15 ans de politique climat-énergie en Europe : l’intégration, jusqu’à quel point ?

, par Théo Boucart

15 ans de politique climat-énergie en Europe : l'intégration, jusqu'à quel point ?
Maros Sefcovic, ancien commissaire européen chargé de l’Union de l’énergie sous le président Jean-Claude Juncker. Photo : Parlement européen

Cet été, Le Taurillon vous propose une grande série sur l’évolution des principales politiques européennes depuis 2005, année de naissance de notre journal. Dans cet article consacré à l’énergie, nous passons en revue les grandes lignes de la stratégie climat-énergie de l’Union Européenne, de plus en plus intégrée, mais toujours confrontée aux réticences venant des gouvernements nationaux.

2020, une année bien paradoxale pour la promotion de la transition énergétique et de la lutte contre le changement climatique. Alors que les signes avant-coureurs d’une catastrophe environnementale se font de plus en plus sentir (n’en déplaise une fois de plus aux thuriféraires d’une croissance illimitée) et que la Commission dirigée par Ursula von der Leyen a lancé en décembre dernier le Green Deal, censé faire de l’Europe un continent modèle en termes de transition bas-carbone, la pandémie de coronavirus semble avoir relégué au second plan cette urgence perçue comme moins imminente, plus abstraite.

Bien évidemment, rien de moins erroné que de croire que menaces épidémiologique et climatique ne sont pas liées. En réalité, le changement climatique favorise la propagation de virus, certains d’entre eux étant encore prisonniers du pergélisol boréal, ce sol gelé en permanence en Sibérie et dans le Grand Nord canadien. L’Europe et le monde entier doivent donc agir au plus vite pour conserver un habitat terrestre viable pour une population de plus en plus nombreuse, ayant à sa disposition de moins en moins de ressources.

L’Union européenne n’a pas attendu 2020 pour repenser son modèle de croissance et de développement. En fait, en remontant 15 ans en arrière, en 2005, le projet de traité constitutionnel européen comportait en son article III-256 une référence à une politique européenne de l’énergie, semblable en tous points à l’article 194 du Traité de Lisbonne.

D’une présidence allemande à une autre

Même si ce traité constitutionnel n’a jamais abouti, il a probablement été le point de départ de travaux plus profonds pour façonner l’Europe de l’énergie. La présidence allemande du Conseil de l’Union Européenne entre janvier et juillet 2007, censée impulser une nouvelle dynamique après l’échec du traité, a également beaucoup œuvré pour la transition énergétique à l’échelle communautaire.

Les résultats de cette présidence ont d’ailleurs été probants, puisque la Chancelière Merkel a réussi à faire adopter au Conseil européen de mars 2007 son plan d’action intitulé « Une politique énergétique pour l’Europe » minutieusement élaboré dès 2006. Ce document annexé aux conclusions du Conseil a été une véritable feuille de route pour l’adoption de stratégies ultérieures, et dont le succès peut servir de modèle pour la nouvelle présidence allemande du Conseil de l’UE, débutée le 1er juillet, qui doit aussi mettre l’accent sur la poursuite de l’implémentation du Green Deal, et en particulier de la neutralité climatique prévue pour 2050.

L’Union Européenne n’a donc pas attendu la ratification du traité de Lisbonne en 2009 avec la base légale de l’énergie pour agir dans le domaine, s’appuyant en réalité depuis plusieurs années sur le marché unique et la politique environnementale.

Les paquet climat-énergie de 2020 et de 2030 : l’UE adopte la méthode douce

L’une des premières stratégies permises grâce à la présidence allemande a été le paquet climat-énergie, voté en décembre 2008 aussi bien par le Conseil européen, le Conseil de l’Union Européenne que par le Parlement.

Ce texte, le premier adoptant une définition si large de la transition énergétique a mis en place des objectifs contraignants en termes d’efficacité énergétique, de développement des énergies renouvelables et de réduction des gaz à effet de serre. Connu sous le nom d’objectif « 20-20-20 » (entre 1990 et 2020, les GES devront baisser de 20%, l’efficacité énergétique et le mix renouvelable devant augmenter dans la même proportion), ces cibles ont été révisées à la hausse à partir de 2014 pour l’horizon 2030 (elles passent respectivement à 40%, 32,5% et 32%), en conformité avec le futur accord de Paris sur la protection du climat, voté en décembre 2015.

Si les objectifs contraignants nationaux n’ont pas été retenus pour le paquet climat-énergie de 2030, à la faveur d’un objectif européen pour ainsi permettre des stratégies à plusieurs vitesses au sein des pays membres, ces mesures prises avant et pendant la crise économique et financière ont marqué le début d’une politique climat-énergie cohérente.

