Elargissement : les dirigeants européens sont les premiers responsables de l’impasse actuelle

, par Charles Nonne

Elargissement : les dirigeants européens sont les premiers responsables de l'impasse actuelle
Carte de l’Europe Auteur : Septem Trionis - Certains droits réservés

Les questions relatives à l’élargissement de l’Union européenne suscitent de nombreux débats passionnés, ses partisans comme ses opposants étant très souvent prompts à des caricatures et discours simplistes. De nombreux connaisseurs de l’Europe de l’Est et des Balkans considèrent à juste titre que les Etats de l’ex-Yougoslavie, tout comme l’ancien « bloc de l’Est », appartiennent à l’Europe autant que les Etats occidentaux. Pour autant, est-il prudent de considérer que l’identité européenne doit automatiquement entraîner l’adhésion à une Union européenne aujourd’hui désunie, opprimée par la crise des dettes souveraines, sans projet ni promesses pour ses futurs Etats membres ?

Le problème n’est pas l’Europe de l’Est, mais bien l’élargissement de l’Union européenne

Parmi certains dirigeants européens et au sein d’une partie de la société civile pro-européenne, une ferme opposition à l’élargissement se développe. Certains tenants de ce mouvement considèrent que l’Europe de l’Est n’a aucune vocation à intégrer une organisation internationale européenne, au motif que les disparités culturelles et identitaires entre « Europe de l’Ouest » et « Europe de l’Est » sont trop grandes pour faire émerger un projet commun. Cet argument ne saurait être retenu : malgré une diversité culturelle – qui constitue notre richesse –, un socle de valeurs partagées permet d’affirmer sans conteste qu’Europe de l’Est et Europe de l’Ouest appartiennent à la même civilisation.

D’autres opposants à l’élargissement considèrent que l’Union européenne, particulièrement handicapée par son système institutionnel et par le manque d’ambition de ses dirigeants, devrait en premier lieu réformer en profondeur son organisation et ses modes de prise de décision avant d’envisager d’intégrer davantage de membres dans ses rangs.

L’élargissement ne bloque pas les institutions, mais l’intégration européenne elle-même

Depuis le commencement de la construction européenne, l’élargissement n’a jamais constitué une entrave à l’approfondissement de l’Union européenne ; bien au contraire, elle en fut le pendant. Elle est autant nécessaire à l’approfondissement qu’un approfondissement coordonné et ambitieux est nécessaire à sa réalisation. En d’autres termes, l’intégration européenne est indispensable pour qu’un élargissement apaisé et efficace puisse avoir lieu.

Il est indéniable que l’Union connaît aujourd’hui une crise qui pourrait mettre en péril son existence, du moins sa substance. Cette crise n’est aucunement le fait des « nouveaux venus » de l’Union européenne : la responsabilité incombe avant tout à des dirigeants européens qui n’ont pas su faire preuve de courage et d’ambition lorsque le moment était venu. La crise que les peuples européens subissent aujourd’hui peut certes être résolue avec une vision commune des leaders européens ; l’élargissement devrait donc être temporairement suspendu, de manière à permettre à l’Union de trouver cette vision et de construire un nouveau projet. Le traité de Lisbonne, malgré les quelques améliorations qu’il a apportées en la matière, n’a aucunement réglé les problèmes institutionnels fondamentaux.

Plusieurs tenants de l’élargissement immédiat considèrent qu’au terme de plusieurs décennies, celui-ci est un succès. Quels succès l’Europe connaît-elle ? Peut-on considérer que les avancées des dernières années sont un succès, alors même que le sort de la Grèce est incertain, que la perspective d’un nouveau traité effraie les uns et les autres ? Peut-on supposer que l’Europe qui s’apprête à affronter le XXIe siècle, troublée par une profonde crise identitaire, est un succès ?

Une confusion néfaste entre appartenance à l’Europe et appartenance à l’Union européenne

Une nouvelle fois, la question de l’identité européenne des nations de l’Europe orientale est résolue depuis des siècles. Il ne s’agit en aucun cas de considérer que les nations occidentales ne devraient pas contribuer à leur développement et à leur progression vers la démocratie et vers l’économie de marché.

Il semble cependant nécessaire de dissocier la question de l’appartenance à l’Europe de celle de l’adhésion à l’Union européenne. Il ne s’agit pas de sous-entendre que les nouveaux adhérents auraient du rester des dictatures pour ne pas freiner l’approfondissement de l’intégration entre les Etats « déjà membres ». L’Europe a bel et bien les moyens de contribuer à la croissance et au développement de sa partie orientale sans l’intégrer dans une Union en pleine crise politique et économique.

