« Le jour viendra où un seul État englobera toutes les nations... De nos jours, plus aucun État n’est le maître absolu de la valeur de sa devise, de son armée, de l’orientation de sa politique extérieure. Dans ces matières et dans d’autres, comme c’est le cas de l’économie, on observe chaque jour davantage que ces aspects échappent peu à peu au domaine de la compétence étatique pour devenir des fonctions d’organismes plus vastes. […] Ces mots sont destinés aux jeunes Basques. Ce sont eux que nous prenons pour témoins de ce qui se produira, en les avertissant que beaucoup dépendra d’eux-mêmes et des jeunes Européens » (Javier de Landaburu. 1956).
Les indépendantistes en tête
Ce dimanche 21 octobre avaient lieu les élections au parlement de la communauté autonome basque. Elections extrêmement importantes au plan local puisque plus de 90% des impôts collectés au Pays basque sont gérés sur place, la communauté disposant par exemple d’une compétence exclusive dans les domaines de la santé, du développement économique, de l’enseignement, des transports…
Le Parti nationaliste basque (EAJ-PNV), d’inspiration démocrate-chrétienne, remporte 34% des suffrages et 27 sièges. Il est suivi par la coalition de gauche indépendantiste Bildu (21 sièges). Le Parti socialiste espagnol et les conservateurs du parti populaire sont largement distancés, n’obtenant que 16 et 10 sièges.
Des partis indépendantistes pro-européens et pacifistes
Rattaché au sein du Parlement européen au groupe ALDE, le PNV a affirmé depuis ses origines son attachement au fédéralisme européen, revendiqué dès l’époque de Franco par de nombreux intellectuels (Landaburru, Aguirre…). Depuis la fin de la dictature, l’Europe est devenue un élément central du discours politique du parti, autour notamment de la création d‘une eurorégion basque par-delà les frontières actuelles, en lien direct avec l’Europe [1]. Ce succès témoigne donc de l’attachement d’une large part de la société basque à l’idée européenne.
Alors que l’Europe vient de se voir décerner le Prix nobel de la paix, le score de Bildu prend quant à lui une résonance bien différente. Depuis maintenant une dizaine d’années, la gauche radicale basque a en effet acté le choix d’une autonomisation par rapport l’ETA, puis d’une pression pour faire cesser la lutte armée qui minait depuis des dizaines d’années la société basque. En 2011, ETA a définitivement renoncé à la violence.
La gauche indépendantiste a eu le bon sens de poursuivre ce processus de pacification jusqu’à son terme, cela alors que le gouvernement espagnol, désireux de remporter une victoire par l’unique voie de la lutte antiterroriste, refusait toute concession (conditions de détention des prisonniers d’ETA, censure répétée des listes aux élections municipales et « régionales » par la cour suprême espagnole…). Bildu récolte aujourd’hui les fruits de cette politique, en obtenant un score jamais approché par la gauche indépendantiste à l’époque d’ETA.
Quoi que l’on pense par ailleurs des idées de la gauche anticapitaliste basque, on ne peut que se féliciter du fait que cette mouvance ait, malheureusement bien tard, fait preuve de maturité pour mettre fin à l’un des derniers conflits d’Europe. Il est également rassurant de voir que cette évolution de la violence de rue vers le combat électoral a été soutenue par les électeurs : le décollage dans les urnes démontre a posteriori combien la violence d’ETA aura été contre-productive pour les idées mêmes que l’organisation voulait porter.
Du point de vue européen, on peut donc se réjouir du résultat de ces élections. Reste désormais au gouvernement espagnol à accepter les nouveaux transferts de compétences demandés depuis longtemps par la société basque, aussi bien vers l‘échelon local que supra-étatique. A l’image notamment du processus en cours en Ecosse, et en application des principes de subsidiarité et d’autonomie prônés par les fédéralistes.
1. Le 22 octobre 2012 à 14:18, par Araceli En réponse à : Elections au Pays basque : une victoire pour l’Europe ?
Je ne vois pas en quoi la victoire de partis s’appuyant sur une vision (quasi) ethnique du « peuple basque » serait une victoire pour l’Europe. Ce discours fédéraliste de façade est tellement classique chez les « micro-nationalistes », comme le dit Verhofstadt, que je ne comprends pas comment il peut encore inspirer de la sympathie chez les militants proeuropéens. Tout nationalisme est par nature opposé à un vrai fédéralisme, Bildu et le PNV n’y font pas exception.
