Biélorussie : Comment Loukachenko est arrivé au pouvoir

Biélorussie : Comment Loukachenko est arrivé au pouvoir

Indépendant depuis le 25 août 1991, le Bélarus, « centre de l’Europe », comme son Président se plaît à le rappeler, n’a connu qu’ « un court intermède démocratique ». Si court que trois ans plus tard, la jeune République se voyait cataloguée, par le monde occidental, parmi les régimes dictatoriaux.

Après l’élection d’Alyaksandr Ryhoravitch Loukachenka à la présidence de la République en juillet 1994, suite aux seules élections démocratiques que le pays ait pu connaître depuis, le chef de l’État s’est emparé du pouvoir et y a fermement installé un régime autoritaire.

En tant que président de la commission de Lutte anti-corruption, il a de manière surprenante évincé ses adversaires car ils l’avaient sous-estimé. Il avait joué sur les problèmes de corruption et de crise financière, en y parsemant la nostalgie du passé où la République soviétique du Bélarus avait connu une situation très prospère en comparaison avec les autres républiques de l’URSS.

Loukachenka ainsi tire depuis sa puissance de l’articulation savante entre isolement de la société civile et implantation d’une idéologie nationaliste, issue de sa propre nostalgie du passé soviétique. Grâce à des pseudo-mécanismes démocratiques constitutionnels, le régime se maintient sans trop de difficultés. Succession d’État oblige, et comme un nombre de textes internationaux, tels que la convention internationale sur les Droits civils et politiques et la convention contre la Torture, ont été signés et ratifiés pendant la période soviétique, l’adhésion du Bélarus y a de surcroît été rapidement renouvelée lors de l’instauration du nouveau pouvoir démocratique après l’indépendance. Le Bélarus a notamment reconnu la compétence de la commission onusienne des Droits humains ou encore le Premier protocole optionnel (entré en vigueur le 30 décembre 1992).

Cependant, depuis 1995, et les premières manifestations de l’arbitraire présidentiel, les contacts du Bélarus avec le monde occidental ont commencé à se détériorer, le Bélarus étant toujours le seul État européen à ne pas faire partie du Conseil de l’Europe (son statut d’invité spécial ayant été suspendu en 1997) et dont l’adhésion à la commission onusienne sur les Droits humains a été suspendue en mai 2007 à cause des violations massives des dits droits humains qui ont eu lieu dans ce pays.

La Constitution de 1996, mise en place par un référendum tenu en 1995 et 1996, dont la valeur juridique a été contestée par le Conseil de l’Europe, par l’Union européenne et l’opposition bélarussienne, constitue pour Loukachenka le début de son mandat. Par conséquent, des élections présidentielles n’ont eu lieu au Bélarus qu’en 2001. Le référendum de 2004, quant à lui, éliminera toute limite de nombre de mandats, lui permettant de se porter candidat à nouveau en 2006 et, aujourd’hui, en 2010. Avec le « coup d’État décisif » de 1996, par lequel les symboles nationaux sont remplacés par ceux de l’époque soviétique et le russe est rétablit comme langue nationale à égalité avec le bélarussien, « la routine des élections truquées » s’instaure dans le quotidien des Bélarussiens.

Cette Constitution offre, en dépit de toute contestation, au moins théoriquement, la garantie de la séparation des pouvoirs, des droits et libertés, de la non discrimination, de la vie, de l’intégrité corporelle, et, surtout, « à une défense égale des droits » « et libertés par une cour compétente, indépendante et impartiale, dans les délais légaux » dans la présomption d’innocence. C’est pour cette raison que les appels sont bien souvent confirmés par les cours de justice et les peines capitales sont rapidement exécutées.

Par conséquent, la séparation des pouvoirs est remise en question d’un côté par les dispositions suivantes de la Constitution sur la nomination des juges, et de l’autre par les différents rapports émis par des organisations non-gouvernementales ou régionales de protection des droits humains, soulignant la pression exercée par les autorités exécutives sur les juges afin que ceux-ci ignorent les preuves quant à l’usage de la torture, devant des fois demander même l’exil. C’est le cas également pour les avocats, dont la licence émise par le ministère de l’Intérieur peut leur être retirée à tout moment. De plus, les rapports soulignent l’absence d’autorités aptes à conduire des investigations sur ces allégations.

La réalité devient encore plus sombre par le prisme législatif, où le Parlement est complètement assujetti au Président, représentant de facto de l’exécutif, en vertu de la modification constitutionnelle de 1996, transférant les pouvoirs en faveur du Chef de l’État. Parlement bicaméral, et en théorie associé à la direction du pays, l’institution représentant le législatif comprend huit des membres du Conseil de la République, la chambre haute, qui sont nommés par le chef de l’État. De plus, le reste des membres de la chambre des représentants ne connaît depuis bien longtemps des membres de l’opposition, la plupart étant des candidats indépendants. En ce qui concerne les lois, celles-ci sont considérées par la même Constitution, d’une même valeur avec les décrets présidentiels, les derniers leur prévalant en cas où il y aurait un conflit. Ainsi, les réformes sont depuis des années adoptées par décret présidentiel, les dernières en date sur la règlementation de l’internet et de la langue.

Et voilà comment tout a commencé… pour qu’aujourd’hui le Bélarus soit inscrit, entre autres, parmi les douze pays les plus punitifs au monde, avec un taux de population carcérale de 554 détenus pour 100 000 habitants. La tentative de tenir la Gay Pride à Minsk s’est conclue par des arrestations, les minorités de tous bords faisant constamment l’objet de discriminations et empêchements de la part des autorités pour exprimer librement leur diversité.

Extrait modifié, complété et mis à jour de l’article «  Bélarus : le parcours d’un condamné lambda », paru dans le « Le Passe-murailles », revue du GENEPI, mars/avril 2010, p. 82-85

Illustration : Alyaksandr Ryhoravitch Loukachenka

Crédits : siru.skyrock.com

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