîné ; mais les thèses qu’il avance sont enrichies de la pensée accumulée des maîtres et de leurs commentateurs. Si chaque phrase qu’il prononce est ferme et efficace, cela n’est pas dû à ses propres mérites, mais à ceux des livres qu’il a étudiés. Ceux qui l’écoutent sont sans défense. Ils pourraient, cela est vrai, recourir à des arguments tirés d’observations faites dans la vie, mais ce serait peu indiqué ».

La culture n’est qu’un instrument à qui l’on peut faire dire tout ce que l’on veut

Et si les nonistes, qu’ils soient français, néerlandais ou irlandais, outre leur insuffisance ou abscence de capital culturel, avaient du bon sens et ne faisaient que mettre en exergue le problème démocratique ? Combien ont le sentiment que l’Europe se fait sans eux ? (Je dis bien « sans eux » et pas « contre eux » car ce dernier sentiment peut émerger dans le cadre national sans pour autant que les citoyens ne remettent en cause celui-ci.) Le vrai problème ne résiderait-il pas dans un sentiment d’impuissance de la part des citoyens, dont les préoccupations et décisions ne seraient pas assez pris en compte ?

A vrai dire, le processus de construction européenne depuis 2005 tenterait à accréditer la fameuse petite phrase : « Dans une dictature, c’est « ferme ta gueule ! », et dans une démocratie c’est « cause toujours ! » » ! Car en effet, malgré le rejet des Français et Néerlandais du Traité Constitutionnel Européen en 2005, celui-ci est tout de même repassé sous la forme du Traité de Lisbonne. Et nous savons tous que malgré le « non » irlandais à ce dernier, il finira par s’appliquer d’une manière ou d’une autre. Par nécessité nous dit-on ! A quoi bon alors demander l’avis des citoyens puisque les élites ont mieux compris ce qui est bien pour eux ?!

Sans doute n’est-ce pas le manque de capital culturel des électeurs qui les rend perméables aux discours nationalistes (dans son sens large) mais l’indifférence de la technocratie européenne à leur égard ! C’est un processus qui s’opère, à vrai dire, dès que les uns se sentent exclus et impuissants face aux changements bouleversant le monde. Lorsque ces derniers portent la marque de l’ « Autre », il n’est en effet pas surprenant de voir certaines personnes brandir les symboles de l’archaïsme pour affirmer leur différence. Lorsqu’elle est perçue comme un cheval de Troie d’une autre culture, les changements peuvent devenir suspects. Dès lors, les individus se replient sur leur communauté qu’elle soit ethnique, religieuse (à l’image de ce que l’on appelle les « islamistes radicaux »), nationale (comme c’est le cas pour certains nonistes), etc.

De la même manière et comme nous le dit si bien Amin Maalouf dans Les identités meurtrières, « En France, depuis quelques années, j’observe chez quelques uns de mes amis les plus proches une certaine tendance à parler de la mondialisation comme d’un fléau. Ils s’émerveillent moins à l’évocation du "village planétaire", ils ne se passionnent que modérément pour l’Internet et les derniers progrès en matière de communications. C’est que la mondialisation apparaît aujourd’hui à leurs yeux synonyme d’américanisation ; ils se demandent quelle place aura demain la France dans ce monde en voie d’uniformisation accélérée, que vont devenir sa langue, sa culture, son prestige, son rayonnement, son mode de vie ; ils s’irritent lorsqu’un fastfood s’installe dans leur quartier, pestent contre Hollywood, CNN, Disney et Microsoft, et pourchassent dans les journaux la moindre tournure suspecte d’anglicisme. »

Nous pourrions avancer davantage d’exemples mais mon souhait n’est pas ici de vous présenter un annuaire. Il s’agit bien plus de comprendre le mécanisme conduisant au repli sur soi, sur sa communauté jugée d’appartenance ; un mécanisme qui, vous l’aurez compris, ne fait que réagir à un comportement d’indifférence, si ce n’est de mépris, de la part, non seulement des technocrates européens, mais également d’une partie de l’élite culturelle de nos démocraties respectives.

...les uns se sentent exclus et impuissants face aux changements bouleversant le monde

Quelle aurait été le résultat du vote si le sentiment d’être réellement intégré au processus de construction européenne avait été là ? Ni moi, ni personne ne peut bien entendu affirmer avec certitude que l’issue aurait été différente. Mais qui peut dire à l’inverse que le texte, quand bien même renfermant les mêmes élements, aurait été rejeté s’il avait été élaboré et présenté différemment ?

Au-delà de ce vote qu’il soit positif ou négatif, cette exigence démocratique est primordiale et indispensable si l’on se donne pour objectif l’Europe des peuples. Finalement, nous devons nous interroger sur le vrai but de notre démocratie, quelle soit française ou européenne. Souhaite-t-on construire une démocratie par les élites (ce qui revient à légitimer une démocratie aristocratique) ou désirons-nous construire une véritable démocratie où les élites sont avant tout le relais des citoyens sachant mettre en forme leurs aspirations ?

Quiconque se revendique favorable au projet démocratique se doit d’analyser minutieusement la question, sans avoir peur de remettre en cause ses présupposés positifs ou négatifs qu’il a envers lui-même et envers les autres.

Illustration :
 logo du programme Europe à l’Ecole.
 photographie de Florence Auriol.

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