À l’Est, du nouveau ?

, par Aurélien Neu, Tatiana Dmitrieva

À l'Est, du nouveau ?

Si l’Europe s’est d’abord concentrée sur elle-même ces dernières semaines en raison de l’élection des députés européens, c’est un regard au-delà de ce qu’il suffit de nommer pour engager le débat, c’est-à-dire ses frontières politiques, que nous souhaiterions proposer au cours des lignes qui vont suivre.

On a en effet souhaité s’intéresser à un voisin géographique de l’Union européenne dont les qualificatifs semblent varier selon les interlocuteurs, partenaire nécessaire pour certains et ennemi pour d’autres, c’est-à-dire la Fédération de Russie. Si l’accumulation des pierres d’achoppement entre ces deux acteurs suffirait à constituer une carrière, on a choisi de délaisser les cris et les gestes, car confiants dans l’idée que les pierres servent aussi à bâtir. Dès lors, quelle est la perception qu’ont aujourd’hui les Russes de l’Union européenne ? Et quelle place pour les Européens (investisseurs et citoyens) en Russie ?

La dimension européenne de la Russie

Il nous faut d’abord dire qu’il y a déjà plus de trois siècles, Pierre le Grand, premier empereur de l’empire russe, « a ouvert la fenêtre de la Russie sur l’Europe ». Adieu les vieilles coutumes russes, les boyards barbus, les vêtements aux larges manches… L’européanisation s’est levée à l’horizon, et même plus, la transformation de la Russie en une puissance européenne. C’est ainsi que sont apparus sur le sol russe deux courants de pensée très distincts qui ne cesseront dès lors de s’affronter : l’occidentalisme et le slavophilisme. D’un côté, un retard de civilisation russe qui ne peut être corrigé qu’à l’école de l’Occident, et de l’autre un génie propre à la Russie qui, une fois évincées les influences occidentales et asiatiques, est à la source d’une destinée manifeste proprement russe.

Or la dimension européenne de la Russie ne semble faire aucun doute. Au niveau géographique d’abord, de l’Atlantique à l’Oural, l’espace russe est ancré à l’espace européen. Le père de cette frontière conventionnelle n’est autre que le géographe officiel de Pierre le Grand, Vassili Tatichtchev, qui avait été chargé par l’empereur de fixer une limite dans l’unique but de faire de Moscou une ville européenne (jusque là, les Européens la plaçaient en Asie). Ainsi la Russie n’a jamais cessé de faire partie du concert des nations qui a décidé du sort de l’Europe jusqu’à la fin du XIXe siècle. Par ailleurs, on peut rappeler que le potentiel industriel et humain de la Russie est aujourd’hui concentré pour l’essentiel dans la partie européenne de son territoire. Le long de la Volga par exemple, dans des villes qui dépassent toutes le million d’habitants comme Krasnodar, Rostov-sur-le-Don et Samara, où sont implantées des entreprises européennes (françaises, allemandes, néerlandaises...) dans des secteurs d’activité aussi variés que l’alimentaire, les télécommunications ou encore la chimie industrielle.

Europe-Russie, des chemins divergents

Dans le même temps, l’Europe n’a cessé d’emprunter la voie de l’intégration vers une Union politique après la seconde guerre mondiale, supposant un nécessaire dépassement des souverainetés, dont le principal jalon sera posé en 1992 avec le Traité de Maastricht qui met sur pied l’Union européenne. À la même date de cette unification poussée qui s’engage, la Russie connaît le démembrement de l’après-période soviétique. À ce titre, la question de la dissolution de l’URSS doit être vue des deux côtés du miroir. Perçue, à juste titre, par les Européens comme un grand pas vers la liberté et la démocratie pour l’ensemble de ce qui était communément appelé le bloc de l’Est, le mois de novembre 1989 a signifié pour bon nombre de Russes l’effondrement moral, économique et politique de leur pays.

Durant une décennie, la Russie allait tâtonner sur les chemins de la Perestroïka, c’est-à-dire de la réforme et de la transition difficile vers l’économie de marché. Jusqu’à la fin des années 1990, les Russes semblent ainsi préoccupés bien davantage par leur propre situation que par celle de leurs voisins européens. L’arrivée à la présidence de Vladimir Poutine le 31 décembre 1999 semble toutefois marquer le temps du redressement national et de la réappropriation de la souveraineté sous l’égide d’un Etat fort, provoquant au passage un refroidissement des relations avec l’Union européenne au sujet de sa politique de voisinage établie en 2002. La Russie s’offusque en effet du traitement égal, si ce n’est égalitaire, que l’Union européenne réserve à ses voisins.

Quelles relations pour le futur ?

Cela n’empêche pas l’élite commerciale russe d’être favorable à une coopération sans cesse plus approfondie avec l’Union européenne, car celle-ci est à la fois le premier fournisseur (en produits finis, machines ou biens d’équipement) de la Russie et son premier client, loin devant les Etats-Unis. L’Union reste également une précieuse source d’Investissements Directs à l’Etranger pour la Russie, en particulier dans le domaine des activités extractives et de transformation, compte tenu de ses immenses réserves naturelles. L’interdépendance croissante des relations économiques entre l’Union et la Russie témoigne par conséquent d’une nécessité d’approfondir les termes de la coopération, via des accords bilatéraux garantissant au mieux la sécurité des investissements et les droits de la propriété intellectuelle.

