Autriche et liberté de la presse

Rapport « Good Bye to Freedom »

, par Traduit par Emmanuel Vallens, Otmar Lahodynsky

Autriche et liberté de la presse

Le rapport sur la liberté de la Presse en Europe « Goodbye to Freedom » vient d’être publié par l’Association des Journalistes Européens. Le Taurillon a décidé de publier le résultat de cet énorme travail. Aujourd’hui, voici la situation en Autriche.

Situation générale

En Autriche, l’atmosphère s’est globalement améliorée pour la liberté de la presse. Selon l’index 2006 de la liberté de la presse dans le monde, publié par Reporters sans Frontières, l’Autriche se situe en 16ème position, aux côtés du Canada et de la Bolivie, ce qui constitue une amélioration par rapport aux années antérieures. En 2003, l’Autriche ne se situait qu’en 26ème position, essentiellement en raison des intrusions dans le travail médiatique de la coalition au pouvoir, du Parti populaire, le conservateur ÖVP et du FPÖ, le parti libéral.

Depuis le 11 janvier 2007, l’Autriche est gouvernée par une grande coalition composée des sociaux-démocrates (SPÖ) et du Parti Populaire ( ÖVP). Avant les élections législatives, un nouveau président et les directeurs de la radio et de la télévision publique ORF, encore dominante, ont été nommés par son Conseil de fondation (Stiftungsrat), composé de 35 représentants de divers partis politiques.

Le système de gouvernance de l’ORF est fondé sur la loi sur l’audiovisuel (Rundfunk Gesetz), qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2002. Depuis longtemps, les journalistes se plaignent de l’interférence politique systématique dans leur ligne éditoriale, et ce quel que soit la couleur politique des gouvernements. Ces plaintes ont crû en intensité sous le dernier gouvernement (dirigé par le ÖVP). Les préoccupations se sont essentiellement concentrées sur les effets des directives politiques indiquant quelles nouvelles et quelles conférences de presse devaient faire, ou non, l’objet d’une couverture en prime time.

...les journalistes se plaignent de l’interférence politique systématique dans leur ligne éditoriale...

Le nouveau gouvernement a pour l’instant bénéficié d’une nette diminution des plaintes de cet ordre. Certains journalistes de l’ORF ont publiquement déclaré que l’ambiance était désormais moins effrayante. Depuis l’été 2006, une commission interne de l’ORF a instruit les allégations de discrimination dans les affaires de personnel et de carrière.

Dans le domaine de la presse écrite, la domination d’un groupe de magazines, News-Verlag, reste très prononcée. La compagnie appartient et est essentiellement contrôlée par deux éditeurs allemands, Gruner+Jahr et WAS, ainsi que par une banque autrichienne. News-Verlag détient plusieurs importants titres de magazine autrichiens, y compris les hebdomadaires Profil et NEWS. En 2006, les frères Fellner, qui avaient été d’importants actionnaires de News-Verlag, vendirent l’essentiel de leurs actions pour fonder leur propre quotidien, dénommé Österreich.

Le plus grand journal autrichien au format tabloid, le Kronen-Zeitung (avec un lectorat d’environ 2,8 million de personnes) a dû faire face à un nouveau concurrent, un quotidien gratuit intitulé Heute. Mais Rubina Möhring, chef de la section autrichienne de Reporters sans Frontières, estime que si la situation de la liberté de la presse en Autriche s’est globalement améliorée, la concentration dans la presse imprimée reste un sujet important de préoccupation.

Etude de cas : les médias et la législation autrichienne sur la négation de l’Holocauste.

Depuis septembre 2006, la question de la liberté de la presse a été soulevée à l’occasion de plusieurs affaires en vue, liées aux comptes-rendus faits des commentaires de personnalités publiques sur les crimes nazis :

Le 23 août 2007, Gerd Honsik, un écrivain et propagandiste autrichien néonazi qui avait été condamné et qui s’était échappé, a été arrêté en Espagne par le biais du mandat d’arrêt européen. Honsik avait été condamné en Autriche en 1992 à un an et demi de prison pour négation de crime nazi dans ses propres publications, notamment le magazine Halt et son livre Freispruch für Hitler (Acquittement pour Hitler). Exilé en Espagne où il s’était enfui, il avait continué à publier pendant plusieurs années et à diffuser dans de nombreux pays des textes de d’extrême droite disculpant Hitler.

Durant toutes ces années, les autorités espagnoles avaient refusé de l’extrader car l’Espagne n’avait pas de loi interdisant les écrits d’extrême droite, y compris la négation de l’Holocauste. Et même lorsque l’Espagne eut adopté en 1996 sa propre loi faisant de la négation de l’Holocauste un crime, Gerd Honsik ne pouvait pas être extradé en raison de la non-rétroactivité du texte.

