La prééminence de l’inconsistance sur la compétence
La succession de Javier Solana (ancien Haut représentant) et de Benita Ferrero-Waldner (ex-commissaire aux relations extérieures) fut actée à l’issue d’un processus particulièrement opaque, tenant davantage à un marchandage politique qu’à une véritable recherche de talents pour animer la politique étrangère européenne. Des hommes et femmes politiques d’envergure, bénéficiant d’une expérience et d’une expertise incontestées en matière de questions internationales, avaient pourtant manifesté leur vif intérêt pour le poste de Haut représentant.
Au nom d’un prétendu « équilibre politique » entre Europe occidentale et orientale, entre sociaux-démocrates et conservateurs et entre hommes et femmes, Mme Ashton, totalement inconnue des citoyens européens et même de la plupart des gouvernements, fut présentée par les vingt-sept comme la candidate idéale pour incarner le nouveau visage de l’Union européenne.
Le 2 décembre 2009, une première audition par le Parlement européen révéla les graves lacunes de Mme Ashton dans le domaine de la défense et de la géopolitique. Son parcours professionnel l’avait ainsi amenée à se spécialiser dans les questions sociales, de santé, d’éducation, sans jamais la confronter aux milieux diplomatiques, britanniques ou européens. De surcroît, Catherine Ashton n’a jamais été élue, et, comme le soulignait le député britannique Nigel Farage, n’a jamais exercé le moindre travail dans le secteur privé. Pour compléter ce curriculum vitae particulièrement inadéquat, Mme Ashton ne maîtrisait que l’anglais, sa langue maternelle – lacune qui semble ne pas avoir été comblée en trois ans d’exercice de son mandat.
Une seconde audition « officielle », le 11 janvier 2010, lui permit de conforter sa nomination sans pour autant faire montre d’une particulière compétence. Pour ne citer que le domaine de la défense, Catherine Ashton avait alors souligné que cette politique devait majoritairement demeurer entre les mains des Etats membres et de l’OTAN, signe d’un manque d’ambition patent en la matière.
Il est permis de supposer que la confirmation de Mme Ashton dans ses positions actuelles fut davantage due à des arrangements politiques qu’à une conviction particulière des membres du Parlement.
Le gaspillage d’un immense potentiel humain et matériel
Le Traité de Lisbonne ne s’est pas restreint à créer une figure supplémentaire dans le concert européen. Bien au contraire, sa ratification laissait augurer d’une ambition remarquable en matière de politique extérieure, du fait de la création d’un Service européen d’action extérieure (SEAE). Premier service diplomatique au monde en termes d’effectifs et de moyens matériels, institution autonome gérée par des fonctionnaires du Conseil et de la Commission et par des diplomates nationaux particulièrement compétents, le SEAE donnait à l’Union les moyens de son ambition pour peser sur la scène internationale.
En conséquence, il était légitimement permis d’espérer que face à cette opportunité unique, une personnalité d’envergure, nommée pour sa stature et sa hauteur de vues, dirigerait ces nouveaux services. Cependant, il était également prévisible que la logique intergouvernementale ait ferait pencher la balance en faveur d’une personnalité à la fois ignorante des enjeux de la diplomatie et incapable de faire face à des chefs d’Etat et de gouvernement.
Catherine Ashton ou l’apologie de la « diplomatie tranquille »
Lors de l’une de ses auditions par le Parlement européen, Catherine Ashton avait déclaré « croi[re] beaucoup à la ‘‘démocratie tranquille’’ », signe annonciateur que l’action extérieure de l’Union n’allait pas connaître de révolution copernicienne. Au lieu de bénéficier d’un regain de vitalité, l’Union s’est à nouveau effacée devant le dynamisme et l’action vigoureuse de quelques Etats membres, au premier rang desquels le Royaume-Uni et la France.
Peu après que des catastrophes climatiques ont ravagé l’île d’Haïti en 2010, de nombreux diplomates et chefs d’Etat européens et occidentaux ont manifesté une préoccupation constante pour la reconstruction progressive mais énergique du pays. Quant à la dirigeante de la diplomatie européenne – dont l’un des principaux leviers d’action est l’aide au développement –, elle s’est contentée de déclarer qu’elle n’était ni médecin, ni pompier, laissant le SEAE et les Etats membres gérer cette crise majeure.
De nombreux observateurs politiques s’accordent à souligner le mutisme préoccupant et parfaitement inadapté de Mme Ashton durant les soulèvements des pays arabes de 2011. La Haute représentante s’est généralement cantonnée à un rôle de « machine à communiqués », exprimant fréquemment des « inquiétudes », des « préoccupations », face à la répression sanglante qui affectait de nombreux peuples du Maghreb et du Moyen-Orient.
Durant la crise libyenne, Mme Ashton fut ainsi incapable d’appeler au départ du colonel Kadhafi, se contentant d’exprimer une position faiblement réprobatrice, créant un contraste désespérant avec le volontarisme du Royaume-Uni et de la France. Quant à la Syrie, alors que le bilan de la guerre civile s’élève aujourd’hui à plus de 40 000 morts, Catherine Ashton a régulièrement renouvelé son souhait de voir appliquer un plan Annan auquel aucun expert n’accordait le moindre crédit.
Peut-être la diplomatie européenne ne doit pas avoir pour vocation de s’ingérer dans des troubles extérieurs ; cependant, l’immobilisme de Catherine Ashton est également applicable au continent européen. A plusieurs reprises – dialogue avec la Bosnie, élections législatives en Ukraine –, Catherine Ashton s’est laissée conduire, tant dans les paroles que dans ses déplacements, par l’ex-Secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton.
Un manque total de visibilité par rapport aux Etats membres
On pourra certes mettre au crédit de la diplomatie européenne qu’une véritable politique étrangère unifiée ne sera envisageable que lorsque les Etats membres consentiront eux-mêmes à abandonner une partie de leurs prérogatives, et que l’Europe disposera d’un gouvernement politique efficace et démocratique. Certes, il est impossible de nier que la politique étrangère est aujourd’hui et de facto entre les mains des gouvernements nationaux. On pourra également arguer que les institutions européennes actuelles ne favorisent pas la cohérence d’une action extérieure unifiée et productive : l’action de Mme Ashton est effectivement parasitée par les prérogatives de MM. Barroso, président de la Commission, et Van Rompuy, président du Conseil – sans compter la récente nomination d’un haut représentant pour les droits de l’homme.
Cependant, de tels freins ne sauraient justifier la vacuité et l’inconsistance dont Mme Ashton a fait preuve au cours des trois années passées. La diplomatie européenne est aujourd’hui limitée à une action complémentaire de celles des Etats membres, au détriment de sa visibilité, de sa productivité et au final, de sa crédibilité. De nombreux dirigeants politiques européens – et notamment Joseph Daul (PPE) et Martin Schulz (S&D, actuel président du Parlement européen) – ont ainsi implicitement reconnu avoir commis une erreur en ne rejetant pas la candidature de Mme Ashton lorsque cela était encore envisageable.
Trois ans après sa nomination, Catherine Ashton a brillamment prouvé que les craintes exprimées par les observateurs les plus pessimistes, au soir du 19 novembre 2009, étaient fondées. Les crises économiques, militaires, géopolitiques, sociétales et environnementales qui se sont succédées depuis trois ans, ont montré la totale inadéquation de son action face à des situations où l’Union aurait pourtant pu faire prévaloir une position unifiée et résolue.
Absence de crédibilité, totale ignorance des questions de sécurité et de défense, manque absolu d’ambition pour le service européen d’action extérieure … face à ce bilan accablant, nul doute que lorsque sera venu le temps de renouveler les dirigeants de l’Union, les chefs d’Etat et de gouvernement des 27 se feront une joie de reconduire la baronne Ashton dans ses fonctions actuelles, et ce pour cinq années supplémentaires.
1. Le 6 décembre 2012 à 08:43, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Carton rouge à Catherine Ashton : trois ans d’inaction à la tête de la diplomatie européenne
J’en ai peur vu le désastreux précédent Barroso. IL reste l’espoir que le pays quitte l’Union d’ici là.
2. Le 6 décembre 2012 à 10:26, par Julien-223 En réponse à : Carton rouge à Catherine Ashton : trois ans d’inaction à la tête de la diplomatie européenne
Le Parlement a négocié le droit de démettre les membres de la Commission individuellement... Pourquoi n’en fait-il pas usage ?
Je ne sais pas si ce Parlement aime se faire marcher sur les pieds, ou n’a pas d’autre choix que de cautionner par son inaction une image désastreuse de l’Europe. Mais les exemples se multiplient. Mersch, TSCG, Ashton, budget de l’Union... Cette démocratie parlementaire européenne est-elle-elle une fiction, ou est-ce le Parlement qui est une chiffe molle ?
3. Le 7 décembre 2012 à 14:29, par Patricia Llopis En réponse à : Carton rouge à Catherine Ashton : trois ans d’inaction à la tête de la diplomatie européenne
à mon avis le carton rouge est trop... le carton jaune, elle a sur ses épaules toute la pressions des États Membres dans une matière où la souveraineté est fondamental, desolée pour mon français, j’ai perdu pa competence active par le transcours des années, mais je lis souvent votre blog.
4. Le 7 décembre 2012 à 15:07, par Julien-223 En réponse à : Carton rouge à Catherine Ashton : trois ans d’inaction à la tête de la diplomatie européenne
@Patricia
Non, je ne pense pas qu’un carton rouge soit exagéré. Mme Ashton n’a pas d’ambition :
– http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2010/01/ashton-ne-r%C3%A9pond-plus-au-t%C3%A9l%C3%A9phone-europ%C3%A9en-apr%C3%A8s-20-heures.html
– http://www.bruxelles2.eu/defense-ue/defense-ue-droit-doctrine-politique/cathy-ashton-revisite-lisbonne-et-abandonne-la-psdc-en-rase-campagne.html
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