Soit dit en passant, l’on ne peut pas sérieusement affirmer que Bildu ait poursuivi le « processus de pacification jusqu’à son terme ». Ce serait le cas si au moins l’un de leurs dirigeants avait dénoncé les meurtres commis par l’ETA, ne serait-ce que depuis la transition et l’autonomisation progressive du Pays basque. Pour l’instant, Bildu est censé s’être « désolidarisé » de l’organisation, mais n’émet aucune critique du terrorisme, de l’impôt révolutionnaire, ou des menaces de mort ayant pesé sur les politiciens basques opposés à l’indépendance.
2. Le 22 octobre 2012 à 15:34, par Stéphane En réponse à : Elections au Pays basque : une victoire pour l’Europe ?
Non seulement Otegi, ex porte parole de Batasuna a publiquement présenté les excuses de la gauche nationaliste pour les victimes d’ETA, mais en plus et le PNV et Bildu ont depuis très très longtemps abandonné les visions ethniques.
Le discours nationaliste dans le cas présent est un des discours fondateurs du fédéralisme européen, bien sur qu’il est parfaitement compatible avec lui. Qu’y a-t-il d’incompatible entre dire qu’on veut les Etats-Unis d’europe et dire que dans un cas précis, on veut 28 au lieu de 27 Etats ? Des gros Etats comme l’Espagne sont-ils vraiment des garants d’une avancée vers le fédéralisme ? Et si le Royaume-Uni explose en 2014 avec l’indépendance de l’Ecosse, est-ce que ca ne sera pas une sérieuse victoire contre l’idéologie de l’Etat-Nation ?
3. Le 22 octobre 2012 à 16:39, par Jeltzalea En réponse à : Elections au Pays basque : une victoire pour l’Europe ?
Félécitation au Taurillon pour cette analyse courageuse. Vous avez 100 fois raison sur l’européisme de mon parti, le PNV ou PNB. Araceli, votre poncif sur le micro nationalisme quasi ethnique a le mérite de poser le débat. D’abord, toutes les nations européennes existantes ont une composante ethnique, ethnoculturelle, la France avec sa langue, sa culture et son histoire maginifié n’y fait pas exception. Ensuite, la fermeture ou le repli sans doute supposé du nationalisme et donc son anti européisme est une erreur. Dans le cas basque, l’enracinement culturel va de pair avec une grande ouverture sur le monde.Son économie internationalisée le montre. Un symbole : faire de Bilbao une ville connectée au réseau international, avec notamment le musée Guggenheim, voulu par les nationalistes basques. Non, c’est de véritable fédéralisme dont il s’agit, par le bas, avec le principe de subsidiarité, faire au plus près ce qui est le plus efficace et par le haut, la participation, participer à un pouvoir commun avec les autres peuples européens.
4. Le 22 octobre 2012 à 23:21, par Périco Légasse En réponse à : Elections au Pays basque : une victoire pour l’Europe ?
La lutte du peuple basque pour sa liberté a ceci de particulier qu’elle ne s’appuie en rien sur des paramètres éthniques, mais patriotiques. Si le nationalisme basque, de droite ou de gauche, montrait le moindre signe de xénophobie anti espagnole, la réalité politique serait tout autre. Quel mouvement de libération nationale peut revendiquer dans ses rangs des ressortissants de l’Etat dont il prétend se libérer ? Depuis l’instauration de la démocratie en Espagne, ETA doit être considérée comme une organisation terroriste totalitaire qui commet des crimes. Ce qui n’était pas le cas avant la mort de Franco. Toutefois, elle compte dans ses rangs des dizaines de militants qui ne sont pas Basques, mais enfants d’immigrés espagnols vivant au Pays Basque. Jamais le PNV, ni aucun parti souverainiste, n’ont jamais remis en cause l’appartenance des non basques à la nation basque. Cette idée ne traverse même pas l’esprit des plus radicaux. Le dernier soldat d’ETA fusillé par la dictature s’appelait Jose-Manuel Paredes. Il n’était pas basque d’origine mais se considérait comme tel et était reconnu comme tel par tous ses compatriotes. De deux choses l’une, ou les Basques constituent un peuple, auquel cas ils peuvent légitimement revendiquer le droit à disposer d’eux mêmes, ou bien ils ne constituent pas un peuple, auquel cas l’armée espagnole doit immédiatement intervenir pour suspendre le statut d’autonomie accordé à ce « territoire historique » par la constitution de 1978. Soyons sérieux. Il existe au coeur de l’Europe un petit peuple qui ne se considère ni espagnol, ni français, et qui se bat pour retrouver sa souveraineté perdue en 1841. Face à l’indépendance de la Slovénie, du Kosovo, de la Lettonie, de l’Estonie, de la Slovaquie, de la Géorgie, de l’Arménie, et même de Saint-Marin, du Liechstenstein, de Monaco et du Val d’Aoste, il ne semble pas que la revendication des Basques puisse être considérée comme une insupportable dérive ethnico-raciste. Le refus obstiné de Madrid d’envisager un référendum sur l’autodétermination constitue, en revanche, une atteinte très grave aux droits d’une société qui exprime clairement sa volonté de vivre selon ses propres lois au travers du suffrage universel. Il faudra bien un jour admettre l’évidence.
5. Le 24 octobre 2012 à 20:54, par Kevin J. En réponse à : Elections au Pays basque : une victoire pour l’Europe ?
Bonjour,
Merci à tous pour vos commentaires. Merci Stéphane pour ces précisions. Jeltzalea : effectivement le centre Guggenheim me semble tout à fait symbolique de la volonté des nationalistes, et tout particulièrement du PNV au pouvoir à la mairie de Bilbao, de faire de la ville une métropole d’Europe. Avec une belle réussite à la clef, puisque le musée est l’un des 3 ou 4 sites les plus connus en Europe en matière d’art contemporain. @Périco : Je ne suis pas certain que l’important soit de savoir si les basques constituent un "peuple ? Evidemment que oui, mais l’important, c’est qu’il y a un ensemble d’électeurs individuels qui s’expriment pour un lien plus direct entre l’Europe et le Pays basque. Si ensuite il y a des blocages institutionnels face à cette volonté, cela risque effectivement de susciter des tensions.
@Araceli : tout dépend des valeurs que l’on retrouve sous le vocable de nationalisme, qui peuvent être extrèmement différentes selon les situations. Il est bien évidemment qu’on ne parlera pas du même type de "nationalisme" en parlant du FN, du PNV, de la ligue du Nord, du Parti populaire espagnol, etc. Dans le cas qui nous préoccupe, parler de nationalisme témoigne simplement d’une vision nationale du Pays basque. On retrouve majoritairement des valeurs liées au multiculturalisme, au fédéralisme européen et à la recherche du consensus et de la solidarité. On peut parler de nationalisme civique et/ou inclusif.
Pour illustrer, je reproduis juste la toute fin du discours de Jozu Jon Imaz, président du PNV, pour appeler au vote du TCE en 2005 :
"Schuman, Adenauer et De Gasperi, les pères de l’idée européenne, étaient des hommes de frontières. Les Basques sont également des fils et des filles des frontières. D’un peuple déchiré par une frontière. Une partie dans l’État espagnol et l’autre dans l’État français, séparées par une cicatrice de l’histoire qui faisait de nous des étrangers d’un côté et de l’autre de la rivière Bidasoa. Comme tout défi, le projet européen exige de même une reformulation des domaines de décision et du cadre de relations qui nous lie à notre environnement. De nouvelles perspectives s’ouvrent, peut-être plus complexes, mais également intéressantes, pour cet horizon de construction d’une nation basque au 21e siècle. Nous sommes une nation. Partant de notre nation de citoyens, nous proclamons notre droit d’exercer librement et démocratiquement notre propre gouvernement, en prenant part à un projet uni garantissant le respect de la diversité des nations et des peuples qui le composent. En étant partie intégrante d’une Europe qui recherche la paix, la liberté et le bien-être de toutes ses citoyennes et de tous ses citoyens. Une nation civique et solidaire qui souhaite apporter et contribuer à la construction d’une Europe enrichie par la diversité des nations et des patries existantes en son sein. Où la nation ne divise pas, mais rassemble les personnes. Le prologue de « la causa del pueblo vasco », écrite en 1956 par Javier de Landaburu, reproduit une phrase de Sofia Scholl, étudiante chrétienne de l’Université de Munich, âgée de 22 ans, exécutée par les nazis. « Je ne peux comprendre qu’il y ait des hommes continuellement en danger à cause d’autres hommes. Je ne peux le comprendre et cela me semble horrible. Ne me dis pas que c’est pour la patrie ». "
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