La récente proposition du 5 mai émise par le président français Nicolas Sarkozy de constituer un vaste partenariat entre l’Union, la Turquie et la Russie a toutefois été assez froidement reçue en Russie par l’opinion publique et ses dirigeants. Considéré comme un substitut d’adhésion par la Turquie et comme la négation de la relation particulière que la Russie mérite avec l’Union, ce projet n’a pas réussi à trouver de soutien en Russie. Il en va de même concernant le nouveau Partenariat Oriental lancé début mai par l’Union, qui est vu comme une tentative d’endiguer l’influence russe dans les ex-républiques d’URSS comme l’Ukraine ou l’Azerbaïdjan.

Néanmoins, cela n’empêche pas la société civile russe, en particulier la jeunesse, de soutenir l’idée d’une coopération plus avancée avec l’Union, certains allant jusqu’à préconiser l’adhésion de la Russie à l’Union. Mais comme le rappelle l’adage russe, "à chaque fruit sa saison"...

Illustration : photographie de la cathédrale Saint-Basile sur la Place Rouge, à Moscou. Source : Flickr.

Mots-clés
Vos commentaires
  • Le 17 juin 2009 à 16:25, par Maitresinh En réponse à : À l’Est, du nouveau ?

    pas loin du sujet , ou comment j’ai fait adhérer la Russie à l’UE :

    http://europatriotism.cafebabel.com/fr/post/2008/04/21/Eurogames-ou-le-jeu-a-leuropenne-il-serait-temps-doublier-le-monopoly

     ;)

    un vrai et excellent jeu par ailleurs...

  • Le 2 juillet 2009 à 05:42, par valentina En réponse à : À l’Est, du nouveau ?

    Tatiana et Aurelien, merci pour votre travail, que j’ai beaucoup aime. Je serais reconnaissante de recevoire, si cela ne vos derange pas, des reponses aux questions suivantes.

    1) Pourriez-vous, s.v.p., commenter la phrase dont vous avez choisi comme le titre ? (elle semble evoquer une image amusante : les esprits de 2 europeens, Napoleon et Hitler, sifflent ces mots dans une perplexite...)

    2)Ne trovez-vous pas le mot « ennemi » un peut fort pour ce contexte ? Pourqoi pas « rival », « concurrant » ?

    3) Chapeaux ! Vous avez decouvert des nuances d’ une notion absolue : alors, « egalites », il y en a combien et de quels sorts ?

  • Le 6 juillet 2009 à 16:38, par Aurélien En réponse à : À l’Est, du nouveau ?

    Valentina,

    Tout d’abord, un grand merci pour la lecture attentive que tu as fait de notre article. Concernant les trois questions que tu nous adresses, je commencerais par te répondre que le titre de l’article est un mauvais pastiche du titre du roman d’Erich Maria Remarque « A l’Ouest rien de nouveau » paru en 1928. On a choisi de détourner le titre de cet ouvrage par le biais d’un pastiche pour en tirer une formule brève susceptible d’attiser la curiosité de nos lecteurs potentiels. Par ailleurs, cette formule, si lapidaire soit elle, nous a permis de poser clairement les termes de notre problématique.

    Pour ce qui est de ta seconde question, après relecture, le terme « ennemi » peut en effet être jugé excessif. Bien loin de nous l’idée de ne distinguer que des amis et des ennemis dans le champ des relations internationales ! Il n’est toutefois que la formulation, au moins dans la lettre si ce n’est dans l’esprit, d’une idée répandue dans certains cénacles européens..

    Enfin, quant à ce qui a trait à ta dernière question, les égalités, ou les correspondances, que nous avons souhaité mettre en valeur au moyen de cet article ont d’abord un socle historique, géographique et culturel. On a aussi cherché à montrer les interdépendances à l’oeuvre dans de nombreux secteurs, économique pour le premier d’entre eux. De l’UE à la Russie, il ne semble donc y avoir, à notre sens, qu’un trait d’union.

  • Le 6 juillet 2009 à 23:41, par Valentina En réponse à : À l’Est, du nouveau ?!!

    Tatiana et Aurelien, merci pour votre travail, que j’ai beaucoup aime. Je serais reconnaissante de recevoire, si cela ne vous derange pas, des reponses aux questions suivantes.

    1) Pourriez-vous, s.v.p., commenter la phrase dont vous avez choisi comme le titre ? (elle semble evoquer une image amusante : les esprits de 2 europeens, Napoleon et Hitler, sifflent ses mots dans une perplexite...)

    2)Ne trovez-vous pas le mot « ennemi » un peut fort pour ce contexte ? Pourqoi pas « riival », « concurrant » ?

    3) Chapeaux ! Vous avez decouvert des nuances d’ une notion absolue : alors, « egalites », il y en a combien et de quels sorts ?

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom