Budget européen : les Etats contre l’Europe, l’inévitable hiatus

, par Timothée Lehuraux

Budget européen : les Etats contre l'Europe, l'inévitable hiatus
Conseil européen d’octobre 2012 - source : FlickR du Conseil européen

Le Conseil européen aborde ces 7 et 8 février la question du cadre financier pluriannuel 2014-2020. Comme escompté, le compromis est bien caché. Et la trouvaille ne pourra être que décevante. Et c’est l’Union européenne qui en sort affaiblie.

Alors qu’il serait souhaitable que le budget européen soit muni d’une plus forte capacité d’action, les négociations sont fermées, et l’option la plus minime est la mieux cotée des bookmakers. La cause n’est pas conjoncturelle, mais structurelle. La nature même du Conseil concentre les débats sur des contributions relativement faibles, quand le cadre de réflexion pertinent exige de réfléchir autrement.

Le Conseil est le seul organe qui possède de réels pouvoirs budgétaires

La répartition formelle des pouvoirs budgétaires est claire. La Commission possède le droit d’initiative. Le Parlement (uniquement compétent sur le volet “dépenses“) et le Conseil discutent jusqu’à adoption d’un Accord Interinstitutionnel juridiquement contraignant. Cette situation n’est cependant que théorique.

Le Conseil européen est seul décideur du volet "recettes" du budget européen en vertu de l’article 311-3 TFUE. En marge de l’Accord Interinstitutionnel, le Conseil adopte également une Décision sur les ressources propres, dans laquelle il fixe plafond et modalités. En outre, l’article 310-4 TFUE stipule clairement que l’équilibre budgétaire doit être respecté, et que l’emprunt est prohibé. Le niveau de recettes détermine donc le montant du volet "dépenses".

Ce monopole ne serait pas un problème si les Etats n’étaient pas les partisans de la moindre contribution. A la différence de la Commission et du Parlement européen qui sont purement supranationaux, le Conseil ne peut génétiquement pas éviter de faire l’erreur de considérer l’intérêt européen comme la seule addition des intérêts nationaux. Le budget européen reposant à 75% environ sur une participation directe des Etats Membres, en pourcentage de leur Produit National Brut (PNB), leur frilosité est d’autant plus dommageable.

La proposition initiale d’Herman Van Rompuy, président (animateur) du Conseil européen établissait un budget de 984 milliards d’Euros, soit 39 milliards de moins que les propositions de la Commission et du Parlement, de toute façon lettres mortes. Il s’agissait alors déjà d’une stagnation en termes réels par rapport aux précédentes perspectives financières.

En dépit de cela, la Suède, les Pays-Bas, le Royaume-Uni veulent à tout prix une diminution en termes constants du budget. Quant à la France, elle refuse toute diminution de la Politique Agricole Commune (PAC).

Ce qui devait arriver arriva. La dernière proposition en date de la présidence du Conseil suggère un budget européen de 973 milliards d’euros, 1,01% du PNB européen (contre 1,045% sur 2007-2013).

La crise des dettes publiques ne paralyse pas autant qu’il n’y parait

Il est compréhensible que les Etats membres soient d’autant plus jaloux de leurs deniers qu’ils les voient raréfiés. L’application d’une échelle pertinente fournit pourtant une nouvelle approche de ces négociations budgétaires, et ouvrent le champ des choix politiques possibles.

Le budget européen pour la période 2007-2013 est de 976 milliards d’euros (valeur 2011) dont 153 milliards pour l’année 2011, soit 1,12% du PIB européen. Abusif ?

La participation effective de chacun des 5 plus gros contributeurs représente en moyenne 0,81% du PIB national, et 1,02% de la dette publique. En faisant l’hypothèse que chaque pays continuera à financer la même part du budget européen qu’en 2011, une augmentation de 100 milliards d’Euros, soit environ 8 mois de budget, soumettrait l’Allemagne à une augmentation de sa contribution de 19,7 milliards sur 7 exercices budgétaires, soit environ une augmentation de 2,8 milliards d’euros par an, soit 0,1% de son PIB 2011, ou 0,13% de sa dette publique.

Et ces proportions sont similaires pour les 4 autres principaux contributeurs. Si il y a exigence de contenir la dette publique, la différence ne se joue pas à une décimale près, tant dans une finalité économique que politique.

Immobilisation des recettes… et de la dépense

Les Etats membres persistent, comme en témoignent les différentes dérogations accordées à certains contributeurs nets, grâce auxquelles ces derniers voient leur participation diminuée. Outre les règles spéciales dont bénéficient l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède et l’Autriche, le chèque britannique est le plus médiatique. Il est coûteux, et absolument injustifié. Les conditions dans lesquelles il avait été obtenu par Margaret Thatcher en 1984 n’existent plus. Sa modification n’est cependant pas à l’ordre du jour.

Non contents de raréfier les crédits européens, les Etats Membres empêchent également une discussion complètement libre sur leur allocation, encouragés par le veto que leur offre le vote à l’unanimité. Au mépris de certaines actions à l’efficacité reconnue, et de leur propre intérêt à long-terme.

La PAC n’est ni plus ni moins que le pendant français des dérogations accordées aux cinq autres contributeurs nets. Ses objectifs originels ont certes été remplis. Mais entre pourfendeurs du budget, et ardents défenseurs d’une dépense injustifiée, les compromis successifs n’ont permis que la simple addition des préférences nationales, inadaptée aux nouvelles conjonctures.

Pendant ce temps, le programme ERASMUS (2,79 milliards d’Euros sur 7 ans, 145 000 étudiants concernés par an), qui contribue à la fabrication d’une génération européenne non pas seulement « en soi », mais aussi « pour soi » fait office de victime collatérale. Aucun des Etats Membres ne semble voir cet outil, comme un enjeu stratégique et politique majeur pour son propre compte. Quant à « Europe 2020 », l’agenda de croissance, il pleure ses moyens.

La Commission n’est pas exempte de tout reproche

En outre, la Commission ne parait capable d’échapper à son impuissance frappante. Il existe il est vrai plusieurs causes externes à cet état de fait. La répartition des pouvoirs budgétaires et l’origine des ressources du budget européen ne lui laissent que peu de marge de manœuvre. D’autre part, la présidence permanente du Conseil, issue de la dernière version du Traité (négociée à Lisbonne en 2007) éclipse la présidence de José Manuel Barroso dans l’opinion, et loin de donner un visage à l’UE, ajoute de la confusion auprès des citoyens.

Toutefois la discrétion de la Commission est palpable au-delà des seules questions budgétaires. Elle fait moins de propositions que par le passé. Et la part de celles qui sont dites « spontanées », c’est-à-dire non précédées d’une demande du Conseil, a également diminué.

C’est donc qu’outre les limitations institutionnelles, ce sont les hommes qui composent la Commission qui faillent à faire valoir son rôle d’animateur et de médiateur. José Manuel Barroso en tête, par ailleurs partisan d’une austérité européenne, en soutien symbolique des austérités nationales. A l’inverse Jacques Delors témoignait d’une capacité individuelle à modifier le jeu institutionnel.

Le budget européen doit grandir dans l’intérêt de l’Europe

L’enjeu est de taille. L’UE a besoin d’un budget plus important pour pouvoir exister, et légitimer son action. Il est aussi primordial que se dégagent des capacités d’investissement en infrastructures, en recherche et développement. L’échelon européen, vecteur d’économies d’échelle, s’avère être le niveau politique pertinent pour défendre les intérêts européens, y compris les intérêts des différentes nations européennes.

A plus long terme, il serait nécessaire d’organiser la communautarisation des recettes, de créer de véritables ressources propres, afin que les contributions des Etats Membres y occupent une place moins importante. Légitimité de l’impôt et dynamique communautaire pourraient alors se rejoindre. En ce sens, le débat porterait sur d’authentiques options politiques, et non sur des variables d’ajustements en Etats. C’est ce que le Parlement notait le 29 mars 2007, dans une résolution proposant une réforme du volet « recettes ».

Pour cela, il faudrait d’abord munir le Parlement européen d’un plus grand pouvoir budgétaire, afin d’équilibrer la vision inévitablement intergouvernementale du Conseil. Cela modifierait les termes de l’« interdépendance stratégique » au sens de Michel Crozier, et donc de l’équilibre institutionnel, et inscrirait les négociations dans un cadre pertinent.

Il n’est pas question d’appeler à une disparition des Nations, ni à leur dépassement qui dans un élan despotique nierait leur existence. L’objectif est de faciliter l’expression de l’intérêt européen, qui les complète chacune, et les réunit toutes.

La hauteur de vue politique comme première étape

Si le problème et la solution sont à chercher dans l’architecture institutionnelle, le seul carburant efficace reste la volonté des hommes qui habitent ces structures à élever leur vision au-dessus d’elle.

Le Conseil n’est certes pas adapté pour développer une analyse qui sortirait de lui-même, tout comme il est difficile pour un individu d’objectiver sa propre situation. Et pourtant, il est fait de politiques, dont nous sommes en droit d’exiger une hauteur de vue qui confère à l’élévation au-dessus de soi. Leur volonté politique est d’autant plus primordiale, que toute modification de structure et de ressource repose sur une volonté partagée des Etats membres.

Lors d’un discours à Strasbourg, le 11 septembre 1952, Jean Monnet avait dit : « Cette union européenne ne peut pas se fonder seulement sur les bonnes volontés. Des règles sont nécessaires. » Or, les bonnes règles ne peuvent espérer qu’en ceux qui ont le pouvoir de les éditer…

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Vos commentaires
  • Le 8 février 2013 à 11:17, par Letaulier En réponse à : Budget européen : les Etats contre l’Europe, l’inévitable hiatus

    « Le Conseil est le seul organe qui possède de réels pouvoirs budgétaires »

    Faux. Le parlement européen dispose d’un droit de véto et certains membres de cette assemblée menacent actuellement d’en user si le budget proposé par le Conseil ne leur convient pas.

  • Le 8 février 2013 à 15:21, par Fabien Cazenave En réponse à : Budget européen : les Etats contre l’Europe, l’inévitable hiatus

    @Letaulier : sauf que en 2011 le Parlement s’était couché face aux Etats après pourtant de nombreuses rodomontades : http://www.taurillon.org/Budget-europeen-2011-nous-avons-perdu-face-aux-Etats

    De plus, comme ce sont les Etats qui payent pour le budget, le Parlement peut dire ce qu’il veut, les Etats n’en feront qu’à leurs 27 têtes, malheureusement...

    Espérons que les eurodéputés me feront mentir !

  • Le 8 février 2013 à 17:34, par Letaulier En réponse à : Budget européen : les Etats contre l’Europe, l’inévitable hiatus

    @Cazenave

    Sauf que cette année la donne a changé. 1- D’abord il s’agit de budget pluriannuel qui engage sur plusieurs année les Etats. 2- En 2011 le budget proposé par les Etats était en progression en euro constant alors qu’actuellement il y a une forte diminution nominale (et sans parler de la Croatie qui va entrée et qui ne sera pas un contributeur net). 3- Mais surtout il est fortement question d’un vote à bulletin secret pour protéger les députés de toute pression de leur gouvernement.

    Si le véto passe les Etats devront revoir leur copie et si rien n’aboutit c’est l’ancien budget pluriannuel qui est reconduit augmenté de l’inflation soit beaucoup mieux que ce qui est sur la table actuellement.

  • Le 10 février 2013 à 12:00, par olivier En réponse à : Budget européen : les Etats contre l’Europe, l’inévitable hiatus

    Oui mais si le veto du parlement européen entraine l’adoption de l’ancien budget annuel augmenté de l’inflation et que les états décident de diminuer leurs contributions on va arriver au final à un problème de paiement : des dépenses votées ne pourront pas être payées. Ce qui ternira encore plus l’image de l’institution européenne auprès des acteurs impliqués dans ses politiques.

  • Le 10 février 2013 à 14:18, par Stephanell En réponse à : Budget européen : les Etats contre l’Europe, l’inévitable hiatus

    Il est indispensable que le PE rejette cet accord d’autant plus que ce rejet n’entrainera pas de blocage des institutions, bien au contraire, et cela mérite d’être souligné.

    Car un tel rejet permettra la reconduction automatique du cadre financier 2013, plus favorable que l’accord trouvé vendredi. A terme, ce rejet démontrera aussi que prendre des décisions de cette importance à l’unanimité en Conseil avec véto parlementaire est totalement impraticable ; les États devront réformer cela et ca ne pourra aller que dans le sens de plus de démocratie.

    @Letaulier Etes-vous sûr que cette reconduction du cadre financier 2013 prendra en compte l’inflation ? Je ne vois cela dans aucun texte, mais vous pourrez peut-être éclairer ma lanterne

    @Olivier Depuis quand les Etats peuvent-ils décider tous seuls de diminuer leurs contributions ? Le système de contributions est décidé par les États, certes, mais le niveau des contributions dépend du cadre pluriannuel (véto parlementaire) et des budgets annuels (codécision). Autrement dit, je ne pense pas que les Etats peuvent déséquilibrer recettes et dépenses librement comme vous le craignez.

  • Le 10 février 2013 à 17:50, par Letaulier En réponse à : Budget européen : les Etats contre l’Europe, l’inévitable hiatus

    @Olivier

    Le budget ne fonctionne pas comme cela. Si l’ancien budget est reconduit les Etats n’ont pas d’autre choix que de payer. Ceux qui ne paient pas s’exclueraient de facto de l’UE.

  • Le 10 février 2013 à 23:39, par Marc-Antoine En réponse à : Budget européen : les Etats contre l’Europe, l’inévitable hiatus

    Excellent article ! ( et bien rérérencé sur Google news )

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