Croatie et liberté de la presse

Rapport « Goodbye to Freedom »

, par Traduit par Catherine Bobko, Zdenko Duka

Croatie et liberté de la presse

Le rapport sur la liberté de la Presse en Europe « Goodbye to Freedom » vient d’être publié par l’Association des Journalistes Européens. Le Taurillon a décidé de publier le résultat de cet énorme travail.Aujourd’hui, voici la situation en Croatie.

Situation générale

Au cours des dernières années, les médias croates ont connu un essor important en termes de qualité et de diversité. Bien que la diffusion de la plupart des journaux ait baissé, le nombre de journaux a augmenté de façon constante et avec eux, le nombre total de lecteurs. La Radio-Télévision Croate a, cependant, conservé sa position dominante, alors que les deux nouvelles chaînes de télévision privées n’ont pas encore atteint leur potentiel de marché.

Cependant, il est évident que les médias croates traversent une grave crise concernant leurs standards professionnels et éthiques. Le journalisme à sensation est devenu commun, et il n’est pas rare que des journalistes abandonnent, sans hésitation, toute prétention à l’objectivité et à la fidélité dans leur poursuite des titres qui feront la une et de l’audimat.

En outre, une influence politique flagrante continue à projeter son ombre sur la scène médiatique. Elle est, certes, moins marquée qu’elle ne l’était avant les réformes radicales de l’année 2000, qui ont retiré la Télévision nationale et un petit nombre de grands journaux des mains de quelques figures politiques influentes. Toutefois, la propriété des médias privés est désormais fortement concentrée dans les mains de deux grandes compagnies dominant le marché de la presse : Europe Press Holding qui est détenu à 50% par le groupe allemand WAZ (Westdeutsche Allgemeine Zeitung) et l’éditeur autrichien Styria.

L’indépendance des médias subit également de violentes attaques de la part de grandes entreprises de publicité qui étaient apparues au début des années 1980 comme le moyen de faire progresser les fortunes de quelques figures influentes du monde politique. Ces personnes jouissent désormais d’une position dominante au sein de l’économie et ont commencé à l’utiliser pour promouvoir leurs propres intérêts dans les medias ; ils exercent un contrôle significatif sur certains journaux du fait de leur capacité à accorder ou mettre fin à des contrats de publicité desquels dépendent de nombreux journaux pour leur survie financière.

Ainsi, la grande compagnie d’assurance Osiguranje a rompu un contrat de publicité de long terme avec le quotidien Jutarnji list, à la suite d’articles critiques sur l’activité de l’entreprise.

Dans ces circonstances, il est extrêmement difficile pour des journalistes de chercher à agir comme la « conscience » de la société puisqu’ils subissent souvent eux-mêmes des pressions afin d’orienter l’intérêt du public en faveur des intérêts commerciaux, étroits, des détenteurs de médias ; tout cela génère naturellement insécurité de l’emploi et autocensure.

La situation dans les médias locaux croates – notamment les stations de radio locales – est particulièrement problématique, puisque nombreuses stations sont, en réalité, dirigées par les intérêts politiques locaux. Il en résulte qu’elles ont échoué à développer une quelconque indépendance éditoriale réelle et les journalistes qui y travaillent font souvent l’objet de pressions pour qu’ils se conforment à un parti pris politique patent. La couverture de la maladie de Ivica Račan, leader de l’opposition croate et ancien Premier Ministre – décédé en mai 2007, après 3 mois de traitement – a fait l’objet de reportages ouvertement partisans. Une des stations de radio et un site Internet ont même annoncé sa mort trois semaines avant qu’elle ne survienne.

La presse croate a, cependant, avancé sur la voie de la liberté face à l’influence directe du gouvernement et des partis politiques avec l’acquisition par le secteur privé de la plupart des medias imprimés et de deux chaînes de télévision nationales : RTL TV et Nova TV. Cependant, l’Etat possède toujours le quotidien, faiblement diffusé, Vesjnik, il est chargé des nominations à la télévision publique croate et il exerce un contrôle effectif sur l’agence croate de l’information (HINA)

Etude de cas : l’Agence nationale de l’information croate (HINA).

L’année dernière, la situation au sein de l’HINA a suscité une vive inquiétude de toutes parts et notamment au sein de l’Association des Journalistes Croates, de l’OSCE et de la Fédération Européenne des Journalistes. Dans son rapport du 8 novembre 2006 sur la Croatie, la Commission européenne a également considéré que la gestion de l’HINA posait un problème politique. Ce rapport a conclu que la procédure de nomination des membres du Conseil de direction de l’HINA présentait plusieurs carences. L’HINA est la seule agence nationale d’information et exerce, de ce fait, une influence considérable sur les autres medias croates.

Selon la loi relative à l’HINA, le gouvernement doit proposer au Parlement 4 membres pour le Conseil de direction de l’HINA et un 5e membre doit être choisi parmi les journalistes employés à l’Agence. Les 5 nommés doivent alors être approuvés par le Parlement. Le Conseil doit, ensuite, à son tour élire le directeur de l’HINA et le rédacteur en chef.

En 2006, le gouvernement a pris une série de mesures ignorant à la fois l’esprit et la lettre de ces procédures formelles. En juillet, ses 4 nominations au Conseil de direction de l’HINA étaient acceptées par le Parlement mais, les personnes nommées ont dû affronter des accusations de conflit d’intérêts et certaines se sont vues reprocher leur inaptitude à exercer ces emplois, du fait de leur manque d’expérience dans le domaine des medias. Leur sélection, à la place d’autres candidats clairement plus compétents et reconnus, a été critiquée.

