Valse hongroise et café allemand : comment Viktor Orbán n’a pas utilisé son veto sur l’Ukraine ?

, par Paul Brachet

Valse hongroise et café allemand : comment Viktor Orbán n'a pas utilisé son veto sur l'Ukraine ?
Viktor Orbán a étonné quand il fut le premier dirigeant européen à s’adresser à la presse, alors que la décision finale était justement en train d’être votée. ©Conseil européen

Le Conseil européen du 14 et 15 décembre a été tendu, et même appréhendé. Pour cause : la Hongrie. Alors que jusqu’au 14 décembre au soir, elle soutenait une position de fermeté vis-à-vis de l’Ukraine, le Conseil s’est conclu avec un accord consensuel démontrant à lui seul un revirement aussi rapide que surprenant de la part du Premier ministre magyare.

Le soir du 14 décembre, alors que les dirigeants européens envisageaient déjà des discussions tendues et des négociations jusqu’à Noël, Viktor Orbán a annoncé qu’il ne mettrait pas son veto à l’ouverture des négociations d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Un revirement de position encore plus remarquable quand on constate que quelques heures plus tôt, le même Viktor Orbán annonçait par X (anciennement Twitter) qu’il « ne lâcherait rien ». Le volte-face n’est en réalité que l’expression de positions cyniques de la part du leader du FiDeSZ.

Il faut dire que la position du Premier ministre hongrois a énormément fluctué en moins d’une semaine. Passant d’un refus de l’inscription de l’Ukraine à l’ordre du jour du Conseil européen, à l’agitation d’un veto sur tous sujets ukrainiens, puis de la menace d’un arrêt des discussions sur l’adhésion de l’Ukraine à l’UE…tout cela se terminant par une « abstention constructive » sur l’ouverture des négociations et des interrogations sur l’aide européenne de 50 milliards d’euro à destination de Kyiv. Cela ne laisse rien au hasard. On peut résumer ces changements de rhétorique et de positions par une métaphore : une valse se concluant par un café.

1er mouvement : des nouvelles « d’outre-frontière »

Le premier mouvement de cette valse a lieu le 8 décembre 2023, à Kyiv. C’est effectivement ce jour-là que la Rada, le parlement ukrainien, a voté un projet de loi sanctuarisant l’enseignement en langue hongroise en Ruthénie subcarpathique. L’Ukraine possède une importante minorité magyare dans sa région de Ruthénie subcarpathique, à sa frontière avec la Hongrie. Le destin de cette minorité a longtemps été un sujet de discorde entre Budapest et Kyiv, surtout depuis les lois limitant l’usage des langues minoritaires. Ciblant essentiellement l’usage du russe dans la société ukrainienne, la loi visait également toutes les autres langues n’étant pas l’ukrainien. Le hongrois -aux côtés du bulgare, du biélorusse, du polonais ou du roumain- était donc également visé, destiné à progressivement disparaître des écoles, universités et services publiques ukrainiens.

Mais le projet de loi a changé la donne. Il autorise l’usage des langues officielles de l’UE, dont le hongrois, dans l’enseignement et les autres services publiques locaux. Le vote du projet de loi par la Rada a été salué par les observateurs internationaux et par la minorité hongroise d’Ukraine elle-même. En effet, les représentants politiques de la minorité magyare ont été associés au projet législatif. Les responsables des principaux partis hongrois d’Ukraine ont ainsi appelé solennellement, dans une lettre, à ce que « les dirigeants de tous les États membres de l’UE continuent [de] soutenir l’Ukraine sur la voie de l’intégration européenne ». Sans le nommer, c’est bien Viktor Orbán qui est visé, étant le seul dirigeant européen à menacer de bloquer l’ouverture des négociations d’adhésion pour l’Ukraine.

Privé de son principal argument contre l’ouverture des négociations à l’adhésion de l’Ukraine, V. Orbán change de rhétorique. Il n’est plus question de bloquer l’inscription de l’Ukraine à l’ordre du jour du sommet européen de décembre. Bien qu’il le regrette, il est désormais prêt à en débattre.

2ème mouvement : un dîner à l’Elysée

Si le Premier ministre est prêt à discuter de l’Ukraine au Conseil européen, il n’en est pas moins hostile. Il agite désormais le spectre d’un veto. De quoi faire dérailler les discussions prévues et enterrer tout processus d’intégration européenne pour l’Ukraine, un cauchemar pour les autres dirigeants européens.

Le deuxième mouvement de cette valse se met donc en place. Dans cette valse, un balai diplomatique, mais surtout chaotique, se chorégraphie. Alors en visite officielle à Pékin, Charles Michel, Président du Conseil européen, a décidé d’écourter son séjour et de se rendre à Budapest. Sa visite dans la capitale hongroise vise un objectif clair : assouplir, voire changer, la position de Viktor Orbán. Une tentative qui fait réponse à la lettre envoyée depuis Budapest pour Bruxelles et qui menace de bloquer les discussions sur l’Ukraine. La tentative de Charles Michel échoue lamentablement. Le Président du Conseil revient bredouille de compromis à Bruxelles.

Mais c’est alors qu’Emmanuel Macron invite promptement Viktor Orbán à Paris, pour un dîner non officiel à l’Elysée. Le dîner du 5 décembre n’a rien d’un repas entre deux amis, l’objectif est le même que la visite de Charles Michel : trouver un compromis acceptable sur l’Ukraine, sur l’ouverture des négociations à son adhésion et sur l’aide de 50 milliards d’euros qui lui est destinée. Les salons calfeutrés de l’Elysée resteront les seuls témoins de leurs échanges, mais tout est à parier que le Français a cherché, entre compromis et pressions politiques, à convaincre le Hongrois.

Quelque fut l’état de la position de Viktor Orbán à ce moment-là, le dîner à l’Elysée n’a fait que matérialiser et accroître la pression politique et diplomatique sur le Premier ministre hongrois. Le dîner parisien a montré que, désormais, Budapest est plus isolé que jamais sur la question ukrainienne. Isolement dont Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, n’a pas manqué de rappeler lors de sa rencontre avec V. Orbán. Les deux hommes étaient en effet tous les deux présents à Buenos Aires, le 10 décembre, pour l’investiture du nouveau président argentin.

Le Président ukrainien a déclaré à propos de son entrevue avec le Premier ministre hongrois :

« Je lui ai demandé de me donner une raison, pas trois, cinq ou dix, mais une raison... J’attends toujours la réponse ».

3ème mouvement : un cadeau de Noël à 10 milliards d’euros

Le troisième mouvement de la valse prend la forme d’une annonce de la Commission européenne. Le mercredi 13 décembre, la veille du décisif sommet européen, la Commission annonce le déblocage d’une partie des fonds gelés du Plan de relance destinés à la Hongrie. Un pactole de plus de 10 milliards d’euros donné à Budapest.

Il est vrai qu’une des échéances relative au dégel de ces fonds, bloqués pour non-respect de l’Etat de droit, arrivait à son terme. La Commission était en effet tenue de prendre une décision avant la fin du mois de décembre. De plus, certains observateurs avancent que le dégel d’une partie des fonds est opportun. Le gouvernement hongrois a réformé l’organisation de sa justice vers plus d’indépendance, ce qui était l’une des conditions fixées par la Commission pour le déblocage des fonds. Les 10 milliards d’euros accordés à la Hongrie ne seraient ainsi que le résultat d’un contrôle objectif et décorrélé de la situation politique au sein du Conseil. Quoi qu’ait voulu faire la Commission en annonçant le dégel des 10 milliards d’euros pour la Hongrie, le geste a bel et bien été interprété par les médias et par les observateurs de la politique européenne comme un coup de pouce afin que Viktor Orbán n’use pas de son veto.

En annonçant le déblocage des fonds gelés destinés à la Hongrie, la Commission s’est mise dans une position où elle reconnaît le rapport de force conduit par Viktor Orbán. En ce sens, son action peut tout bonnement être interprétée comme un signe de faiblesse : elle a cédé au chantage hongrois. « 10 milliards contre la non-utilisation du veto » en quelque sorte. Un signal bien compris par le Premier ministre hongrois puisque, s’il n’a pas bloqué l’ouverture des négociations d’adhésion de l’Ukraine, il a apposé son veto à l’aide de 50 milliards d’euros destinée à l’Ukraine. La décision est donc renvoyée au prochain sommet européen, en février 2024. Mais le Hongrois ne se cache plus, il demande le dégel complet des sommes bloquées par la Commission, soit 21 milliards d’euros, en échange de la levée de son véto sur l’aide à l’Ukraine.

A voire ce que la Commission décidera de faire dans un moment aussi critique pour l’Ukraine.

Un café allemand

Mais comment sortir de la posture ? Comment achever cette valse hongroise ? Viktor Orbán qui a annoncé pendant dix jours l’usage d’un veto et un blocage des négociations doit trouver une porte de sortie.

Cette porte de sortie lui est proposée par Olaf Scholz, le chancelier allemand. Alors que Orbán ne peut voter “pour”, il ne peut plus (non plus) voter “contre”, c’est-à-dire apposer un veto. Il est piégé puisque même une abstention reviendrait à voter “contre”. Les traités sont clairs, l’ouverture des négociations d’adhésion d’un Etat à l’UE doit être votée à l’unanimité…des membres présents au Conseil. Et c’est bien cette petite précision qui va donner à Orbán une porte de sortie, littéralement. Olaf Scholz, avec le soutien d’Emmanuel Macron (Président français), de Giorgia Meloni (Première ministre italienne) et de Mark Rutte (Premier ministre néerlandais), propose à Viktor Orbán de sortir prendre un café lors du vote. Un tour de passe-passe approuvé par le Hongrois. Ce dernier sort, prend un café et se dirige ensuite vers la presse où il fustige ostensiblement la « mauvaise décision » en train d’être prise par les autres dirigeants européens.

Soyons honnêtes, l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne est un défi majeur, pour l’Ukraine, pour l’Union et pour ses États membres. Pour ne prendre qu’un exemple, l’agriculture ukrainienne par sa productivité et sa compétitivité aurait un impact décisif, voire problématique pour certains Etats membres, sur la production et le marché européen et nécessitera une réforme de la Politique agricole commune et des règles de concurrence. Mais si cette adhésion représente un défi, elle ne doit pas se retrouver otage de chantages politiciens, elle doit faire l’objet d’un débat objectif et éclairé.

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