Crise du gaz, l’Europe prise en otage ?

, par Dumitru Drumea

Crise du gaz, l'Europe prise en otage ?

La crise gazière qui s’est produite entre le 1er et le 19 janvier 2009 n’est pas prête de s’arrêter. Pour cause : un conflit à la fois politique et économique entre l’Ukraine et Gazprom, mais qui affecte durement les pays européens.

Alors que les thermomètres à l’extérieur affichaient jusqu’à -20°C en Europe de l’Est, la Roumanie, la Bulgarie, la Slovaquie, ou encore la Moldavie ne recevaient plus de gaz pendant plus de deux semaine. Cela aurait pu gravement affecter l’économie de ces pays. En Roumanie, où l’Etat dispose de réserves d’autonomie en gaz d’environ 60 jours, le Ministère de l’Economie avait déclaré l’état d’urgence le 7 janvier dernier. Cela veut dire qu’en cas de pénurie, vont être privilégiés les ménages et les hôpitaux, alors que les industries vont devoir attendre que les livraisons reprennent. La situation était de loin plus grave en Moldavie, où il n’y a pas de réserves d’autonomie. La Moldavie était donc restée à la merci de la bonne volonté des parties en conflit. Les locaux de certaines institutions publiques n’étaient plus chauffés, alors que chez les particuliers la température ne montait que jusqu’à 15-18°C.

Qui est le responsable ?

Le commissaire européen aux affaires énergétiques, Andries Pielbags, a promis de dénoncer le coupable si le conflit ne s’arrêtait pas. L’Europe est cependant restée divisée, comme c’est souvent le cas sur cette question. Ainsi, si la majorité des leaders européens ont préféré rester neutres sur la question, ça n’a pas été le cas partout. Le Premier Ministre Polonais, Donald Tusk, dont le pays reçoit une grande partie du gaz russe à travers la Biélorussie, a déclaré que seule Moscou était responsable du transit des hydrocarbures, et que par conséquent Kiev n’y était pour rien. De l’autre côté, les Etats qui n’ont plus de gaz à cause de la cessation du transit via l’Ukraine semblent prendre le parti des Russes. Ainsi, le Président roumain, Trajan Basescu, avait déclaré que l’Ukraine ne respectait pas les engagements de transit pris envers les pays européens. Entre-temps, Gazprom et l’Ukraine s’accusent réciproquement. Mais qu’en est-il réellement ?

Des dettes impayées

Le géant énergétique russe a décidé de couper les livraisons du gaz à l’Ukraine le 1er janvier 2009, en grande partie à cause des dettes de la compagnie ukrainienne Naftogaz, estimées, au 31 décembre 2008, à environ 600 millions de dollars. Il faut cependant préciser que cette dette s’élevait à 2,1 milliards de dollars avant le 30 décembre 2008, quand les Ukrainiens avaient payé 1,5 milliards de dollars à Gazprom. La compagnie russe réclamait le paiement intégral des dettes.

De plus, les Ukrainiens contestaient le prix du gaz russe, ce qui était de loin la raison principale des désaccords entre Moscou et Kiev. Rappelons que le même problème était apparu en 2005 quand Gazprom avait augmenté les prix à plus de 100 dollars pour les Ukrainiens, tout en restant cependant largement inférieurs au prix du marché.

En 2008, le prix du gaz livré par la Russie à l’Ukraine était de 179,5 dollars pour 1000 m3, alors que le prix du marché avoisinait les 450 dollars. La Russie a donc décidé d’en finir avec ces « prix-cadeaux » et de ramener les prix à ceux du marché.

Il faut dire que le pouvoir en Ukraine a bien travaillé ces dernières années pour provoquer l’irritation de Moscou. Entre les discours nationalistes et franchement russophobes de Youstchenko et le soutien militaire apporté officiellement par Kiev à Tbilissi pendant la guerre en Géorgie, l’Ukraine a tout fait pour se mettre à dos non pas seulement le Kremlin, mais aussi l’opinion publique en Russie. Il n’est donc pas étonnant que les Russes aient décidé de ne plus être complaisants avec un tel régime.

Durant l’été 2008, des rumeurs circulant dans la presse russe affirmaient que les prix du gaz pour l’Ukraine allaient augmenter. Mais personne ne donnait de chiffres concrets. Au mois d’octobre, Poutine et Tymoshenko signèrent un accord-cadre sur le prix du gaz. Un mois plus tard Gazprom proposa un prix de 250 dollars pour 1000 m3 pour l’année 2009, pour passer ensuite au prix du marché. L’Ukraine jugea ce prix injuste.

