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Capitales européennes de la culture : la dimension européenne sacrifiée ?

Une bonne idée inapplicable ?

, par Anne-Lise Barrière

Capitales européennes de la culture : la dimension européenne sacrifiée ?

Tous les ans, l’Union Européenne se dote d’une « capitale européenne de la culture », initiative qui a pour but de mettre en valeur le patrimoine culturel européen, d’intensifier les échanges culturels entre les pays européens et de contribuer au rapprochement entre les peuples européens.
Lancé en 1985 avec comme première capitale culturelle Athènes et couronnant ses vingt ans d’existence à Cork en 2005, ce projet ambitieux donne cependant l’impression de ne pas remplir pleinement ses objectifs.

Au premier plan de ceux-ci, on compte la lecture des programmes et bilans des activités culturelles des différentes villes élues donne vite l’impression que la dimension européenne est minimisée au profit d’une vaste opération de promotion touristique de la ville pendant un an.

Les projets artistiques, qui touchent tous les domaines, sont passionnants et très diversifiés et le public de la région a accès pendant un an à une offre culturelle hors du commun, mais ce projet amène-t-il vraiment les villes choisies à échanger sérieusement avec leurs voisines européennes pendant leur année d’élection ?

Et surtout, ce projet renforce-t-il la connaissance mutuelle des peuples européens et l’accès à un héritage et un patrimoine culturel commun ?

Les capitales européennes de la culture : un historique

Le projet de « Ville européenne de la culture » a été lancé par le Conseil des Ministres du 13 juin 1985, sur l’initiative de Madame Mélina Mercouri, ministre grecque de la culture.

Il s’agissait d’une part de mettre en valeur le développement artistique et culturel européen, qui est d’une grande variété et d’autre part de contribuer au rapprochement des peuples européens.

Le phénomène urbain ayant joué un rôle majeur dans le rayonnement des cultures en Europe, il était intéressant de donner pour cadre à cette initiative culturelle les villes européennes. Le public européen devait ainsi avoir accès à « certains aspects culturels de la cité, de la région ou du pays en question ».

Avec le programme-cadre « Culture 2000 », le mot « ville » est remplacé par le mot « capitale », mais cela ne signifie pas que seules les capitales européennes peuvent être choisies obligatoirement, des villes secondaires au rayonnement culturel important sont fréquemment élues.

La capitale européenne de la culture doit promouvoir, pendant son année d’élection, la création dans tous les domaines : la littérature, la musique, l’architecture, les arts plastiques, le théâtre..., elle doit élaborer un programme qui mettra son propre patrimoine en valeur, mais qui insistera aussi sur sa place dans le patrimoine culturel européen. Elle doit diffuser l’événement culturel de façon large, faciliter l’accès et l’accueil des citoyens européens et associer des acteurs culturels d’autres villes des Etats-membres dans son programme.

Il y a la plupart du temps une capitale européenne de la culture mais il peut arriver certaines années qu’elles soient au nombre de deux, choisies dans deux régions assez éloignées dans l’espace européen, comme par exemple en 2001 Porto et Rotterdam ou en 2004 Gênes et Lille.

L’année 2000 a été une année à part puisqu’il a été décidé de nommer 9 « Villes de la culture » : Avignon, Bergen, Bologne, Bruxelles, Cracovie, Helsinki, Prague, Reykjavik et Saint Jacques de Compostelle. Cinq villes appartenant à l’Union Européenne, quatre à des pays-tiers.

Depuis 1999, la décision 1419/1999/CE a introduit un système de rotation pour que chaque Etat-membre accueille la manifestation à intervalles réguliers.

Cette décision a aussi modifié la procédure de sélection des villes : celle-ci est désignée chaque année par le Conseil sur recommandation de la Commission, établie d’après l’avis d’un jury composé de sept personnalités indépendantes, expertes du secteur culturel.

Etre élue capitale européenne de la culture peut beaucoup profiter à une ville : c’est une occasion pour améliorer son image, pour rénover l’environnement urbain et pour profiter du tourisme engendré par les manifestations culturelles.

Mais les buts initiaux d’échanges culturels intra-européens et de mise en valeur d’un patrimoine culturel européen semblent s’effacer dans bien des cas et ne laisser la place qu’à un programme de festivités trop centré sur la ville et sa région.