L’Union de l’énergie puis le Green Deal : un souci de cohérence

Le souci de cohérence s’est d’ailleurs élargi à l’ensemble de la politique énergétique. L’article 194 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) vise à créer un marché européen de l’énergie solidaire, indépendant, interconnecté et favorisant la transition énergétique propre. La décennie 2010 a vu ainsi la création de deux initiatives majeures pour rendre cette politique et ce marché plus cohérents.

L’Union de l’énergie, évoquée dès le début de la décennie par des personnalités comme Jacques Delors et Donald Tusk, a finalement été officialisée en février 2015 par une communication éponyme. Celle-ci entendait achever le marché unique de l’énergie selon cinq axes d’actions, tout en réformant la production, le transport et la consommation d’énergie plus propre en Europe, en vue là aussi des objectifs de l’Accord de Paris.

L’une des principales innovations de cette Union de l’énergie a été la volonté de placer le citoyen européen au cœur de l’élaboration des politiques énergétiques, en reconnaissant la dimension sociale de la transition énergétique, ainsi que les enjeux de démocratie locale et de décentralisation des ressources énergétiques.

Les stratégies liées à l’Union de l’énergie, comme le paquet énergie propre de 2016 ou le règlement sur la gouvernance de l’Union de l’énergie de 2018, ont renforcé le cadre en intégrant notamment le concept de macro-région européenne (une première étape vers une intégration continentale du marché énergétique) pour la sécurité de l’approvisionnement, ou encore les plans nationaux en termes d’énergie et de climat, qui doivent être révisés à la hausse régulièrement. L’innovation technologique bas-carbone est également au cœur des préoccupations, puisque le plan des technologies énergétiques stratégiques (SET-Plan) de 2006 a été adapté à l’Union de l’énergie, afin que l’Union Européenne soit un leader mondial des nouvelles technologies énergétiques.

Dans la même dynamique, mais avec des objectifs bien plus ambitieux, le Green Deal a été proposé en décembre 2019 comme initiative phare de la nouvelle Commission élue à l’issue des élections européennes, qui a notamment vu une poussée des partis verts, surtout en Europe de l’Ouest. Le pilier central de ce Pacte vert pour l’Europe est la « loi climatique européenne », présentée début mars, elle prend la forme d’un amendement du règlement de 2018 sur la gouvernance de l’Union de l’énergie, introduisant ainsi la « neutralité climatique ». Une réflexion est également en cours pour rehausser les objectifs de baisse de GES de l’UE d’ici 2030, les amenant à 50% voire 55% de réduction par rapport à 1990. La stratégie du Green Deal inclut également des aspects agricoles, d’économie circulaire, ou encore d’aides à la reconversion des économies fortement carbonées.

La diplomatie énergétique et climatique, nouvelle frontière de l’intégration européenne

Si le continent européen est un véritable pionnier dans la politique climat-énergie, il ne représente que 8% des émissions de GES au niveau mondial. C’est pourquoi il est nécessaire de mettre en place une véritable diplomatie climatique et énergétique au niveau européen pour que d’autres régions polluantes puissent suivre.

Et c’est là où le bât blesse, car tant que l’UE n’est pas un État fédéral, ou tout du moins n’a pas de politique climat-énergie intégrée, la perspective d’une véritable diplomatie relève de la gageure, d’autant plus que les États nationaux, très rétifs vis-à-vis d’une politique véritablement européenne, préfèrent garder la politique étrangère dans leur pré-carré.

Toutefois, quelques nuances sont à apporter à cet état de fait. La diplomatie climatique européenne peut en effet s’enorgueillir de quelques succès, notamment à la fin des années 1980 et au début des années 1990 avec la création du GIEC, prélude de la ratification de la CCNUCC, la convention-climat de 1992 qui a donné naissance aux fameuses COP, dont la 21ème, celle de Paris en 2015, a pu déboucher sur un traité universel grâce également à l’action de l’Union européenne.

En outre, l’aspect extérieur de la politique énergétique européenne fait l’objet d’une attention particulière depuis plus d’une décennie, alors que la Russie représente une menace toujours non négligeable pour la sécurité énergétique européenne. Depuis 15 ans, le terme « diplomatie énergétique » a remplacé celui d’« action énergétique externe » dans les discours officiels et la notion d’« autonomie stratégique » est sur toutes les lèvres. La stratégie de l’Union de l’énergie en février 2015, puis les conclusions du Conseil européen sur la diplomatie énergétique en juillet de la même année, sont les premières initiatives de ce type. Le Green Deal compte également mettre en place une « diplomatie du Pacte vert ».

Les 15 dernières années ont vu la politique européenne climat-énergie se développer et gagner en ambition et en cohérence. Que va-t-il donc se passer ces 15 prochaines années ? L’UE va-t-elle réellement s’engager dans la voie de l’économie bas-carbone et ainsi tenter de sauver notre planète d’un cataclysme imminent ? La réponse réside entre autres dans l’application stricte de l’arsenal législatif européen, couplée à la mise en place du plan de relance Next Generation EU résolument tourné vers l’économie sobre en GES.

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