A la fin du mois de décembre 2008, une délégation de NaftoGaz fut envoyée à Moscou pour négocier les prix pour l’année 2009. La partie ukrainienne demandait 200 dollars pour 1000 m3, un prix inacceptable pour Gazprom. Le 31 décembre, le président de NaftoGaz Oleg Dubina quitta Moscou où il s’était rendu pour les négociations, et Gazprom, faute d’avoir un contrat, coupa le 1er janvier 2009 les flux à destination de l’Ukraine. Seuls les gazoducs transitant par l’Ukraine à destination de l’Union européenne continuaient à être alimentés en gaz. Les Ukrainiens commencèrent alors à s’en servir ouvertement, privant les consommateurs européens d’hydrocarbures, du jamais vu dans l’histoire des relations commerciales. Le 7 janvier, Gazprom décida donc de fermer tous les gazoducs à destination de l’Ukraine, et une partie de l’Europe resta ainsi sans gaz. Dans le même temps, le président de Gazprom, dépassé par un tel comportement de l’Ukraine, déclara que si l’Ukraine n’acceptait pas le prix 250 dollars, elle allait alors payer 450 dollars, comme tout le monde.

L’Ukraine – incapable d’assumer ses dettes

Depuis l’arrivée des Oranges au pouvoir en 2004, l’Ukraine connaît une crise politique quasi-permanente, car Youstchenko et Tymoshenko n’arrivent pas à se partager le pouvoir. Leur opposition a atteint son apogée cet automne, quand le président, dont la côte de popularité avoisine 3%, a publiquement accusé Tymoshenko de voler le gaz et les ressources budgétaire du pays. De son côté, le Premier ministre a accusé Yousthenko d’être incompétent et d’avoir amené l’Ukraine à la faillite économique. "J’ai honte d’avoir défendu cet homme en 2004 " a-t-elle déclaré.

Au mois de novembre, sont apparues dans la presse des rumeurs affirmant que les juristes du parti de Tymoshenko prépareraient un dossier pour annuler la décision de la Cour Suprême de Justice de 2004, qui prévoyait de réorganiser les élections lors desquelles Youstchenko avait remporté la victoire face à Yanoukovich.

Entre-temps, le pays plongea dans une crise économique profonde. L’inflation y est de 22%, alors que la monnaie nationale, la Hrivna, est en chute libre : au premier septembre 2008, 1 dollar valait 4,57 hrivnas, alors que le 15 janvier 2009, la monnaie américaine se négociait déjà à 8,73 hrivnas. Les prêts accordés récemment par le FMI ne serviront apparemment qu’à combler les dettes extérieures du pays, sans avoir un impact direct sur l’économie. Avec une telle faiblesse de la monnaie nationale, l’Etat ukrainien n’est tout simplement pas capable de payer en dollars les factures gazières 2008, sans parler de 2009, quand il devra payer davantage.

Le 17 janvier 2009, Youlia Timoshenko et Vladimir Poutine ont finalement signé un nouvel accord sur le prix du gaz. Ainsi, l’Ukraine va payer 20% de moins que les consommateurs européens(environ 360 dollars/1000m3) en 2009, alors que en 2010 Kiev va payer le prix du marché. Comment va-t-elle pouvoir le faire ? à suivre…

Qui est gagnant dans cette affaire ?

La Russie ? Gazprom semble être le moins intéressé à ce que ce conflit dure. Selon les estimations de Moscou, la compagnie russe aurait perdu plus d’un milliard de dollars depuis le début de la crise. Sans parler de l’image du géant russe.

Du côté ukrainien les choses semblent être plus compliquées. Certains politologues estiment que cette situation a été en grande partie provoquée par Kiev, afin de détourner l’attention de l’opinion publique du désastre financier duquel le pays s’approche à grands pas. Ainsi, Victor Bologa, le directeur du cabinet présidentiel de Youtshenko, avait déclaré que si l’Ukraine fait faillite, ce sera la faute aux Russes. Mais là encore, les Oranges s’accusent réciproquement. Sur le site du président ukrainien, Youlia Tymoshenko est ouvertement accusée de collaborer avec Moscou afin d’éliminer de la scène politique le président Youstchenko, qui serait le seul à défendre l’intérêt des Ukrainiens.

L’Union européenne totalement impuissante

Tout comme pendant la crise géorgienne, l’Union européenne demeure impuissante face à une telle situation. En raison de ses divergences internes elle est incapable de défendre ses consommateurs, alors que l’hiver devient de plus en plus rigoureux. L’UE peine à se faire entendre par les parties en conflit pour que les robinets soient enfin rouverts. Elle ne peut pas vraiment faire pression sur la Russie car les Russes ont déjà essayé de rouvrir les robinets le 13 janvier, mais le gaz n’a pas atteint les pays européens. Elle ne peut pas non plus faire pression sur l’Ukraine, car celle-ci est fortement soutenue par les Américains (autrement, il semble impossible que Kiev ose fermer les gazoducs aux européens), pour qui la Russie était la seule responsable pour la crise.

Il est donc très important que l’UE se dote d’une politique étrangère propre, cohérente et intégrée, afin de pouvoir défendre l’intérêt des européens et non pas juste suivre le mainstream dicté d’outre-Atlantique. Une Europe, qui parlerait d’une seule voix sur la scène internationale, serait entendue de Moscou à Washington, en passant par Kiev.

Illustrations :

1. Site de la Commission européenne

2. Le logo du Gazprom

3. Site du Gouvernement russe

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