Toutefois, la nouvelle législation semble avoir rendu Honsik plus prudent dans la propagation de ses vues. Le procureur de Vienne a pu avoir recours au mandat d’arrêt européen pour effectuer l’arrestation en Espagne, car les délits liés ai racisme et à la xénophobie font partie de ceux pour lequel le mandat d’arrêt européen peut être utilisé. M. Honsik a été finalement extradé vers l’Autriche le 4 octobre 2007. On s’attend à ce que sa condamnation antérieure de 18 mois soit exécutée, et les procureurs autrichiens montent également un nouveau dossier contre lui, pour de nombreux autres actes de négation de l’Holocauste et de diffusion de propagande nazie.

Il convient de noter que l’historien britannique David Irving a fait l’objet d’une libération anticipée en Autriche en décembre 2006. Irving avait été condamné par un juge autrichien à trois ans d’emprisonnement en février 2006 pour avoir contesté l’existence des chambres à gaz dans des camps de concentration nazis lors de conférences publiques tenues en Autriche en 1989. C’est le magazine Profil qui avait fait le compte-rendu de ces conférences et qui avait publié ses commentaires, sur la base d’un entretien avec lui. M. Irving a annoncé lors de sa libération qu’il poursuivrait le gouvernement autrichien et continuerait à donner des conférences sur le régime hitlérien, au cours desquelles il a déclaré qu’il révélerait « la vérité ».

Dans une autre affaire majeure, la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg a rendu l’année dernière son jugement définitif sur une affaire mettant en cause l’auteur du présent rapport de l’AEJ sur l’Autriche, qui est également le rédacteur en chef du magazine Profil et président de la section autrichienne de l’AEJ. Le dirigeant d’alors du FPÖ, Jörg Haider, avait poursuivi Profil pour un article dans lequel le journaliste critiquait Haider et sa banalisation de la réalité des camps de concentration nazis, en les décrivant comme des « camps de correction ». Haider avait gagné devant les tribunaux autrichiens à deux reprises, ce qui avait forcé le magazine à payer une amende à M. Haider. Profil a ensuite fait appel devant la Cour européenne de Strasbourg, qui a rendu un arrêt en sa faveur en 2006. Les juges ont estimé qu’un journaliste pouvait à bon droit critiquer Haider comme il le faisait, et que la République autrichienne se trouvait en tort, du fait des décisions juridictionnelles imposant illégalement une amende au magazine.

Conclusion et suites :

Les médias doivent conserver leur liberté d’informer et de commenter le comportement de ceux qui épousent des idées extrémistes ou qui tentent de fausser les connaissances établies sur l’Holocauste durant la période nazie.

Ces récents événements et procès démontrent l’importance vitale pour les sociétés démocratiques de maintenir la vigilance pour la défense de la liberté d’expression et des médias.

Mise à jour février 2008

A la fin du mois de janvier 2008, la Commission européenne a indiqué à la télévision et à la radio publiques autrichiennes, l’ORF, que sa structure financière était incompatible avec le droit communautaire. Une plainte pour aides illégales a été déposée contre la république autrichienne. Les autorités de la concurrence européenne sont intervenues en réaction aux plaintes de certaines chaînes et stations autrichiennes commerciales, selon lesquelles la concurrence est faussée par le fait que la chaîne publique bénéficie du cumul de la redevance audiovisuelle et des revenus commerciaux, notamment dans les nouveaux secteurs comme l’Internet et les chaînes payantes.

La République autrichienne doit répondre à la Commission et indiquer quelle est sa définition de l’intérêt général dans la programmation et faire un état de la situation des subventions croisées dans des secteurs comme la chaîne spéciale TW1 de l’ORF et ses services en ligne. L’ORF est victime de graves problèmes financiers, mais certains de ses responsables ont indiqué qu’ils pourraient rechercher un compromis comprenant la réduction de la publicité sur le site Internet de la chaîne.

Une plainte équivalente, qui avait été engagée plus tôt contre les groupes de télévision publique allemands ARD et ZDF, fut résolue en 2007 lorsqu’elles s’engagèrent à apporter plusieurs modifications pour répondre aux plaintes de leurs concurrents commerciaux. Le recours de la Commission a coïncidé avec la décision de l’ORF d’augmenter la redevance audiovisuelle de 9,4% à partir de juillet 2008

Le Taurillon remercie l’Association des Journalistes Européens pour l’autorisation de publier cet issu du rapport « Goodbye to freedom » et de sa mise à jour du mois de février 2008.
Illustrations :

 Illustration : Zeitungen und Zeitschriften, source : Katarina Rozman

 le logo de l’AEJ

 le logo du rapport « Goodbye to freedom »

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