Lille 2004 et Cork 2005 : une offre culturelle extraordinaire, la dimension européenne oubliée

Lille, capitale européenne de la culture 2004, a été une véritable réussite : des expositions aux sujets très divers -de « Picasso » ou « Rubens » au « Cinéma du futur » ou « Design »-, des fêtes ambitieuses et originales tout au long de l’année -comme la fête « Geants ! », grand défilé de bonshommes géants, qui a accueilli 200 000 participants ou l’initiative de la « Forêt suspendue » dans les rues de Lille-, des colloques comme celui de l’université Lille I « A propos de la culture », des spectacles de musique et d’arts vivants -le cirque Zingaro, par exemple-, l’initiative des « Maisons Folies » - de nouveaux lieux de spectacles et d’expositions dans des sites inédits comme d’anciennes usines, pour rassembler artistes et habitants- ou enfin des initiatives menées dans les écoles de la région.

Le monde économique s’est impliqué pour soutenir les projets et les entreprises partenaires ont apportés 17,6% du budget global de Lille 2004. Le développement touristique a évidemment connu un boom cette année-là -822 942 visiteurs ont été accueillis à l’Office de tourisme de décembre 2003 à novembre 2004 contre 308 000 l’année précédente.

Mais que ce soit dans les manifestations culturelles, dans la fréquentation ou l’organisation, Lille 2004 déçoit par son manque d’engagement pour introduire la dimension européenne dans son projet.

En étudiant les thèmes des expositions ou des spectacles choisis, on peine à trouver une quelconque mise en perspective européenne ou des problématiques européennes ; bien sûr, des artistes d’autres pays européens ont été invités, mais Lille 2004 a surtout été une chance pour des artistes locaux de présenter leur travail ou de mettre en valeur le territoire régional, sans trop chercher à créer conjointement avec des artistes d’autres pays européens.

L’organisation déçoit aussi parfois : un système d’ « ambassadeurs », jeunes volontaires bénévoles chargés d’encadrer les manifestations, d’orienter le public ou de faire circuler l’information a été mis en place avec succès : le seul regret qu’on peut avoir est de voir que 90% de ces jeunes étaient français et seulement 10% étaient originaires de l’étranger.

Or pour certains événements, il aurait été tellement intéressant de mettre en place des équipes d’ « ambassadeurs » venus de toute l’Europe !

Lille 2004 s’est aussi voulu lieu de réflexion et d’échanges d’idées, mais là aussi, les sujets de colloques présentés ont apparemment rarement pour thème l’Europe. Le spectateur a plutôt l’impression de prendre part à un projet concernant Lille, sa région et son rapport au monde entier.

Cette constatation est d’autant plus décevante que pour l’année 2004, deux capitales européennes de la culture avaient été élues, Lille et Gênes. On aurait pu s’attendre à voir un véritable travail en commun réalisé par les deux villes ; or, apparemment, elles ont très peu construit ensemble et le lecteur cherche vainement sur les deux sites officiels les initiatives conjointes ou la réflexion sur un patrimoine culturel commun.

Cork 2005 rappelle sur beaucoup de points les manques de Lille 2004 : des initiatives culturelles formidables, mais pas vraiment européennes. Etre capitale européenne de la culture semble être pour Cork -comme pour Lille- surtout un formidable tremplin pour faire connaître sa ville, développer son tourisme et pouvoir débloquer des fonds pour rénover ou mettre en place de nouveaux équipements liés à l’offre culturelle.

La capitale européenne de la culture : une bonne idée inapplicable ?

L’idée d’avoir chaque année une capitale européenne de la culture démontrait le souci des décideurs européens de renforcer le lien qui existe entre les peuples européens, d’accompagner la dimension économique de la Communauté européenne d’une initiative culturelle et de construire un projet accessible aux citoyens. Il est bien sûr un peu décevant de voir que finalement, les dernières capitales ont peu à peu perdu cet ancrage européen.

Que les jeunes des écoles de la région lilloise participent à des projets culturels est certes une bonne chose, mais pourquoi ne pas songer, en utilisant les crédits alloués à la capitale européenne, à intensifier pendant une année les échanges scolaires avec Gênes, aussi capitale de la culture en 2004 ? Car finalement n’est-ce pas en provoquant des rencontres entre Européens qu’on arrivera à créer des liens durables ? Cork, cette année, a monté ses projets seule et n’a pas contribué à créer de réseaux d’artistes européens ou d’échanges durables.

Une raison qui pourrait expliquer ce manque d’engagement des capitales de la culture pour donner une dimension européenne à leur projet tient peut-être au financement.

