Taurillon : Comment la part du PEAD et le nombre et le profil des populations bénéficiaires ont-ils évolué depuis 1987, en ce qui concerne les Restos du coeur ?
Olivier Berthe : La part du PEAD est de 23 %, en ce qui concerne l’aide alimentaire des Restos du Cœur. Tandis que la part du PEAD est restée stable, le nombre de personnes aidées a été multiplié par 12 en 25 ans. Le profil des personnes concernées a lui aussi évolué. Ainsi, à la création du PEAD en 1987, les Restos du Cœur accueillaient presque uniquement des chômeurs. Aujourd’hui, les Restos du Cœur accueillent également des travailleurs pauvres, des personnes âgées, des mères élevant seules leurs enfants, des jeunes de moins de 25 ans. Aujourd’hui, les chômeurs ne représentent dès lors plus que la moitié des personnes accueillies pas les Restos du Cœur.
Taurillon : Quels scenarii seraient à privilégier, selon vous, à l’avenir, pour le financement de l’aide alimentaire ? La solution doit-elle être forcément fédérale ou l’argument des Etats opposés au PEAD est-il recevable ?
Olivier Berthe : La sécurité alimentaire constitue, à mon sens, un sujet fédéral. Chaque Etat est trop petit pour maîtriser les fluctuations des prix des matières premières, pour lutter contre les gaspillages. L’autosuffisance alimentaire est un sujet fondateur de l’Europe, la PAC ayant étant créée dans cet objectif. Pour moi, il aurait été préférable de maintenir le PEAD dans le giron de la PAC. Ceci aurait pu continuer d’illustrer la solidarité du monde agricole vis-à-vis de ceux qui ne mangent pas à leur faim.
De plus, aujourd’hui, la Commission européenne propose un programme d’un montant insuffisant (2,5 milliards d’euros). Pour nous, associations humanitaires, ce montant devrait être au minimum de 3, 5 milliards d’euros (aide équivalente à aujourd’hui), voire de 4,7 milliards d’euros (pour tenir compte de l’évolution de la situation et de l’extension du fonds aux sept Etats réfractaires).
Taurillon : Les associations d’aide aux plus démunis sont-elles audibles au niveau européen, notamment lors des négociations budgétaires ?
Olivier Berthe : Les associations humanitaires pratiquement une forme de lobbying européen. Des auditions ont, par exemple, lieu avec des députés européens. En juillet 2011, le PEAD a obtenu un vote favorable des eurodéputés.
En outre, une solidarité existe avec les associations humanitaires d’autres Etats-membres. Ainsi, en octobre 2011 et 2012, nous avons rencontré des associations allemandes, à l’instar d’Eurodiakonie, Die Taffeln et BAFGW. Ces associations ont publié un communiqué et vont relayer Airfood Project au niveau européen.
En outre, je tiens à rappeler que si les dirigeants européens estiment que le sujet de la lutte contre la pauvreté et la précarité n’est pas assez important pour écouter ce que disent les associations humanitaires, alors ils doivent refuser le Prix Nobel de la Paix.
Taurillon : Quel impact de la campagne Airfood Project escomptez-vous ? Constitue-t-elle une rupture dans la stratégie communicationnelle des associations caritatives ?
Olivier Berthe : Il y a actuellement 18 millions de personnes bénéficiant de l’aide alimentaire. Nous souhaiterions donc que au moins 18 millions de citoyens européens soutiennent la campagne. Le programme a une toute petite chance d’être maintenu. Et il aura d’autant plus de chance d’être maintenu que la mobilisation des Européens -notamment des Allemands- sera forte.
La campagne Aifrood Project constitue non pas une rupture, mais une évolution de notre stratégie. Grâce aux réseaux sociaux, les messages sont viraux et rapidement viraux. Or nous sommes engagés dans une véritable course à la montre. Nous n’avons ainsi que cinq semaines pour réagir.
Taurillon : Quelles conséquences sociales aurait la suppression du PEAD ?
Olivier Berthe : Plus on fragilise les associations humanitaires, laïques, indépendantes et n’ayant qu’une vision humanitaire, plus les personnes aidées sont susceptibles de se tourner vers d’autres types de structures (associations communautaristes, mafias, « marchands de sommeil » ou exploiteurs de toutes sortes…), lesquelles se mettent en place pour exploiter la misère. Les sociétés humanitaires empêchent les sociétés de se gangréner. Cet argument n’est pas encore utilisé car la Commission européenne a le mérite de proposer des pistes d’amélioration et que nous préférerons, en phase de négociation, éclairer d’un point de vue positif. Mais en cas de décision défavorable le 23 novembre, on tirera le signal d’alarme et on soulignera les risques d’implosion sociale.
Suivre les commentaires :
|