Ainsi, au lieu de nommer l’ancien président de la Cour constitutionnelle, Jadranko Crnić, le Parlement a porté son choix sur Dražen Jović, diplômé d’une Ecole de droit depuis seulement 2 ans.

Le manque de transparence dans l’attitude du gouvernement a donné lieu à une vague de protestations venant de tous les partis d’opposition ainsi que de l’Association des Journalistes Croates. Celle-ci a laissé entendre que des personnes peu connues et peu compétentes avaient été nommées simplement pour permettre au parti au pouvoir de contrôler facilement les actions du directeur de l’HINA et du rédacteur en chef. Mais le gouvernement et les politiciens du parti au pouvoir ont rejeté toutes les critiques contre leur décision. S’appuyant sur des arguments techniques, en réalité peu solides, le gouvernement a refusé de mettre en œuvre les règles énoncées par la loi concernant la sélection du 5e membre du Conseil et a laissé agir le Conseil de direction pendant plusieurs mois, comme s’il avait été légalement constitué. Ce Conseil, composé de 4 membres, a pris, par ailleurs et malgré toutes les interrogations sur sa légitimité, une décision d’une importance cruciale : celle de nommer un nouveau directeur général à partir du 1er janvier 2007.

C’est Smilja Škugor Hrnčević, bien connue pour avoir été une importante éditrice de l’ère Tudman – alors que les medias étaient forcés de travailler sous des contrôles stricts du gouvernement – qui a été nommée au poste de directeur général. Il était de notoriété publique que l’actuel Président de la République, Stjepan Mesič, s’était opposé à sa nomination. C’est pourquoi dès le lendemain de cette nomination, le gouvernement a annoncé la dissolution du Conseil de direction de l’HINA, s’appuyant sur l’argument même de ses contempteurs – à savoir que le Conseil était incomplet sans son 5e membre, le représentant des employés. Le résultat final a été exactement ce que l’opposition et l’Association des Journalistes Croates avaient prévu : le gouvernement a atteint son objectif avec la nomination de son candidat préféré au poste de directeur général de l’HINA puis il a pris les mesures nécessaires pour dissoudre, après l’événement, le Conseil de l’HINA, incorrectement constitué.

Un nouveau Conseil de direction a été nommé en février 2007, un mois après la prise de fonction de la nouvelle directrice générale. Cette fois, le Conseil comporte également un représentant des employés de l’HINA. Mais, il n’a pas remis en question la nomination de la directrice générale par le conseil précédent. Ces manœuvres politiciennes et la confusion qui s’en est suivie ont entraîné un retard dans la procédure de la sélection du rédacteur en chef de l’INA.

Le rapport 2006 du Département d’Etat américain sur les droits de l’Homme en Croatie indique que les fonctionnaires du gouvernement ont tenté d’influencer la télévision nationale. Il mentionne également la déclaration de protestation de l’Association des Journalistes Croates, qui affirme que la liberté des medias est compromise en raison de l’ambiguïté des termes de la loi relative aux médias publics. L’AJC a, depuis, poursuivi son appel à l’introduction urgente de nouvelles procédures, transparentes, pour l’élection de tous les membres du Conseil de direction de l’HINA, afin de lui conférer plus de publicité, de démocratie et de transparence.

Conclusion et prospective.

La seule façon de protéger la liberté des medias en Croatie face aux interventions politiques décrites ci-dessus consiste à retirer le pouvoir de contrôle du gouvernement sur les medias, y compris sur l’agence nationale de l’information, l’HINA. La responsabilité de la régulation interne et les affaires éditoriales devraient être attribuées au Conseil de direction des medias qui devrait être complètement indépendant. Il est nécessaire de réviser la loi pour garantir l’application des standards démocratiques dans la sélection de ses membres.

Enfin, le gouvernement ne devrait pas être autorisé à utiliser, pour parvenir à ses fins, les ambiguïtés de la loi et des conventions dans ce domaine.

Mise à jour février 2008

La question du rôle des partis politiques dans la nomination aux emplois à responsabilité au sein de la télévision publique croate a, une fois de plus, été au centre de l’attention des journalistes qui sont inquiets de la fragilité de la liberté des medias dans leur pays. En septembre dernier, la nomination de Hloverka Novak Srzić au poste de rédacteur en chef des programmes d’information à la Télévision publique croate a donné lieu à une vague de protestations de la part des journalistes. Ils lui reprochent son passé de rédacteur expérimenté à la Télévision sous l’ère Franjo Tudjman, alors que la télévision publique était sous un contrôle politique strict et que les journalistes qui essayaient d’exercer indépendamment, payaient un lourd tribut.

L’inquiétude des organisations de journalistes s’est également focalisée sur le cas de Željko Peratović, un journaliste indépendant dont l’appartement a été fouillé par la police au milieu du mois d’octobre. Soupçonné d’avoir révélé un secret d’Etat sur son blog, il a été mis en garde à vue et interrogé pendant une journée. Aucune preuve formelle n’a cependant été encore portée contre lui.

Le Taurillon remercie l’Association des Journalistes Européens pour l’autorisation de publier cet issu du rapport « Goodbye to freedom » et de sa mise à jour du mois de février 2008.
Illustrations :

* le drapeau de la Croatie ; source Wikipedia

* le logo de l’AEJ

* le logo du rapport « Goodbye de freedom »

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom