Belgique et liberté de la presse

Rapport « Goodbye to Freedom »

, par Michel Theys

Belgique et liberté de la presse

Le rapport sur la liberté de la Presse en Europe « Goodbye to Freedom » vient d’être publié par l’Association des Journalistes Européens. Le Taurillon a décidé de publier le résultat de cet énorme travail. Aujourd’hui, voici la situation en Belgique.

La liberté de la presse peut-elle rimer, dans les faits, avec la précarité toujours plus grande des journalistes ? Telle est la question qui se pose aujourd’hui de manière de plus en plus lancinante pour qui observe le microcosme journalistico-médiatique de Belgique.

Comme dans la plupart des pays de l’Union européenne, en particulier ceux de la « vieille Europe », les journalistes belges ont le privilège de pouvoir pratiquer leur métier dans un contexte de relative sécurité. On n’y meurt pas pour ce qu’on a écrit ou montré ; aucun journaliste belge ne croupit au fond d’une prison parce qu’il a déplu…

Tout est-il, dès lors, pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Non, une vigilance permanente s’impose. Ainsi, après avoir été condamnée, en juillet 2003, par la Cour européenne des droits de l’homme pour des perquisitions illégales visant à identifier les sources de journalistes, la Belgique a, en 2005, adopté une loi sur la protection des sources qui, selon la profession, peut être citée en exemple dans le monde entier. Ce qui n’a pas empêché un journaliste d’un magazine néerlandophone, "Humo", d’avoir été depuis inculpé d’association de malfaiteurs pour... avoir refusé de dévoiler le nom de ses informateurs.

De la même manière, peut-on lire dans un Mémorandum adressé par l’Association générale des journalistes professionnels de Belgique (1) aux autorités politiques belges, certaines méthodes de recherche – des repérages de téléphonie mobile visant à établir si des journalistes ont été appelés par un appareil donné, par exemple – contournent l’esprit et la lettre de la loi, laquelle stipule clairement : « Il ne pourra être procédé à aucune mesure d’information ou d’instruction concernant des données relatives aux sources d’information » des journalistes. Et au cours des prochains mois, il est prévisible que les bénéficiaires de la loi sur la protection des sources auront à se mobiliser pour que ses dispositions ne soient pas contournées au nom de l’efficacité de la lutte contre le terrorisme à mener par les services de renseignement et de sécurité.

Toutefois, dans le monde qui est le nôtre, les journalistes de Belgique seraient, pour un peu, à ranger dans la catégorie des privilégiés… s’ils n’étaient pas confrontés à une menace autrement insidieuse. Liberté de la presse rime obligatoirement avec presse de qualité, faute de quoi la revendication perd l’essentiel de sa pertinence. Or, est-il possible de soutenir que toutes les conditions sont désormais réunies, en Belgique, pour contribuer à un journalisme – donc à une presse – de qualité ? A l’heure où les facilités de la « communication » bien formatée séduisent de plus en plus les décideurs, qu’ils soient publics ou privés, tous les

responsables des divers médias se donnent-ils les moyens de résister à cette vague déferlante, à n’y point succomber en continuant à investir pour que la communication soit transformée en information crédible par le travail de leurs journalistes ?

Le problème posé par les journalistes, c’est qu’ils coûtent. Là où les publicitaires et les « penseurs » d’un marketing de plus en plus agressif sont censés « rapporter », les journalistes, eux, « coûtent », surtout s’il leur prend l’envie de faire correctement leur métier : approfondir un sujet, investiguer au-delà du vernis communicationnel, recouper leurs sources… Toutes choses qui prennent du temps, là où, les entreprises de presse étant dans une logique de rentabilité économique, « le temps, c’est de l’argent ». Le rendement a donc supplanté la quête de qualité, même si beaucoup de journalistes, par amour de leur métier, cherchent encore à concilier les deux en « prenant sur eux »…

Dans un édifiant « Livre noir des journalistes indépendants » (2) édité par l’Association des journalistes professionnels (1) lors du lancement d’une campagne de sensibilisation baptisée « Pigiste, pas pigeon », Jean-François Dumont pose un diagnostic accablant :

 Derrière la façade prestigieuse des grands médias francophones de Belgique se développe un prolétariat intellectuel dont le grand public ignore les incroyables conditions de travail et leurs conséquences sur la qualité de l’information. Revenus inférieurs au minimex, barèmes inexistants ou fixés à la tête du client, concurrence effrénée, retard ou refus de paiement du commanditaire, soumission absolue aux exigences de l’employeur, textes commandés et jamais publiés… Voilà le sort que partagent de plus en plus de journalistes indépendants, qu’ils soient rédacteurs, pigistes à la radiotélévision, photographes ou caméramans.

Par obligation plus souvent que par choix, un quart des journalistes professionnels de Belgique émarge à la catégorie des indépendants. Taillables et corvéables à merci. Selon le Mémorandum de l’AGJPB et de l’AJP, un reportage pourra parfois être payé 35 € bruts, une page entière à peine70 € bruts… La misère ! Avec, à la clé, l’obligation de « faire beaucoup de ménages » pour s’en sortir dans la vie, un articulet à droite, une brève à gauche, à la va-vite. Sans compter tous ceux qui, dans le cadre de stages lors de leurs études ou au sortir, viennent leur faire concurrence pour moins cher encore… D’où cette appréciation de Marc Chamut, président de l’AJP :

 C’est cette armée d’indépendants malheureux, stagiaires et journalistes en herbe pour la plupart, hors de la moindre structure barémique, de toute convention, faux indépendants très souvent et dans ce cas taillables et corvéables à merci et sans filet, qui donne le ton au métier. Pas seulement au leur. A toute la profession. Par la loi impitoyable de l’offre et de la demande.

En Belgique, la liberté de la presse vit donc sous la menace bien réelle d’être réduite toujours plus au précaire. Et une liberté précaire, est-ce encore la vraie liberté ?

Le Taurillon remercie l’Association des Journalistes Européens pour l’autorisation de publier cet issu du rapport « Goodbye to freedom » et de sa mise à jour du mois de février 2008.

Le Taurillon signale à ses lecteurs que le titre original de cet article était Belgique : une liberté réduite au précaire, mais dans un soucis de cohérence nous avons repris le même libellé que les autres articles du rapport.

Illustration :

 drapeau belge ; source : wikipedia

 logo de l’AJE

 logo du rapport « Goodbye to freedom »

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom