2022 : Un printemps électoral historique en France

, par Henri Clavier

2022 : Un printemps électoral historique en France
Source : Wikimedia commons

Alors que la rentrée parlementaire officielle vient de débuter en France, Le Taurillon revient sur l’origine et le fonctionnement des élections françaises, qui font figure d’exception en Europe. Pensée initialement comme un régime parlementaire, la Vème République s’est davantage révélée comme un régime parlementaire rationalisé. Mais les élections législatives de 2022 ont peut-être changé la donne. Les divisions sur le projet de loi de finances 2023, redonnent une dimension parlementaire au régime.

« Un des caractères essentiels de la Constitution de la Ve République, c’est qu’elle donne une tête à l’État. » : cette tête, c’était évidemment celle de Charles de Gaulle, premier Président de la Vème République. Après des décennies d’instabilité politique et constitutionnelle, le Général de Gaulle est appelé par le Président René Coty pour résoudre la crise algérienne. Le résistant français accepte, à la condition qu’il puisse soumettre une nouvelle Constitution au peuple français. La Constitution est adoptée par référendum le 28 septembre 1958 par 82,6% de votes positifs. Le nouveau régime est censé donner un pouvoir important à l’exécutif, au détriment du Parlement.

La constitution du 4 octobre 1958, des institutions remaniées

Contrairement à l’idée consacrée par Maurice Duverger, la Vème République n’est pas un régime “semi-présidentiel”. Elle présente les caractéristiques d’un régime parlementaire, ce qui signifie que l’essence du pouvoir provient du Parlement. Le Parlement, composé de l’Assemblée nationale et du Sénat, vote les lois, mais surtout accorde sa confiance au gouvernement, qui conformément à l’article 20 de la Constitution “détermine et conduit la politique de la Nation”. Le Premier ministre, désigné par le Président de la République, nomme ensuite un gouvernement qu’il soumet à l’approbation de l’Assemblée nationale. Malgré la nature parlementaire du régime, le Président de la République occupe une position particulière dans le système français. Élu au suffrage universel direct depuis 1962, ce dernier a progressivement grignoté les prérogatives du Premier ministre au point de le réduire, selon la formule de Nicolas Sarkozy, à son “premier collaborateur”.

Le Président de la République est élu pour cinq ans (depuis 2000) et l’élection se déroule quelques mois avant les élections législatives. Constitutionnalistes et politistes ont alors constaté l’existence d’un “fait majoritaire” qui désigne la concordance entre le parti dominant à l’Assemblée nationale et le parti du Président. Ainsi, la majorité au Parlement et le Président de la République sont quasi systématiquement du même parti. Une pratique qui place donc le Président au centre du jeu politique français. À l’inverse, si l’Assemblée nationale est dominée par une formation politique concurrente, alors le choix du Premier ministre s’impose au Président de la République, contraint de nommer le leader de la majorité parlementaire : on parle alors d’une cohabitation.

2022, vers une évolution coutumière du régime ?

Les élections françaises de 2017 avaient été un véritable séisme dans le paysage politique. Transfuge du PS, Emmanuel Macron avait finalement décidé de se lancer en solitaire et créer son parti : “En Marche”. Malgré un quinquennat agité, Emmanuel Macron faisait figure de favori à sa réélection. Onze autres candidats briguaient le poste : Philippe Poutou, Nathalie Arthaud, Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel, Yannick Jadot, Anne Hidalgo, Jean Lassalle, Valérie Pécresse, Nicolas Dupont-Aignan, Marine le Pen et Eric Zemmour.

La campagne présidentielle constitue, en France, un moment politique majeur où la participation est historiquement importante (entre 70 et 85%). L’effervescence politique commence généralement en novembre au moment de la formulation des candidatures. Une période qui a permis de voir émerger certaines candidatures hors des partis. La Primaire populaire par exemple souhaitait faire émerger un candidat unique acquis à la défense de l’environnement et de la justice sociale. L’initiative n’a finalement pas abouti et a fini par soutenir la candidature de Jean-Luc Mélenchon. La candidature surprise d’Eric Zemmour a quant à elle déclenché l’hystérie des médias, lui offrant un espace médiatique prépondérant et un score anormalement haut dans les sondages.

La véritable campagne (à partir de mars) s’est distinguée par l’absence de débat entre l’intégralité des candidats. Le Président de la République s’est montré discret, se contentant d’une conférence de presse pour présenter son programme, dont la mesure phare était la réforme des retraites. Pour les autres candidats, la campagne s’est rapidement axée sur l’invasion de l’Ukraine ainsi que les sujets qui en découlent (approvisionnement énergétique, réaction de l’UE et de l’OTAN etc). À gauche, des candidats comme Anne Hidalgo ou Yannick Jadot ont pris fait et cause pour l’Ukraine tout en prenant soin de se distinguer de la position trouble de Jean-Luc Mélenchon sur la question. À droite de l’échiquier politique cependant, le ton était un peu différent. Eric Zemmour, sans condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie, se refusait à tout accueil de réfugiés ukrainiens. Marine le Pen, visée pour son soutien à Poutine et ses liens troubles avec l’oligarchie russe, a préféré éviter le sujet pour se concentrer sur la question du pouvoir d’achat, autre préoccupation centrale durant cette campagne.

Les sujets écologiques ont quant à eux été quasiment absents des discussions. Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon ont tenté d’en faire un sujet central de la campagne, prônant une forme de planification écologique ainsi que le renforcement massif des énergies renouvelables et la rénovation énergétique des bâtiments. Anne Hidalgo a, de son côté, fait le pari de la social-démocratie à la française en s’affichant avec le chancelier allemand Olaf Scholz.

Pour sa part, Emmanuel Macron a multiplié les promesses écologiques dans l’entre deux tours à l’occasion d’un meeting à Marseille. Soucieux de s’attirer les voix des électeurs de gauche qui seraient tentés de s’abstenir, le Président de la République a déclaré que le Premier ministre serait dédié à la planification écologique, sans préciser en quoi cela consisterait. Si l’élection de 2022 a fait sortir en tête les deux mêmes candidats qu’en 2017, Emmanuel Macron (27,8%) et Marine Le Pen (23,1%), on distingue trois blocs à peu près équivalent en nombre de voix, le bloc central-libéral, le bloc de gauche et le bloc d’extrême droite.

Dominant une nouvelle fois le débat d’entre deux tours, Emmanuel Macron a remporté l’élection avec 58,55% des suffrages exprimés. On observe un taux de participation historiquement faible aux deux tours, 73,69% (en baisse de 4,1% par rapport à 2017) au premier tour puis 71,99% (baisse de 2,6%). Malgré la large victoire du Président sortant, on observe une percée historique de l’extrême droite qui en 20 ans est parvenu trois fois (sur cinq) au second tour. Pire, l’extrême droite a plus que multiplié par deux son nombre de voix passant de 5,5 millions de voix en 2002 à plus de 13,2 millions en 2022.

Une victoire en demi-teinte pour Emmanuel Macron

Malgré sa réélection, Emmanuel Macron a directement été confronté à une nouvelle élection déterminante, les législatives. Favorables au Président élu dans une configuration bipartisane, les élections législatives se sont révélées plus que périlleuses pour la majorité présidentielle. Les élections présidentielles ont acté une recomposition politique majeure autour de trois blocs après l’explosion des partis traditionnels à savoir le PS (1,74%) et LR (4,78%). L’éclatement du bipartisme aura assurément des conséquences majeures sur le fait majoritaire et le fonctionnement du régime politique français.

L’élection présidentielle de 2022 nous a permis, en premier lieu, de prendre l’ampleur de la polarisation de certains médias. De nombreux groupes de presse, journaux, stations radios ou chaînes de télévision ont récemment été racheté par des milliardaires, au premier rang desquels figure Vincent Bolloré. Des rachats autant motivés par des intérêts économiques qu’idéologiques puisque les médias ayant été rachetés ont tous vu leur ligne éditoriale modifiée. Le changement de ligne éditoriale impulsé par ces rachats s’est ressenti tout au long de la campagne avec notamment Cnews qui, à travers la voix du présentateur Pascal Praud, a assumé faire campagne pour Eric Zemmour. Une concentration médiatique qui a aussi favorisé le traitement de certains sujets plutôt que d’autres, la sécurité a par exemple été plus traitée que l’écologie.

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