L’idée de « capitale européenne de la culture » émane de l’Union Européenne, mais au niveau du financement, sa participation est finalement assez faible : pour Lille 2004, par exemple, le financement a été assuré pour plus de la moitié par la ville de Lille et sa région, à hauteur de 18% pour les entreprises partenaires, alors que les financements en provenance des collectivités de l’Euroregion ainsi que de l’Union Européenne ne dépassent pas 6%.

Demander aux villes de s’engager durablement pour la thématique européenne devient alors plus difficile et on ne peut compter que sur les volontés personnelles des organisateurs d’intégrer réellement dans leur projet les idées de patrimoine européen ou de rapprochement des peuples européens.

Refonder le projet ?

Comment faire pour que ce projet tienne ses promesses d’échanges et d’une meilleure connaissance mutuelle entre Européens ?

L’idée d’élire deux capitales pour une même année semble être une bonne chose, si bien sûr les deux villes font un effort pour communiquer et travailler ensemble, et cela serait peut-être à généraliser. Au moins, pendant un an, deux points éloignés en Europe pourraient avoir la chance de se découvrir et d’échanger en développant des programmes qui présentent des liens entre eux.

D‘autre part, il est vraiment dommage que les organisateurs soient la plupart du temps quasiment tous issus du pays de la capitale choisie : des équipes qui mélangeraient plusieurs nationalités permettraient un réel travail européen sur la culture, de découvrir nos points communs sur la façon de choisir, d’appréhender et de présenter un événement artistique, mais aussi d’accepter nos divergences.

Les villes élues pourraient peut-être aussi renoncer à une ou deux manifestations de grande ampleur très coûteuses (le nombre d’événements est de toute façon vertigineux...) et consacrer ces crédits à de véritables échanges de professionnels du spectacle, d’organisateurs, d’élus municipaux ou de simples habitants de leurs villes, échanges certes moins pompeux, mais qui incarneraient un vrai travail interculturel de fond.

Il faudrait aussi réussir à intéresser le citoyen européen pour cette initiative, qui reste très méconnue, sauf bien sûr pour les habitants qui ont la chance d’être dans la région concernée. A propos, savez-vous quelle est notre capitale européenne de la culture 2006 ?...

... C’est Patras, en Grèce et cette nouvelle élection reste encore une fois assez méconnue !

Mais par contre, à Patras, une lueur d’espoir brille pour un peu plus d’Europe car un cycle de conférences est prévu tout au long de l’année qui a pour thème « What about Europe ? » et qui traitera de la place de la culture dans nos sociétés, en incluant le paramètre de l’intégration européenne, cette fois...

 Photo : l’église St. André à Patras, Grèce (cc) Randy Peters

 Cet article est publié avec l’aimable autorisation de son auteur et du site les « Euros du village ». Il est soumis au copyright et à la licence d’utilisation définis par ce dernier.

Vos commentaires
  • Le 29 janvier 2006 à 23:57, par Ronan Blaise En réponse à : Capitales européennes de la culture : la dimension européenne sacrifiée ?

    Liste des villes ’’Capitales culturelles de l’Europe’’ (depuis la création du dispositif, en 1985) :

    1985 : Athènes (Grèce)

    1986 : Florence (Italie)

    1987 : Amsterdam (Pays-Bas)

    1988 : Berlin (Allemagne)

    1989 : Paris (France)

    1990 : Glasgow (Ecosse)

    1991 : Dublin (Irlande)

    1992 : Madrid (Espagne)

    1993 : Anvers (Belgique)

    1994 : Lisbonne (Portugal)

    1995 : Luxembourg

    1996 : Copenhague (Danemark)

    1997 : Thessalonique (Grèce)

    1998 : Stockholm (Suède)

    1999 : Weimar (Allemagne)

    2000 : Avignon (France), Bergen (Norvège), Bologne (Italie), Bruxelles (Belgique), Helsinki (Finlande), Cracovie (Pologne), Prague (République tchèque), Reykjavík (Islande) et Saint-Jacques de Compostelle (Espagne)

    2001 : Porto (Portugal) & Rotterdam (Pays-Bas)

    2002 : Salamanque (Espagne) & Bruges (Belgique)

    2003 : Graz (Autriche)

    2004 : Lille (France) & Gênes (Italie)

    2005 : Cork (Irlande)

    2006 : Patras (Grèce)

    2007 : Luxembourg & Sibiu (Roumanie)

    2008 : Liverpool (Angleterre) & Stavanger (Norvège)

    2009 : Vilnius (Lituanie) & Linz (Autriche)

    2010 : Pécs (Hongrie) et un site encore non déterminé (Allemagne)

    (etc)

  • Le 24 avril 2006 à 13:00, par Ronan Blaise En réponse à : Capitales européennes de la culture : la dimension européenne sacrifiée ?

    Capitales européennes de la culture : Essen, Pécs et Istanbul recueillent les avis favorables du Jury pour 2010 :

    Après avoir auditionné les villes candidates, le jury constitué afin d’évaluer les dossiers pour les Capitales européennes de la Culture 2010 a rendu public son rapport. Celui-ci recommande que le titre de « Capitale européenne » soit attribué aux villes d’Essen, Pécs et Istanbul.

    La décision sera prise par le Conseil Culture au cours du 2ème semestre 2006, sous présidence finlandaise.

    La ville d’Essen a axé son projet sur la régénération de la région de la Ruhr à travers la culture, inscrivant ainsi sa candidature dans une perspective de long terme, donnant un caractère extrêmement innovant à son dossier.

    La ville de Pécs (Hongrie) a quant à elle mis en avant les liens culturels qu’elle souhaite développer avec les pays voisins, notamment les Balkans.

    Quant à la ville d’Istanbul, elle a axé son projet autour du thème d’ « Istanbul, ville des quatre éléments », pont entre l’Europe et l’Orient.

    La décision finale sera prise par le Conseil ’’Culture’’ au cours du second semestre 2006, sous présidence finlandaise. Les villes retenues recevront des fonds pour organiser des évènements culturels.

    - Sources : ’’Euros du village’’ (’’7 jours en Europe - Revue d’Europe’’ du Lundi 24 avril).

  • Le 12 janvier 2007 à 15:51, par Bob En réponse à : Capitales européennes de la culture : la dimension européenne sacrifiée ?

    Je ne savais pas que la Turquie faisait partie de L’Europe, donc je suis étonné du choix d’Istanbul.Ne faites vous pas erreur ?Sinon quelle explication nous donne-t-on

    BOB

  • Le 13 janvier 2007 à 13:44, par Ronan En réponse à : Capitales européennes de la culture : la dimension européenne sacrifiée ?

    Cela n’est pas une erreur, vu que l’information est puisée aux meilleures sources possibles et que cette (pré)décision est officielle.

    D’ailleurs, ce n’est pas non plus la première fois qu’une ville, située formellement en dehors du territoire de l’Union européenne, se voit ainsi décerner très officiellement le titre de ’’capitale culturelle européenne’’. (Le simple fait d’être située en dehors du territoire de l’UE ne consistant là, visiblement pas, un critère discriminant à l’égard de quelque ville que ce soit).

    Ainsi, il y a des ’’précédents historiques’’ : Bergen et Stavanger (Norvège) en 2000 puis 2008. De même que Reykjavík (Islande), en 2000 aucun de ces deux pays n’étant membre de l’Union, alors ni à ce jour). Et de même que Cracovie (Pologne) et Prague (République tchèque) en 2000, etc (Nb : alors que leurs deux pays n’étaient alors pas encore membres de l’UE...).

    Quant à Istanbul, les manuels de ’’petites classes’’ et de Collège tendent à accréditer l’idée que cette ville se trouve effectivement en Europe (puisqu’à l’ouest du Bosphore...) (bras de mer large de 550 à 3000 mètres, seulement !). Et ce, même si - effectivement - les manuels de Lycée tendent à très fortement relativiser ces ’’frontières continentales’’ qui ne sont en fait jamais que des conventions ’’culturelles’’ complètement arbitraires (et sans contenu scientifique autre que celui du ’’respect’’ dû à une vague ’’tradition’’ ’’populaire’’).

    Ainsi, il ne faut tout de même pas négliger le fait que les quartiers ouest d’Istanbul ne sont jamais que les parties ’’occidentale’’ et ’’européenne’’ d’une conurbation de près de 20 millions d’habitants située très allégrement à cheval sur les détroits... Et ce, comme s’ils n’existaient ’’physiquement’’ finalement pas (de même que la province turque dont Istanbul est la préfecture...).

    Suis d’ailleurs, en tant qu’Enseignant (en Histoire-Géo) et à propos de ces fameuses ’’frontières continentales’’ (de l’Europe), pour ma part assez stupéfié que les gens soient à ce point ’’accrochés’’ aux connaissances superficielles, simplificatrices et dogmatiques acquises en Collège.

    Et à ce point négligents ou oublieux (voire rétifs) à l’égard des connaissances complémentaires (effectivement plus complexes, mais scientifiquement pas moins inexactes : au contraire...) censées - pour cause de principe pédagogique de ’’progressivité des savoirs’’ - leur avoir été pourtant enseigné en Lycée...

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