L’Europe devrait sans doute s’enorgueillir de rassembler les nations libres du continent autour d’un projet commun ; mais pour qu’un projet commun voit le jour, il faut des institutions puissantes et pérennes pour le garantir, et en promettre la réalisation à ceux qui ambitionnent d’y contribuer.

Ni les Turcs, ni les Biélorusses, ni les Russes, pas plus que les Ukrainiens ou les Moldaves, ne risquent de détruire l’Europe s’ils intègrent l’Union européenne. Ce ne sont pas ces Etats en particulier qui nuisent aux chances de fédéralisation de l’Europe, mais bel et bien l’élargissement. Les problèmes que connaissent certains Etats d’Europe orientale et occidentale sont nombreux et nécessitent sans doute une solidarité européenne collective et effective, mais il est permis de douter que tous ces problèmes seront résolus par une entrée dans l’Union européenne. Cette question aurait été pensée dans les mêmes termes s’il s’était agi, non pas de la Serbie, de la Croatie et de la Macédoine, mais de la Norvège, de l’Islande ou de la Suisse.

Un risque réel de transformer l’Europe en un forum de discussion

Les opposants à l’élargissement considèrent, pour certains, que l’accroissement du nombre d’Etats augmentera mathématiquement le risque de blocages dans le processus décisionnel de l’Union européenne. On pourra certes affirmer, à raison, que l’on vote moins au Conseil, signe que le consensus est favorisé. Cela signifie précisément que la recherche de consensus et de compromis est rendue nécessaire par une pluralité d’Etats membres. Or, ce mode de prise de décision est certainement la meilleure voie pour parvenir à un statu quo et à la recherche d’une solution a minima, acceptable par tous mais aucunement satisfaisante, sur le moindre sujet d’importance. Il prive les institutions de toute possibilité de prendre des décisions ambitieuses, là où un vote, certes en accentuant les divisions entre Etats, présente le mérite de trancher des questions d’importance entre plusieurs positions nettement délimitées.

De ce point de vue, l’extension par le traité de Lisbonne du vote à la « double majorité » – 55% d’Etats équivalant à au moins 65% de la population européenne – se vide de sa substance avec la poursuite d’une prise de décision par consensus, davantage adaptée aux négociations internationales de grande ampleur. Par ailleurs, les Etats membres ont pris le soin de stipuler qu’une telle règle n’entrerait en vigueur qu’en 2014, voire en 2017 si un Etat membre le souhaite. De nombreux mécanismes particulièrement incompréhensibles pour les citoyens compliquent les procédures de décision : ainsi, après 2014, une minorité de blocage de quatre Etats pourra toujours paralyser les procédures. Un petit groupe d’Etat ne constituant pas une minorité de blocage pourra freiner le processus de décision en rallongeant les procédures. Ces « avancées » ne modifient en rien l’inadéquation des institutions européennes au nombre croissant d’Etats qui les composent.

Le traité de Lisbonne rationalise certes les politiques de l’Union : fusion des « trois piliers » de l’Union, acquisition de la personnalité juridique, extension du principe de codécision entre le Parlement européen et le Conseil, etc. Néanmoins, les plus ambitieuses de ces politiques – sécurité, défense commune, action extérieure, Europe de la justice, harmonisation du droit – se heurtent encore à la règle de l’unanimité, d’autant plus contraignante avec une prochaine augmentation du nombre d’Etats membres.

Quant aux processus de signature et de ratification de traités, qui nécessitent l’unanimité, il est certain qu’à trente Etats membres, l’Europe n’a presque aucune chance de connaître des traités ambitieux et fédérateurs, que les Etats « fautifs » soient des Etats orientaux ou occidentaux – cette seconde possibilité étant la plus probable.

La question de l’appartenance à long terme de l’Europe de l’Est à un Etat fédéral européen ne fait guère de doute. L’intégration des Etats de l’ex-Yougoslavie, voire de certains Etats frontaliers comme l’Ukraine et la Moldavie, doit être recherchée à long terme. Cependant, cette intégration n’aura de substance que si l’Union européenne est à même d’accueillir ses Etats en se dotant d’institutions puissantes, des moyens d’actions efficaces … et de dirigeants ambitieux. Ces trois conditions ne semblent pas réunies aujourd’hui.

Article en réponse à l’article paru sur Nouvelle Europe :

*Le faux problème du problème de l’élargissement

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